Un premier essai en forme de réussite incontestable, un deuxième LP achevé comme une formalité et un troisième album aux airs de feu d’artifice. De quoi assommer une concurrence qui s’avère de toute façon inexistante puisque c’est Mustang qui a fixé les règles fluctuantes de ce drôle de jeu. À l’heure de rencontrer le leader du trio Jean Felzine, il n’a pas encore donné une seule interview pour Écran Total. Apparaît alors au fil de la discussion la certitude que Mustang n’est pas un groupe comme les autres, mais se dessinent également les failles et les doutes d’un chanteur inspiré, songwriter habile et jeune homme incroyablement lucide. [Article et interview Thibaut Allemand – Photographies Julien Bourgeois].

XVIIIe arrondissement de Paris, un début d’après-midi à la terrasse d’un bistrot de quartier au charme désuet. Pour l’anecdote, pas mal de cinéastes ont tourné en ces murs, dont Quentin Tarantino pour son long-métrage Inglourious Basterds (2009). “Je n’aime guère ce réalisateur”, nous confie Jean Felzine, s’enthousiasmant en revanche pour les films échevelés de Richard Kelly. Ce n’est donc pas par amour des dialogues finement ciselés et des défouraillages dantesques que le leader de Mustang nous a fait venir ici, mais simplement parce que ce n’est pas trop loin de chez lui. De toute façon, on n’est pas là pour causer des salles obscures, mais d’Écran Total, troisième LP qui devrait en toute logique et dans un monde parfait ouvrir les portes de la gloire au trio. Problèmes : peu de logique dans la réussite, notre monde est loin d’être parfait, et surtout on n’a jamais eu le nez creux pour prédire le succès. En ce samedi gris de janvier, ces considérations sont encore lointaines bien qu’elles affleurent au cours de la conversation. Franche, la conversation. Jean Felzine plante ses yeux dans les vôtres et se livre sans ambages ni faux-semblants. À l’entendre, et a fortiori en lisant les lignes qui suivent, certains l’imagineront orgueilleux, péremptoire et sûr de lui. Nuançons, car en fait d’orgueil, Jean Felzine aime avant tout le bel ouvrage et souhaite être fier de son travail. Certes, ses idées sont bien arrêtées mais il est surtout sûr de ses chansons. Douze titres dans lesquels on retrouve instantanément la patte Mustang : rock’n’roll débridé et touches synthétiques, mélodies pop imparables et vers bien sentis. Une nouvelle confirmation d’un talent aussi affolant que discret. Depuis 2011 et la parution du deuxième LP Tabou (suivi l’année d’après par un EP de relectures sobrement intitulé Mustang Reprend), le triumvirat à la classe altière faisait profil bas. Grands oubliés (avec Aline et d’autres) de la compilation Éducation Française en 2012, Jean Felzine, Johan Gentile et Rémi Faure offraient en 2013 la rareté Boo-Hoo à French Pop, florilège autrement plus complet de l’effervescence francophone. Une scène dans laquelle Mustang ne trouve pas sa place en dépit d’amitiés entretenues avec Lescop et La Femme. Adoubée par d’illustres artisans pop (JP Nataf considère Mustang comme le meilleur groupe français actuel), la formation se situe définitivement à part. À quoi ça tient ? À son talent mélodique bien sûr. À celui aussi d’avoir absorbé des influences antédiluviennes pour créer un son unique, aidée en cela par les doigts d’or de Stéphane “Alf” Briat. Mais également, et ce n’est pas rien, à sa personnalité. Outre l’indéniable charisme de Jean Felzine, c’est sa plume qui impose dans le paysage hexagonal des chansons d’amour comme on en entend guère – qu’elles évoquent l’amour ou la colère, des gens étranges ou des filles faciles, la jalousie ou la rigolade, toutes possèdent un charme revêche, de ces petits riens qui trahissent la force de caractère. Et le scribouillard si souvent prompt à établir des analogies entre les différents artistes et formations se trouve alors dans l’impasse. Tant mieux, Mustang est unique. Ah, au fait, le café en question se nomme La Renaissance. Tout un programme.

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Quel fut le déclic pour enregistrer ce troisième album ?
Jean Felzine : C’est avant tout la logique du temps. Nous avons beaucoup tourné après Tabou et n’avons jamais connu de problèmes pour composer sur la route. Nous sommes donc entrés en studio avec environ vingt-cinq morceaux en poche. D’autres sont arrivés au dernier moment comme Mes Oignons (Ne Font Pleurer Que Moi), Le Sens Des Affaires et Sans Des Filles Comme Toi.

