Floating Points & Pharoah Sanders & London Symphonic Orchestra
© Luaka bop

 Quelques minutes qui allument un feu dans la nuit : le Top 2021 de Pierre Lemarchand

Les rédacteurs de "Magic" défendent leurs dix albums de l'année dans un Top 10 très personnel. Floating Points, Pharoah Sanders & The London Symphony Orchestra trônent dans le classement de Pierre Lemarchand.

  1. FLOATING POINTS, PHAROAH SANDERS & THE LONDON SYMPHONY ORCHESTRA – Promises (Luaka Bop)
  2. MYRIAM GENDRON – Ma délire, songs of love, lost and found (Feeding Tube records)
  3. LISA-LI LUND – Glass of blood (Pan Europeen recordings)
  4. JENNIE LOWE STEARNS – Ghost tracks (auto-production)
  5. CHANTAL ACDA – Saturday moon (Glitterhouse records)
  6. LAMBCHOP – Showtunes (City Slang)
  7. CHRISTINE OTT – Time to die (Gizeh records)
  8. FOUDRE ! – Future Sabbath (Nahal recordings)
  9. PIERS FACCINI – Shapes of the fall (No Format)
  10. NICK CAVE & WARREN ELLIS – Carnage (Goliath records)

Quelqu’un me fit un jour la remarque de la « solennité » de mes écrits sur le rock et me demanda si j’imaginais un jour me livrer à un traitement plus décalé et pince-sans-rire de la musique. Un peu d’humour ne pourrait faire de mal, prendre les chansons au sérieux n’exclut pas d’en rire, n’est-ce-pas ?

Cette courte discussion m’a plongé dans l’interdiction et ramené à mon impuissance foncière à prendre la musique à la légère, à me départir de mon sérieux en la matière. Depuis que la musique est entrée à grand vent dans ma vie, en même temps que frémissait l’adolescence, elle est celle à qui je confie mes questionnements les plus secrets, mes tourments et mes peurs. Elle est celle qui rend la vie supportable, efface les veuleries du monde, souligne sa beauté aussi. Les chansons sont pour moi une affaire sérieuse – trop sérieuse ?

La beauté des rêves

A contempler la poignée de disques que j’ai retenue de cette année 2021 et à en réfléchir les choix, je me rends compte que rien n’a changé – je demeure opiniâtrement fidèle au tout jeune homme que j’étais et qui, en la musique, jetais toutes ses forces, tous ses espoirs.

La tristesse et la peur qui m’étreignent à la pensée de notre planète qui se meurt, je les retrouve dans mes choix. Dans le numéro hors-série de magic consacré aux « cent meilleurs albums de l’année 2021 », je décèle en Promises de Floating Points, mon disque préféré de l’année, le génie de « faire surgir, intact et complexe, un monde qui sinon s’effrite et s’amenuise sous nos yeux ». Quant à Shapes of the fall, signé Piers Faccini et neuvième sur ma liste, il m’apparaît une « méditation sur la rupture consommée entre les Hommes et la Terre ». Glass of blood de lisa li-lund célèbre la beauté des rêves et de l’imaginaire et, tournant délibérément le dos au second degré et l’ironie, postures qui souvent m’épuisent, leur offre de bouleversantes lettres de noblesse.

Savoir regarder en arrière sans passéisme, reconnaître en la nostalgie la majesté intemporelle des sentiments  et la célébration du déchirant ploiement du temps qui passe : je me sens si proche de la voix grave et de la guitare de Myriam Gendron. Future Sabbath de Foudre! et Time to die de Christine Ott me sont autant d’ivres échappées : il faut savoir parfois s’extraire du cours du monde et de soi-même, s’accrocher aux ailes de grands planeurs, chevaucher des tapis volants. Et les voies de traverse tracées par deux chant de prière – l’appel aux fantômes de Jennie Lowe et celui, baigné de la lumière blanche d’une haute lune de Chantal Acda, me sont routes intimes, chemins familiers, veinules courant sous le cuir de ma peau.

Vieux sages

Quand tout chavire ou se brouille, les chansons sont toujours là. De vieux sages, depuis si longtemps recherchés et aimés, penchent leurs longues silhouettes et viennent chuchoter à mon oreille. C’est Nick Cave, les yeux illuminés par la visite de flashes tendres d’enfance comme d’éclairs plus contemporains, zébrures de violence froide, arpentant les terres brûlées et humant l’air cendré de notre vieux monde.

C’est Kurt Wagner du groupe Lambchop, qui chante comme l’on se parle à soi même et comme l’on donne tout, tandis que sombre dans les flots sombres et insondables la fanfare qui l’enserre, en la danse ample et effondrée d’un Titanic. S’il était une dernière musique, ce pourrait être celle-là, jouée comme l’on cueille avec une délicatesse infinie une fleur sauvage tandis qu’approche la tempête et que bientôt tout rugit, tout s’efface.

S’il était une ultime chanson, ce pourrait être celle-ci : quelques minutes qui allument un feu au cœur de la nuit et créent un cocon habitable, un possible présent.