Weyes Blood, And in the Darkness, Hearts Aglow
Weyes Blood par Neil Krug

Weyes Blood annonce un nouvel album :  “Nous assistons à une sorte d’épidémie de solitude”

Magic a pu s’entretenir avec Natalie Mering, l’artiste derrière Weyes Blood, qui a annoncé mardi la publication de son cinquième album, "And in the Darkness, Hearts Aglow", deuxième pièce d’une trilogie dont "Titanic Rising", notre album de l’année 2019, était le premier volume.


Magic a appris la bonne nouvelle dès le mois de juillet : Weyes Blood allait nous proposer un nouvel album d’ici la fin de l’année. Ce sera And in the Darkness, Hearts Aglow, dont le premier extrait, It’s Not Just Me, It’s Everybody, a été publié mardi dans l’espace numérique. Nous aurons largement l’occasion, d’ici le 18 novembre, de vous en dire davantage sur les merveilles que recèle encore le disque de Natalie Mering. Comme elle le révèle dans une lettre aux auditeurs datée du 12 septembre (et que nous reproduisons au bas de cet article), And in the Darkness, Hearts Aglow est le deuxième volume d’une trilogie. Après Titanic Rising, il creuse le sillon du disque précédent, entre l’isolement des êtres, les ravages du tout-technologique et la flamme (celle de son cœur sur la pochette de l’album) qu’il faut parvenir à maintenir malgré tout. Voici les intentions artistiques de Natalie Mering telle qu’elle a pu nous en parler cet été.

Tu n’as jamais paru aussi pessimiste au sujet de l’état du monde, en particulier sur ces quelques lignes extraites de The Worst : “They say the worst is done / But I think the worst has yet to come” («Ils disent que le pire est déjà là / Mais je pense que le pire reste à venir»). 

Oui, c’est vrai. Je n’en ai pas plus envie que ça mais il faut bien que quelqu’un le dise ! On est en train d’assister à l’effritement de notre tissu social. Je ne trouve pas cela injuste de dire simplement la vérité. Nous avons traversé une pandémie et c’est déjà plutôt mauvais, mais c’est sans compter le désastre annoncé du changement climatique pour les parties du monde qui n’ont pas les infrastructures nécessaires pour se permettre un quelconque filet de sécurité. Nous allons être témoins d’une extinction massive ! Même si ça s’étale sur une longue période de temps, l’idée même que cela puisse arriver au cours de ma vie, c’est pire qu’une pandémie, à mon sens.

Ne crois-tu pas que tu puisses faire une différence en tant qu’artiste ?

Ce serait magnifique si c’était le cas. D’une certaine façon, je crois que je sème des graines dans l’âme des personnes qui m’écoutent. Je pourrais faire de mon mieux pour agir et prendre des mesures pour promouvoir en quelque sorte cette façon de penser, mais je n’ai pas la force de frappe d’une célébrité. Je ne me considère pas comme tel d’ailleurs. Je crée juste de l’art. Et puis, ce serait vraiment très présomptueux de ma part de supposer que mes pensées et tout ce que je conçois pour mes disques et ma musique pourraient avoir une sorte d’impact immédiat sur les gens… peut-être sur le long terme. Et encore. Je ne suis pas une célébrité. Même les célébrités qui tentent de changer les choses se heurtent à une forme de résistance. Parce qu’au stade où l’on est rendu, l’opinion publique n’a plus les moyens de transformer les structures en place. C’est le problème majeur auquel on fait face aujourd’hui. On est littéralement coincé là-dedans. Je ne sais pas vraiment combien de célébrités seront capables d’impulser le changement. Je crois qu’il faut que ce soit beaucoup plus profond que cela. Il faut une révolution en profondeur. Que des gens de l’industrie du divertissement tentent de dire aux gens comment se comporter, ce n’est plus une option à mon sens.

C’est encore plus vrai aux États-Unis. En France, vous vous en sortez mieux que nous. Vous avez une culture de l’interaction sociale.

Natalie Mering

En ouverture de l’album, tu chantes : “It’s Not Just Me, It’s Everybody” («Ce n’est pas seulement moi, c’est tout le monde«). Es-tu certaine que «tout le monde» prend la mesure de la gravité de la situation…

Il est moins question de cela que de l’interconnectivité de tous les êtres et comment, à certains égards, tout le monde pense qu’il vit sa propre expérience indépendamment de celle des autres. Notre culture a engendré cet hyper-isolement. C’est encore plus vrai aux États-Unis. En France, vous vous en sortez mieux que nous. Vous avez une culture de l’interaction sociale. Vous continuez à traîner ensemble. Chez les Américains, l’ambition et tout ce qui touche à leur carrière ont tant de préséance qu’ils sont encore plus en proie à l’hyper-isolement et la solitude. Ça vaut aussi pour les plus jeunes, plus enclins à rester chez eux et scroller indéfiniment sur les réseaux sociaux. Nous assistons à une sorte d’épidémie de solitude et c’est plutôt ça le sujet de la chanson. Il est moins question de «ce n’est pas seulement moi, c’est tout le monde qui va être impacté par le changement climatique», mais plutôt «ce n’est pas seulement moi, c’est tout le monde qui ressent ce genre d’impasse bizarre de désespoir et de solitude».  

Personne aujourd’hui ne peut ignorer la question du changement climatique. Plus encore qu’au moment de la sortie de Titanic Rising (2019), qui tirait déjà la sonnette d’alarme. Comment cela a-t-il influencé les paroles de tes nouvelles chansons ? 

La question du changement climatique n’est qu’une petite partie des sujets que j’aborde sur ce disque. Je trouve qu’il est beaucoup plus question de l’effritement de notre tissu social. Le changement climatique n’est qu’un symptôme d’un plus grand problème à l’échelle de notre humanité. C’est cette grande chose en apparence abstraite sur laquelle on ne peut pas se concentrer parce qu’on a en quelque sorte abandonné l’idée que la vie et les cycles de la nature sont précieux et font partie de toute vie humaine. Nous ne sommes tout simplement plus dans un espace très spirituel.

Il faudra de grands projets pour sortir de cette situation. Quels sont les tiens ?

Mon grand projet est juste de lancer des conversations, faire en sorte que tout le monde parle de ce qui est important et adopte une approche différente. Nos systèmes politiques, nos vies personnelles, nos moyens de communications sont tous régis par le tout-technologique. Nous allons devoir discuter, qu’on le veuille ou non, de méthodes alternatives pour changer le cœur et la volonté des gens, et j’espère que cela se reflètera à plus grande échelle. Pour le moment, il est important que les gens aient ces conversations difficiles ! Qu’ils reconnaissent le changement climatique, tandis que les gouvernements et les entreprises voudraient nous faire croire qu’il s’agit d’un choix personnel : vous polluez ou pas, vous produisez du carbone ou pas… Ça se joue évidemment à une échelle plus large que les choix individuels !

La lettre d’intention de Weyes Blood pour In the Darkness, Hearts Aglow