14 albums sortis au cœur de l’été (et Magic les aime)

Comme chaque été, "Magic" suspend sa revue hebdomadaire des sorties et dresse la liste, en toute subjectivité, de 14 albums parus entre la mi-juillet et la fin août.

FONTAINES DC – A Hero’s Death
(PARTISAN RECORDS)
31/07/2020

C’est une vague qui déferle mais, cette fois, la violence de Fontaines D.C. ne sera ni échevelée ni foudroyante : l’orage couve mais n’éclate jamais vraiment, la musique joue avec nos nerfs et le disque est, de son entame à sa note finale, impressionnant de maîtrise et de rage rentrée. C’est un grand disque de rock parce que les cinq de Fontaines D.C. n’ont pas pris la route qu’on attendait d’eux, parce qu’ils ont emprunté les sentiers de la surprise : des chemins faussement calmes, mais tout près des précipices, à l’extrême bord de gouffres silencieux. Les Irlandais nous rappellent ce corollaire indiscutable de l’évolution en altitude : le danger de la chute est partout et derrière la quiétude fourmillent mille menaces.
Lire en intégralité la chronique coup de cœur de Piere Lemarchand

JEREMY TUPLIN – Violet Waves
(TRAPPED ANIMAL RECORDS)
14/08/2020

Avec son troisième album en quatre ans, l’Anglais Jeremy Tuplin livre douze pop songs admirables, à la fois évidentes à l’oreille et très ouvragées dans leur conception. Présenté outre-Manche comme le pionnier du “space folk”, Tuplin connaît ses classiques, de Bowie à Scott Walker, de Nick Drake à Bill Callahan. Sa musique n’en possède pas moins une très profonde actualité, teintée par le flair du romancier et les oreilles du crooner pop.

TENCI – My heart is an open field
(KELLED SCALES)
31/07/2020

Projet intimiste né dans la chambre de Jess Shoman à Chicago, Tenci offre sur son premier album d’irrésistibles pépites indie-folk confectionnées à partir de petits bouts d’accords de guitare, autour desquels elle vient déposer de délicates touches pop bricolées au xylophone, violoncelle, saxophone ou bien encore à la flûte. Minimalistes, les compositions de l’Américaine sont toujours inventives et diffusent une chaleur enveloppante qui contraste avec le frisson procuré par sa voix. Quelque part entre Big Thief et Lomelda, Tenci exorcise ses démons personnels avec une beauté brute qui touche en plein cœur.

ALEX IZENBERG – Caravan Château
(DOMINO RECORDS)
31/07/2020

Révélé en 2016 avec Harlequin, collection de mélodies naïves et brumeuses invoquant les mondes sonores de Scott Walker, les cordes psychédéliques de Simon & Garfunkel ou les premiers pas pastoraux de Grizzly Bear, Alex Izenberg revient donc avec ce Caravan Château, oxymore musical évoquant le voyage oriental en même temps que l’ancestrale immobilité de la demeure des rois (Château Marmont ?). Et tout fait rêver dans ce palais nomade. En la bonne compagnie de Chris Taylor (Grizzly Bear), Jonathan Rado (Foxygen, Whitney, Lemon Twigs) et Ari Balouzian (Tobias Jesso Jr.), le troubadour Izenberg nous présente autant de femmes aimées que de chansons, balades courtoises nourries de fleurs (roses, géraniums, jonquilles) et de matières (safran, turquoise, fourrures), d’idéal romantique et de distance respectueuse.
Lire en intégralité la chronique coup de cœur de Wilfried Paris

SOPHIA – Holding On / Letting go 
(THE FLOWER SHOP RECORDINGS)
21/08/2020

La menace se fait plus lourde et plus ouvertement présente sur ce disque qui n’annonce pas des lendemains qui chantent mais bien plus la nécessité de contrôler sa colère pour mieux surmonter sa peur. Du conquérant et tubesque Strange Attractor à un Undone Again ou encore un Wait (I Am Sorry), Robin Proper-Sheppard tutoie l’excellence et la perfection. Pris dans son processus de création, le musicien britannique parvient à se renouveler tout en respectant une continuité avec les autres disques du répertoire de Sophia.

SEA GLASS – Shifts
(WHERE IT’S AT WHERE YOU ARE)
14/08/2020

Si, comme quelques-uns d’entre nous, au moment de quitter le monde des rêves, vous levez chaque matin le regard vers le ciel de l’olympe pop éthérée pour réclamer la juste résurrection artistique de Stina Nordenstam, si le silence de Crescent ou de Movietone vous rendent inconsolables, il y a de grandes chances pour que ce premier disque de Sea Glass, duo constitué de Melinda Bronstein et Matt Ashton de The Leaf Library, soit la source de réconfort que vous attendiez depuis bien longtemps. Rien ne laissait présager la magie contemplative qui s’installe au fur et à mesure de l’écoute des comptines perturbées de Sea Glass, Shifts ne se laisse pas posséder facilement mais se révèle sensiblement et lentement.

EVENING HYMNS – Heavy Nights 
(SHUFFLING FEET)
26/07/2020

Intégrant des instruments jamais rencontrés chez lui jusqu’ici (le saxophone du titre introductif), le Canadien Jonas Bonnetta élargit le spectre et affirme une fois encore sa personnalité singulière. Crépusculaire et onirique, parfois cauchemardesque, Heavy Nights parcourt les mêmes territoires que le Timber Timbre de Hot Dreams ou le Familiars de The Antlers. Face à sa volonté de brouiller les pistes et les espaces-temps, on se croirait parfois dans un feel-good movie des années 1980 mais le décor change subtilement et révèle une toute autre réalité bien plus complexe, la marque des disques majeurs.

