Punk féministe : les héritières croient au futur

Nous avons identifié six groupes qui incarnent le retour simultané d’une esthétique punk et d’un message féministe, dans le cadre du dossier que nous consacrons à la vague de pop féministe dans notre numéro 209. Tous ont deux points communs : une jeune femme engagée au micro, et une rupture avec le «No Future» du punk originel. Leur musique doit changer la condition de la jeunesse et des femmes, promettent-elles.

SUNFLOWER BEAN (New York)

La jeunesse emmerde Donald Trump

QUI?

Un trio de 22 ans de moyenne d’âge. Nick Kliven (guitare et chant) et Jacob Faber (batterie) fondent Sunflower Bean en 2013. Ils sont vite rejoints par Julia Cumming et sa tignasse peroxydée. Avec sa lourde basse Rickenbacker modèle 4003, la jeune mannequin s’impose comme la chanteuse principale du groupe.

QUOI ?

Sorti le 23 mars 2018 sur le label Mom+Pop Music, Twenty-two In Blue est le fruit d’une collaboration avec Jacob Portrait, le bassiste d’Unknown Mortal Orchestra et Matt Molnar, ex-Friends. Le groupe sera sur la scène du festival de Leeds le 24 août 2018.

LEUR MESSAGE : 

Issu de la scène DIY de New York, Sunflower Bean est revenu avec un deuxième album pop ouvertement engagé contre l’Amérique de Trump. «Les gens se sont réveillés, explique la jeune femme. C’est comme un seau d’eau glacée lancé à la figure pendant que tu dors. Si cette foutue orange pseudo star de télé réalité a pu y arriver, alors pourquoi pas nous ?» Twentytwo In Blue met en scène une Amérique divisée et en proie au doute. Julia Cumming, militante en dehors du groupe via son mouvement Anger Can Be Power, aide la jeunesse new-yorkaise – et particulièrement les femmes – à se faire entendre à travers des ateliers et des rencontres.

 

DREAM WIFE (Brighton)

La femme rêvée du XXIe siècle

QUI ?

L’islandaise Rakel Mjöll, la guitariste Alice Go et la bassiste Bella Podpadec se sont rencontrées à l’université de Brighton. Ce qui ne devait être qu’un projet de fac un peu fumeux est finalement devenu un groupe de post-punk féministe leader de la vague actuelle.

QUOI ?

Avec des idéaux qui font l’actualité, le trio (quatuor sur scène, avec le batteur Alex Paveley), a sorti un album éponyme le 26 janvier sur le label Lucky Number Music. Aussi bondissant que leurs prestations sur scène. Dream Wife tire son nom d’une comédie romantique de 1953, avec Cary Grant et Deborah Kerr.

LEUR MESSAGE : 

Sarcastiques et déterminées, les jeunes femmes de Dream Wife – 22 ans de moyenne d’âge – livrent une power pop énervée qui s’amuse des clichés. Elles qualifient elles-mêmes leur musique de «poolside pop with a bite» : une pop de bord de piscine qui mord. Visuellement, elles reprennent les codes des girl-groups des années 80. Toute femme qui repousse les limites de ce qu’on lui impose inspire Dream Wife. Elles envoient balader l’idéal féminin stéréotypé de l’épouse attentive et de la mère au foyer, qui a donné son nom au groupe. «L’idée de la femme de rêve est un terme qui vient des années 1950/1960. Si tu étais un homme, tu voulais une maison de rêve, une voiture de rêve et une femme de rêve. Les femmes étaient vues comme des objets !», raconte Rakel Mjöll.

 

PRIESTS (Washington DC)

Ne les appelez pas Riot Grrrl

QUI ?

Katie Alice Greer (chant), Taylor Mulitz (basse), GL Jaguar (guitare) et Daniele Daniele (batterie) composent l’une des formations activistes les plus en vue de la scène rock actuelle. Basés à Washington DC, où ils dirigent leur label Sister Polygon, ils s’entourent d’une communauté d’artistes new-yorkais issus de la scène underground comme Dudes ou Neonates.

QUOI ?

Produit sur leur propre label, leur deuxième album Nothing Feels Natural est sorti en janvier 2017. Priests propose un mix entre le psychobilly des Cramps et la rage punk des Bikini Kill.

LEUR MESSAGE : 

Au centre du cirque politique américain, Priests est devenu le porte-étendard de la scène punk de Washington. Mais le groupe rejette l’appellation Riot Grrrl. «Aujourd’hui, tout le monde est conditionné pour disqualifier les femmes bruyantes, regrettait Daniele Daniele au magazine Paste en janvier 2017. Tout ce qui est en lien avec le féminisme est forcément du Riot Grrrl pour les gens, alors que c’est complètement faux.» «Toutes sortes de femmes sont mises de côté chaque jour par la double machine écrasante du capitalisme raciste et de la masculinité toxique, se désolait Katie Alice Greer dans Pitchfork . Nous devons nous battre tous ensemble, et alors nous aurons beaucoup de terrain à couvrir.»

