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Real Estate par © Sinna Nasseri

Real Estate : “On voulait justement retrouver notre zone de confort”

Alors que Real Estate passait faire un petit coucou – et accessoirement un showcase en acoustique – dans une boutique agnès b. de la capitale, on en a profité pour poser quelques questions aux New-Yorkais. L’occasion d’en savoir un peu plus sur "Daniel", sixième album d’un groupe qui se plaît à nouveau à faire les choses simplement.

Vous auriez essayé, avec Daniel, de conjuguer les fulgurances de la jeunesse entrevues sur vos premiers projets avec les perspectives plus réfléchies de vos regards d’adultes. Concrètement, diriez-vous que vous avez essayé de faire une synthèse de ces quinze années d’existence ?

Martin Courtney (chant/guitare) : Je ne dirais pas que nous avons volontairement essayé de faire un album qui sonne comme nos débuts, comme quelque chose «d’ancien». Mais je pense qu’au fur et à mesure que le projet Real Estate avançait, nos morceaux ont commencé à se complexifier. On voyait plus grand, on ajoutait des claviers, d’autres instruments qu’on n’aurait pas été capable d’incorporer efficacement sur nos premiers titres. Et même si on adorait explorer toutes les possibilités que nous offrent ces expérimentations, on s’est demandé s’il nous était encore possible de faire un album «simple». Et faire des choses «simples» après avoir passé ton temps à complexifier ton son, ça t’oblige à désapprendre beaucoup. Parce qu’on n’arrivait plus à faire ces «choses simples» (rires).

Alex Bleeker (basse) : Daniel fut peut-être notre album le plus amusant à faire. On n’a pas eu à sortir de notre zone de confort, on voulait justement faire quelque chose qui puisse nous permettre d’être dans notre zone de confort. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, parce qu’il y a du bon à faire quelque chose que tu sais déjà faire. Par exemple, ça t’évite de trop te perdre.

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© Sinna Nasseri

On est dans une époque où ce qui fait vivre les scènes indés, c’est la “crank wave”

Ensemble : la quoi ?

On n’a pas commencé à faire de la jangle pop parce que c’était à la mode

Martin Courtney

La crank wave, les groupes anglais blasés par le Brexit, qui parlent plus qu’ils ne chantent, avec des guitares dissonantes, etc… Votre disque, très simple, avec ces guitares acoustiques cristallines et ce chant soyeux, paraît presque anachronique ?

Martin : Mais je crois qu’on a toujours été anachroniques, non ? Quand on a commencé à faire de la musique, New York était en plein dans sa phase dance-punk, indus, avec des ersatz de LCD Soundsystem ou Animal Collective. Les guitares, elles étaient vues comme un instrument ringard. Et puis, d’un coup, c’est revenu à la mode. Toute cette vague de pop new-yorkaise, notamment portée par Captured Tracks, a enclenché quelque chose de fort. On n’a pas commencé à faire de la jangle pop parce que c’était à la mode, mais le fait que la jangle pop soit devenue à la mode nous a aidés à nous structurer et à nous faire connaître. Et c’est la même chose pour Beach Fossils, pour DIIV, pour Wild Nothing…

Alex : Pour nous, c’était naturel de faire ça. On a tous les deux commencé notre parcours d’auditeur en découvrant les Shins, Built to Spill, Pavement. Puis, en grandissant, on s’est penchés sur Galaxie 500, les artistes des catalogues Sarah Records, C86, Flying Nun Records…

Votre musique sonne comme quelque chose que les Clean (figures de Flying Nun Records) rêveraient d’avoir sorti…

Alex : Merci beaucoup, surtout que j’adore les Clean.

Martin : C’est une de nos grosses influences. Ce n’est pas pour rien qu’on fait de la jangle pop avec une guitare électro-acoustique, très claire, avec une voix presque sans réverbération, enregistrée sur une seule piste, et une esthétique minimaliste.

Daniel sort en plein hiver, et pourtant c’est un disque qui déborde de références au soleil – le mot “sun” est cité quinze fois dans les paroles –, et qui est surtout éblouissant de lumière. Vous auriez dû le faire paraître en juin, plutôt, vous ne trouvez pas ?

Alex : Mais le soleil est au centre de tout ! Regarde les Égyptiens, ils priaient Râ (rires) ! Mais on ne va pas dire qu’on a fait un album sur l’héliocentrisme…

Martin : Ce n’était pas intentionnel, du moins, pas le fait qu’on retrouve le mot “sun” autant de fois dans les paroles. Mais le fait que ce soit arrivé, ça me fait plaisir, parce que j’aime bien ce genre de petit détail répété dans un album. On a enregistré Daniel en hiver, on le sort en hiver aussi, et pourtant, oui, il sonne très estival. Je pense qu’on avait besoin de soleil et de lumière quand on a commencé à travailler dessus, parce qu’on était toujours en pleine pandémie, on voulait donc faire un album qui te fait voir les choses du bon côté. Un vrai disque de pop, en somme. Même dans un morceau comme Haunted World, on a voulu ajouter quelque chose de lumineux, tout en étant conscient qu’il fallait parfois plonger loin pour trouver cette lumière.

Dans le communiqué de presse, il y a même un petit taquet – gentil, je te rassure – qui semble adressé aux journalistes pour qui chaque nouvel album d’un groupe serait «le meilleur qu’ils n’aient jamais fait»

Martin : Mais je suis le premier destinataire de ce «taquet», comme tu dis (rires) ! J’ai envie que les journalistes écrivent que c’est notre meilleur album, parce que dans ma tête, c’est le cas – mais je ne voudrais pas que ce soit pris comme une tentative de corruption (rires).