Weyes Blood top JMP
Weyes Blood | © Neil Krug

La maison et le monde : le Top 2022 de Jean-Marie Pottier

Fin décembre, c'est la saison des Tops personnels pour la rédaction de Magic. Jean-Marie Pottier ouvre la série avec Weyes Blood, Rocío Marquez y Bronquio ou Leyla McCalla.

  1. 1. WEYES BLOOD – And in the Darkness, Hearts Aglow [Sub Pop Records]
  2. 2. PORRIDGE RADIO – Waterslide, Diving Board, Ladder to the Sky [Secretly Canadian]
  3. 3. ROCÍO MÁRQUEZ Y BRONQUIO – Tercer Cielo [Universal Music Spain]
  4. 4. EMILY WELLS – Regards to the End [Thesis + Instinct Records]
  5. 5. FORTUNATO DURUTTI MARINETTI – Memory’s Fool [Soft Abuse / Bobo Integral]
  6. 6. MABE FRATTI – Se Ve Desde Aquí [Unheard of Hope]
  7. 7. LEYLA MCCALLA – Breaking the Thermometer [Anti- Records]
  8. 8. JONATHAN PERSONNE – Jonathan Personne [Bonsound]
  9. 9. SILVIA TAROZZI & DEBORAH WALKER – Canti di guerra, di lavoro e d’amore [Unseen Worlds]
  10. 10. BASEBALL GREGG – Pastimes [Z Tapes]

En période de crise, mieux vaut parfois faire confiance au calme des vieilles troupes : mon titre de l’année est signé d’un monsieur de 86 ans, certes plus jeune d’esprit et d’inspiration que l’écrasante majorité d’entre nous. Sur Metro Guide, morceau de bravoure du très réussi Língua Brasileira, Tom Zé récite d’un phrasé à la fois âpre et bondissant, comme d’autres le feraient de l’annuaire, les consignes de sécurité du métro de “Nova Iorque”. “Vigilância epidemiológica, sete cinco três dois quatro sete trinta e oito vinte e cinco”, clame-t-il, en un écho saisissant avec l’actualité des dernières années. Et salutaire par sa décontraction, quand la planète, elle, semble en permanence titiller l’effondrement – un état d’esprit qui a ses avantages musicaux, telle une remarquable vague de post-punk au bord de la crise de nerfs venue d’outre-Manche, dont témoigne Porridge Radio.

À l’image de celle du Brésilien, la meilleure pop de 2022 nous aura plus que jamais fait voyager au bout de la Terre, y compris pour arriver devant le précipice craint par les platistes. Elle nous aura amené le monde dans notre maison quand tout, guerres, pandémies, récessions, chaos climatique, conspire à nous clouer sur place, à faire de notre maison notre seul monde. Si les auditeurs et la presse ont accordé un triomphe mérité au MOTOMAMI de Rosalía, son aînée et compatriote Rocío Márquez, à qui la lie une admiration mutuelle, nous a ainsi offert, en duo avec le producteur de musique électronique Bronquio, une saisissante relecture contemporaine du flamenco. La New-Yorkaise d’origine haïtienne Leyla McCalla a redonné vie par sa musique à une radio martyre du sinistre régime des Duvalier, la Guatémaltèque Mabe Fratti dessiné depuis Mexico des paysages sonores fourmillants de surprises, le Québécois Jonathan Personne proposé une splendide sortie temporaire de son Corridor. D’Italie sont arrivés aussi bien une relecture expérimentale du patrimoine musical des mondine, grâce à Silvia Tarozzi et Deborah Walker, qu’un album de pures vignettes pop comme autant de timbres colorés impeccablement alignés, signé du duo californo-émilien Baseball Gregg, ou que les radieuses errances, entre David Berman et le Lou Reed de Street Hassle, du Turinois expatrié Fortunato Durutti Marinetti.

Et, last mais vraiment no least, des deux côtes américaines nous est parvenu l’écho de splendides inquiétudes contemporaines, celle de la New-Yorkaise Emily Wells sur un disque hanté par les fantômes des pandémies passées et présentes, celle de la Californienne Weyes Blood sur la deuxième installation d’une trilogie grâce à laquelle l’effondrement aura rarement semblé aussi séduisant. “Give my regards to the end / To the chaos in remembering”, fredonne la première. “They say the worst is done / And it’s time to go out, grab onto someone / They say the worst is done / But I think the worst has yet to come now”, semble lui répondre la seconde. Si le monde est entré dans notre maison, la fin du monde aussi. Mais à elles deux, à eux dix, à beaucoup plus, ils et elles, au milieu du chaos, nous auront convaincus que le meilleur est peut-être encore à écouter.

  • Une réédition : American Rituals de Cheri Knight [Freedom to Spend]

    Sans rien connaître de ce disque, on a cru, pendant plusieurs semaines, qu’il s’agissait d’une sortie de 2022. La méprise dit tout de l’actualité sonore de cette compilation d’inédits de la musicienne américaine Cheri Knight, enregistrés dans la première moitié des années 1980 à l’Evergreen State College d’Olympia. Entre complaintes à la Young Marble Giants, collages vocaux expérimentaux et pop voyageuse nimbée de marimbas, American Rituals rappelle que le bouillonnement DIY de la capitale de l’état de Washington n’était pas que le fait de Beat Happening et K Records.
  • Un film : The Souvenir, Part I & Part II de Joanna Hogg

    Diffusé tardivement en France, ce diptyque sorti outre-Manche en 2019 et 2021 offre non seulement un fascinant portrait de femme porté par la quasi-débutante Honor Swinton Byrne et par Tom Burke, le Orson Welles de Mank, mais aussi une impeccable BO d’époque (Psychedelic Furs, Specials, Pretenders…) utilisée comme un fantôme sonore plutôt que comme un jukebox clinquant.
  • Un livre : Who by Fire: Leonard Cohen in the Sinai de Matti Friedman (Spiegel & Grau / Signal Books)

    Dans l’une de ses chansons les plus célèbres, Leonard Cohen se décrit comme “un oiseau sur du barbelé”. En 1973, l’oiseau canadien, alors en pleine mue stylistique, se pose pendant quelques semaines sur les barbelés de la guerre du Kippour, le temps d’une tournée du front qui le voit notamment chanter pour un certain général Ariel Sharon. De cet épisode relativement méconnu, le journaliste Matti Friedman a tiré une enquête passionnante, retrouvant témoins et enregistrements d’une parenthèse qui déboucha sur un immense disque, New Skin for the Old Ceremony.

À retrouver également juste ici, sur Deezer.