Josephine Foster - Life Is a Minestrone
© Julien Courbe

Concert : Josephine Foster, de justesse

Samedi 11 juin, à l'invitation de l'association Life Is a Minestrone, Josephine Foster a donné un concert en appartement à Paris. Pierre Lemarchand raconte ces quelques instants arrachés à l'époque.

Une longue robe d’été noire, des salomés de cuir aux pieds et un fichu noué sur la tête : Josephine Foster apparaît d’on ne sait où, d’on ne sait quand. Gitane, paysanne, danseuse de charleston, qu’importe. Si la fenêtre ouverte à sa demande, afin que puisse entrer un souffle d’air frais, n’avait laissé filtrer les bruits du monde – le va-et-vient des bus, les sonneries de téléphones, des apostrophes contemporaines –, tout repère aurait été perdu. Dans l’intimité d’un appartement parisien et en ces derniers jours de printemps, la trentaine de spectateurs du concert qu’elle donne, sur l’invitation de l’inestimable association Life Is a Minestrone, la regarde s’installer sur le tabouret posé devant le micro s’apprêtant à recueillir son chant étrange – celui d’une cantatrice qui se serait égarée dans les Rocheuses, un chant lyrique qui connaîtrait le langage des arbres, des montagnes et des oiseaux alentour. Ainsi tentai-je, dans les colonnes de Magic, de le définir à peu près quand paraissait Godmother, son quatorzième album en une vingtaine d’années, que la musicienne américaine faisait paraître en janvier 2022.

Peut-être sont-ce là les conditions idéales pour entendre les chansons indociles de Josephine Foster : sans filet aucun, au gré de sa seule humeur, à la source de son inspiration et au fil de sa voix comme au cours turbulent d’un ru montueux. De son Colorado, elle a apporté le hâle de sa peau, cet accent qui accroche doucement, ses regrets d’une Amérique perdue et quelques souvenirs. Ceux-ci occasionnent parmi les moments les plus beaux de ce concert arraché à l’époque : les incendies qui brûlèrent les arbres de ses montagnes et lui inspirèrent Old Teardrop, une larme de géant qui éteindrait tous les feux, guérirait tous les chagrins ; la larme immense d’une déesse dont Josephine s’incarne, ici, la lointaine et bouleversante descendante. Son grand-père disparu, né à Paris et qui, chaque fois qu’elle y vient, s’invite dans ses pensées – un homme si doux, songe-t-elle. Un poème d’Emily Dickinson (My life had stood – A Loaded Gun), qu’elle aime immensément et qui la fait penser à son frère qui perdit un oeil dans un accident d’arme à feu, qu’elle enregistra et qu’elle chante là. Et d’autres souvenirs encore, qui la visitent comme ses doigts arpentent le manche de sa guitare et comme sa bouche se promène le long de ses harmonicas pour y déposer son souffle imprévisible.

Josephine Foster, durant l’heure et quelques que dure ce concert, puise large dans son répertoire, étirant des chansons naturellement élastiques, projetant doucement ses mélismes dans l’espace, se laissant aller à eux, yeux fermés, tête légèrement rejetée. À sa musique, elle s’abandonne, sa silhouette longue ondulant au gré des modulations de sa voix, des mouvements de son poignet fin commandant à sa main droite une fermeté inattendue. Dans les accords de guitare, Josephine Foster imprime une certaine rudesse, quelque approximation un peu heurtée, qui tranche avec le feutre de son chant qui parfois se perd dans ses pensées. L’Américaine nous rappela ceci : que la justesse n’a rien à voir avec l’exactitude. Que dans une hésitation est contenue l’œuvre même, revisitée, incarnée ici, maintenant, infiniment vivante. C’est ce trouble – le tremblement d’un corps, le vacillement d’une mémoire, le flottement d’une chanson, la suspension d’une seconde – que Josephine Foster est venue nous offrir. Et que nous pourrions bien garder en nous pour l’éternité.

Josephine Foster - Life Is a Minestrone 2
© Pierre Lemarchand

Concert en appartement, Paris XIVème arr., samedi 11 juin 2022