Nadine Khouri @ L'Archipel bannière
© Laurence Buisson

Nadine Khouri, étoiles filantes et voies hypogées

L'Anglo-Libanaise Nadine Khouri faisait étape jeudi 25 avril au Cinéma L'Archipel (Paris, Xe) pour un concert qu'une lumière vacillante disputait à la marche douloureuse du monde. Pierre Lemarchand y a croisé Elvis et partagé l'enfance beyrouthine de l'artiste.

Le concert se terminera bientôt. Dans ce français parfait qu’elle a appris à l’école au Liban, et cultivé depuis qu’elle s’est installée à Marseille après un tropisme londonien, Nadine Khouri s’exprime. Le sourire qu’elle a arboré jusque là s’estompe un temps. Il reviendra ensuite, pour ne plus nous quitter. La douceur infinie est toujours là – mais drapée d’un voile de douleur. La salle du cinéma L’Archipel, toute en longueur, ses sièges de velours et ses murs à l’avenant, n’aurait pu être écrin plus accordé aux reliefs de sa musique – chaude, palpitante, intime. Le concert arrive à son terme et Nadine conte l’histoire de la chanson qui vient – une poignée d’autres suivront, puis ce sera l’heure du retour à la vie – la vie normale, another life. To Sleep s’ancre dans l’enfance beyrouthine. Le sommeil qu’elle y chante est celui qu’elle ne parvenait pas à trouver, petite fille, quand dans la nuit pleuvaient les bombes. Sa main d’adulte l’a écrite guidée par l’esprit de l’enfant qu’elle était. En ses arpèges de guitare se bouclent ses questions et se nouent ses peurs d’antan, en ses paroles s’exprime la petite Nadine – partagée entre les bleus a l’âme, l’azur de la mer Méditerranée et le blues – dont Elvis, incarnation rock’n’roll de sa longue histoire, provoque une déflagration adolescente et offre un autre horizon. Elvis, on l’aura entendu, tout au long de ce concert impérial, dans le jeu de guitare de Nadine : accords claqués plaqués sec, coups de fouet, coups de hanches portés souvent au ralenti. On y aura aussi saisi la soul, celle de Curtis, dans son chant – grain profond, miel millénaire –, ainsi que dans le groove, tantôt tenu, tantôt lâché, de son groupe. Marion Grandjean à la batterie et Boris Boublil aux claviers sont exceptionnels, coulant les notes vibrantes de Nadine dans un son de mercure brûlant.

Les chansons ne parlent que d’une chose : allumer de petits feux dans la nuit, trouver un refuge quand alentour tout vacille ou menace, déceler une étoile et s’y accrocher, y croire. To Sleep, chanson sur l’«impossible» – bercer un enfant quand tirent les mortiers, trouver la paix du sommeil quand règne la guerre – n’aura malheureusement jamais cessé, depuis sa création en 2018, de résonner. Mais depuis le 7 octobre dernier, c’est une chanson dont chaque note, chaque inflexion, chaque seconde s’emplit d’une affliction et d’une peine immenses que l’artiste tente, en l’éternel geste alchimique de l’art, de transformer en beauté. En guérison. To Sleep s’étire. s’envole et se cogne tendrement aux murs épais. C’est une berceuse pour nous tous – tout finira par s’apaiser, semble-t-elle promettre. Croyons-le fermement. Des enfants lointains ont transmis ce soir-là, empruntant les voies hypogées ou les chemins d’étoile filante du chant de Nadine Khouri, leur part de sommeil impossible. Cette part, que nous avons reçue, nous la portons à présent. Elle est un foyer vacillant de lumière, une invitation à ne pas fermer les yeux.

Teach me
how to trace a line
by candlelight

Everything you know
show me a way
out of here

Camping in the corridor
or sleeping on the floor
I will believe it all

When night falls
I fear the mouth of the dark
could swallow me whole

So I’m counting
the strips of light

on the wall
In the mouth of the black, I can’t see