Vous avez à nouveau travaillé avec Stéphane “Alf” Briat.
Oui, et avec Raphaël Seguin, qui était assistant-réalisateur sur Tabou et ingénieur du son pour nos concerts. Nous avons passé un temps fou en pré-production à chercher des sons, mettre au point des rythmiques, prendre trois jours pour un son de caisse claire. Ce fut très laborieux et très chiant, nous n’étions jamais allés aussi loin. C’est bien de l’avoir vécu mais passer autant d’heures devant un ordinateur n’est pas ma conception de la musique. Autrefois, un groupe jouait sans arrêt et enchaînait les prises. Aujourd’hui, on passe tellement de temps à éditer qu’on est très content lorsqu’on fait une prise. Par comparaison, l’enregistrement fut une promenade de santé. En tous cas, ce disque n’est pas particulièrement cohérent, mais c’est notre meilleure collection de chansons.

Tu disais déjà ça du précédent.
Oui, mais avec le recul, je me demande si les titres de Tabou n’étaient pas plus faibles que ceux d’A71 (2009). La production a divisé, et je la défends toujours, mais les compositions étaient peut-être plus légères.

Y trouve-t-on le tube que tu espérais tant ?
Je ne sais pas – je pense toujours qu’Anne-Sophie en est un. Nous étions très naïfs à nos débuts : si une chanson possédait un refrain, c’était un single potentiel. Pour cet album, j’ai ma petite idée vu qu’on publie des singles, mais c’est tellement aléatoire… Je trouve la musique actuelle globalement mal fichue. Je suis étonné par certains disques d’or dont je suis incapable de siffloter un bout. C’est marrant les modes instrumentales. Puisqu’on a fait le tour des accords classiques, il faudrait jouer des notes bizarres, quoiqu’il arrive. Je suis consterné par Alt-J, ça ne ressemble à rien, c’est monstrueux.

Votre approche est plus classique.
Oui. Même nos références électroniques sont anciennes, il faut bien l’admettre, mais elles sont tellement disparates que ça produit quelque chose d’original. Toutes les musiques que j’aime sont limpides, d’Eddie Cochran à Kraftwerk. Même Suicide, c’est harmonieux.

TUBES DIGESTIFS
N’y a-t-il pas d’albums récents qui ont trouvé grâce à tes oreilles ?
Si, bien sûr. Par exemple, j’apprécie Bertrand Belin. C’est un peu difficile mais c’est un merveilleux guitariste, il chante bien, il est beau et possède un charisme naturel. La Femme est un de mes groupes préférés. J’ai aussi acheté le dernier Arcade Fire car cette formation m’a marqué durant l’adolescence. Leur premier LP sorti il y a dix ans était incroyable et j’ai découvert assez récemment les suivants comme The Suburbs (2010). Mais tu vois, ça reste hyper connu, comme MGMT.

Tu étais assez sévère avec le deuxième effort de MGMT lorsque nous en avions parlé il y a deux ans.
Le premier album Oracular Spectacular (2007) m’avait fasciné – MGMT a signé des tubes par hasard, la seconde face du disque le prouve, tous les singles se trouvent sur la première moitié. J’ai redécouvert Congratulations (2010), j’y entends quelque chose de Love, ça module de partout tout en restant harmonieux. Cela dit, on n’y trouve aucun tube. Ni sur le dernier.

Cette quête du tube affecte-t-elle votre écriture ?
Nous tentons de rester honnêtes, et notre conception d’un bon morceau, c’est trois minutes et demie, un couplet, un pont, un refrain. La formule a fait ses preuves, de Buddy Holly à Nirvana. Nous avons parfois essayé d’en sortir, bien sûr, Ce N’Est Pas Toi est plus minimaliste par exemple. À l’origine, c’était un peu du jazz français, et c’est devenu plus Suicide. On ne s’impose rien mais on ne peut pas nous reprocher de faire de la musique informe.