NLF3 – ABCDEFG HI! 
(PROHIBITED RECORDS)
21/08/2020

Tout commence sur un rythme enlevé et des arrangements expressifs : on siffloterait presque pour soutenir les chœurs qui surgissent au cours du premier morceau, A, du nouvel album du trio français NLF3. Mais des basses viennent peu à peu plomber l’ambiance et on ne pense plus à siffler. La musique ralentit, se déploie en motifs répétés et textures triturées – la légèreté est toujours là mais elle est devenue douloureusement belle. C’est celle d’une musique qui a rompu ses attaches et s’abandonne pleinement à sa dérive. Dixième album de NLF3 en vingt années d’une trajectoire passionnante, née avec le nouveau siècle et des cendres encore brûlantes de Prohibition, ABDEFG HI! est le manifeste de trois musiciens (Fabrice Laureau, Nicolas Laureau et Jean-Michel Pirès) épris de liberté.

THE LEMON TWIGS – Songs for the General Public 
(4AD)
 21/08/2020

Avec une probable ironie, Songs for the General Public vise ostensiblement le tube. Sauf qu’il est aussi permis de prendre cet intitulé très au sérieux puisque, sans révolutionner son esthétique, les Lemon Twigs privilégient ici souvent l’efficacité aux constructions à tiroir qui font leur habituelle marque de fabrique. L’opératique Hell on Wheels, le rutilant comme du Cars Fight, le très Springsteen avec son sax mur du son Moon et le slow chantilly Hog sont parmi les chansons les plus «simples» jamais écrites par le duo. Et certainement pas les moins bonnes, puisqu’on se surprend à trouver le très Beach Boys Why Do Lovers Own Each Other? un peu trop alambiqué en comparaison, quand le cartoonesque Only a Fool force plus l’admiration qu’il ne file le frisson. C’est justement cela qui manque peut-être à cet album pour être totalement passionnant : un petit supplément d’âme, heureusement présent en bout de parcours avec la magnifique ballade Ashamed, débutée comme une vieille rengaine folk et terminée dans un déluge sonique saisissant.

DANIEL BLUMBERGOn&On Mute
[PIAS]
31/07/2020

Dans la foulée de l’excellent Minus (2018), le Londonien Daniel Blumberg poursuit, avec un sextette non conventionnel (incluant un violon et un violoncelle), sa redéfinition libre et inspirée du format de la chanson. La voix expressive de l’auteur-compositeur, à la manière d’un Mark Hollis au registre vocal aigu, d’un Peter Milton-Walsh privé de métronome, ou d’un Nick Drake amoureux de la dissonance, permet un geste artistique à la fois radical et amical.

MAX RICHTERVoices
(DECCA)
31/07/2020

Le dernier projet de Max Richter est une mise en musique de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, celle de 1948, née des atrocités de la Seconde Guerre mondiale. La musique est ici un écrin pour trente-deux “voix” différentes. Ils déclament une partie des trente articles qui, de la Biélorussie à la Syrie, du Xinjiang à la Corée du Nord, manquent singulièrement d’actualité sur l’ensemble de la planète, et rangent Voices du côté des œuvres riches de sens plutôt que des curiosités bien-pensantes. La grâce habituelle de Max Richter navigue entre solennité et inquiétude. Le compositeur britannique d’origine allemande navigue avec sa grâce habituelle mais sans naïveté : il sait que les grands principes sont beaux, mais surtout fragiles.

SEBASTIAN MASCHAT & ERLEND ØYEQuarantine at El Ganzo
(BUBBLES RECORDS)
31/07/2020

Quarantine at El Ganzo est transparent quant à sa nature propre : c’est le travail commun, réalisé de façon imprévue, pendant le confinement, des musiciens  Sebastian Maschat et Erlend Øye, cloîtrés dans leur hôtel de Mexico City tandis que les autres membres du groupe The Whitest Boys Alive se trouvaient dans l’incapacité de les rejoindre pour un festival finalement annulé. Sorti en numérique seulement, l’album est une attachante curiosité pop, qui brasse quinze années d’idées non abouties, ici cimentées par ce drôle de potion que nous inflige 2020, se serrer les coudes en pratiquant la distanciation sociale.

SON LUXTomorrows 1
(CITY SLANG)
14/08/2020

Tomorrows I est la premier volume d’une ambitieuse œuvre au long cours de Son Lux, publiée en trois volumes entre 2020 et 2021, annoncée par le groupe et City Slang au début de l’été. L’expérimental trio new-yorkais a eu du mal à voir plus petit qu’une telle fresque pour donner sa vision de notre ténébreuse époque et de “lendemains” qui, à défaut de véritablement chanter, crient, strient, et cherchent à rendre mélodieuses les pollutions et infections qui nous rongent.

A. G. COOK 7G
(PC MUSIC)
14/08/2020

Sept ans après avoir créé son label PC music, A. G. Cook (Alexander Guy de son prénom complet), désormais trentenaire, propose ses premiers travaux solo à travers un objet extrêmement ambitieux, un ensemble de sept disques comprenant chacun sept morceaux, tous articulés autour d’une dominante sonore. Ces deux heures trente de musique, allant de l’expérimental pur à la pop plus aboutie, sont une invitation au snacking plus qu’un bloc à appréhender d’une traite. Pour les fans de Blur, une reprise de Beetlebum inspirée et osée.