GOMME (Paris)

Griffes dehors et dents acérées

Photo de Harald Hutter

QUI ?

En 2014, Betsy Roszkowiak (chant) quitte sa Californie natale pour la grisaille parisienne. Elle est rejointe par l’Autrichienne Hannah Todt à la batterie et la Française Gaïlla Jany à la basse.

QUOI ?

Leur premier album Hiss est sorti en avril 2017 sur Black Totem Records. Hiss, comme le bruit que fait un chat lorsqu’il est en colère. Elles seront à l’affiche du festival God Save The Chicks le 5 mai aux Mains d’oeuvres (Saint-Ouen, 93). Le 25 mai prochain, elles seront aux côtés de Frustration et de Blind Delon sur la scène du Rex de Toulouse.

Affiche du festival God Save The Chicks du 5 mai 2018 à Saint-Ouen

LEUR MESSAGE : 

Rape and run, My heart is a wall ou encore Ligne deux, ces chansons de Gomme traitent des expériences vécues par Betsy Roszkowiak depuis son arrivée à Paris. Toutes les contrariétés imposées aux femmes dans leur quotidien sont potentiellement un sujet de chansons pour Gomme. Rape and run a été écrite en réponse à la libération en 2016, après trois mois de prison, du violeur de Stanford. Condamné en Janvier 2015 pour le viol d’une jeune femme inconsciente, Brock Turner, ancien étudiant et nageur star de l’université californienne de Stanford a été libéré de prison après n’avoir purgé qu’un trimestre de la peine à laquelle il avait été condamné. La légèreté de la peine délivrée avait scandalisé l’opinion publique.
I’m a virus dénonce le côté obscur de l’industrie de la mode et son impact sur l’image de la femme.

 

VERSINTHE 99 (Paris)

Queer rock

QUI ?

Lélia à la guitare lead, Ronan à la guitare rythmique, Mathieu à la batterie, Jule à la basse et Amélie au chant composent ce quintette punk parisien qui définit sa musique comme queer et plurielle. «Nous ne voulons pas être vu.e.s en termes d’expérience et d’habitude. Le message engagé passe avant les trajectoires personnelles. Nous voulons insister sur un tout féministe et poétique, un collectif soudé», explique le groupe.

QUOI ?

Leur musique est impulsive, libertaire et laisse une grande place à l’improvisation. Le groupe a prévu plusieurs sessions d’enregistrement cet été en vue de la réalisation d’un EP. Versinthe 99 sera également à l’affiche du festival God Save The Chicks, samedi 5 mai aux Mains d’oeuvres (Saint-Ouen – 93).

LEUR MESSAGE : 

«Versinthe 99 fait la peau au rock machiste et sème le désordre urbain», peut-on lire dans leur biographie. A l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, Versinthe 99 a revisité l’hymne du Mouvement de libération des femmes dans une version punk énervée. «Levons-nous femmes esclaves et brisons nos entraves. Debout, debout, debout !» Le groupe assume de mettre en musique les messages et chants des cortèges de manifestants.

 

DECIBELLES (Lyon)

Contre le féminisme matchiste

 

QUI ?

Sabrina Duval à la guitare et au chant, Fanny Bouland à la batterie et Guillaume Carle à la basse forment Decibelles, un trio lyonnais indie rock qui oscille depuis 2006 entre pop noisy et riffs punk.

QUOI ?

Leur troisième et dernier album Tight est sorti le 31 mars 2017 chez Kidnap Music. Depuis, ils sillonnent les routes d’Europe et livres des prestations sauvages. Decibelles sera en concert le mercredi 30 mai au Rockstore de Montpellier pour le dixième anniversaire du collectif Rock It To The Moon.

LEUR MESSAGE : 

Ne les prenez pas pour un groupe de «punkettes». Ils détestent ça. Dans une interview réalisée pour un programme du Transbordeur, Sabrina Duval dénonce le machisme et la misogynie des soirées girl power : «C’est dans ces soirées qu’il y a le plus de chance d’être victime de ce genre de merde. Les soirées où on s’en fout de ce que tu fais vraiment, parce que ce qui importe le plus c’est que t’es une fille… On déteste ça.» 

 

Texte : Charles Delouche Bertolasi (avec Zoé Pinet)

Photos : Hollie Fernando, Harald Hutter, Sue Rynski