Sans Des Filles Comme Toi accroche immédiatement l’oreille.
On a pourtant failli le laisser de côté. (Sourire.) Johan (ndlr. Gentile, le bassiste) l’a composé et j’avais ce texte depuis assez longtemps. Mais on l’avait délaissé, le jugeant facile, trop peu ambitieux et éloigné de nos titres plus électroniques et sophistiqués. Cela relève des considérations stupides que l’on peut émettre au moment d’enregistrer un disque – comme si c’était grave d’avoir simplement une guitare acoustique, une guitare électrique, une basse et une batterie alors que c’est juste l’essence d’une influence comme Buddy Holly, un de nos maîtres depuis toujours. Je me souviens d’une interview dans laquelle Lescop déclarait qu’aujourd’hui, on n’avait plus le droit d’utiliser des accords barrés. J’ai écrit Les Oiseaux Blessés pour lui prouver que c’était encore possible. (Sourire.)

Sans Des Filles Comme Toi aborde un thème pas si fréquent dans la pop.
En réalité, je me suis souvenu du single Ma Salope À Moi de Doc Gynéco. On y entend la phrase “Fais-toi fourrer si t’as envie” que je trouve pleine de tendresse. Le corps d’une fille lui appartient, c’est aussi simple que ça. Je sais que ces filles dites “faciles” ont souvent des problèmes, mais on n’a pas à les mépriser, surtout quand on en profite. On nous a parfois accusés de misogynie, mais au contraire, les femmes sont une source d’inspiration constante. Elles m’impressionnent et m’ont beaucoup apporté. Cela dit, je ne les prends pas pour des êtres parfaits. Les hommes et les femmes doivent être égaux, mais nous ne sommes pas identiques. Un monde nous sépare.

Quant aux Filles Qui Dansent, impossible de ne pas songer au single Je Bois Et Puis Je Danse d’Aline.
C’est marrant car je ne connaissais pas ce single lorsqu’on a enregistré Les Filles Qui Dansent avec Alf. Or ce dernier avait fait un remix du titre d’Aline et s’est planté en nous envoyant sa relecture, il a interverti les deux morceaux. (Sourire.) J’aime beaucoup Aline. Leurs références eighties ne sont pas les nôtres mais le songwriting est très bon. Ceci dit, notre chanson se finit mieux, le mec chope quand même la meuf. (Rires.) J’avais ce texte depuis très longtemps, il est passé de musique en musique et je voulais qu’il soit sur le disque. On a mis le morceau en boîte chez Alf en une journée. Je souhaitais mélanger le mélodramatique et l’esprit teenager, s’inspirer de sentiments adolescents pour finir sur quelque chose de grandiose. Je suis fasciné par The Shangri-Las, You’ve Lost That Lovin’ Feelin’ des Righteous Brothers ou encore les chansons de Mort Shuman et Doc Pomus pour The Drifters.

Entre A71 et Tabou, tu avais découvert les scènes soul américaines et anglaises. As-tu poursuivi ce travail d’archéologue ?
Oui – enfin on n’est pas Bob Dylan non plus. (Rires.) J’ai écouté beaucoup de rhythm’n’blues de La Nouvelle-Orléans, des chanteurs comme Ernie K-Doe entre autres. Ce Soir Ou Jamais est directement influencé par The Meters. Par ailleurs, Mes Oignons (Ne Font Pleurer Que Moi) est un pastiche d’Hank Williams. La forme des paroles, la musique, le solo, l’instrument qui prend le relais pour jouer la mélodie du pont… Ça marche toujours car les morceaux de Williams sont tellement concis, c’est la perfection.

On entend également T.Rex sur Coup De Foudre À L’Envers.
C’est vrai, l’histoire de ce titre est drôle d’ailleurs. On a reçu un mail des gens de Sony qui s’inquiétait de ne pas trouver de single – ça m’a un peu empêché de dormir sur le coup, mais finalement, c’est le rôle d’une maison de disques. On les a pris au mot et bouclé Coup De Foudre À L’Envers en un après-midi. Ça prouve qu’on peut écrire de façon hyper cynique, mais c’est marrant. Cette composition est sans doute la plus faible de l’album, mais elle reste correcte. À part cette anecdote, nous n’avons fait aucune concession, ce qui est rare pour un album sur une major.

C’est vrai que peu de disques en major parlent de bœuf bourguignon (Le Sens Des Affaires).
Et les oignons ! (Sourire.) Mais il aurait dû y avoir plus de références dans ce registre-là. Nous avions par exemple une chanson intitulée Le Déjeuner. Alf disait même que ce serait “l’album à tubes digestifs”. (Rires.) J’aime écrire sur la bouffe, c’est un sujet intéressant. Et je suis assez content des Oignons, le décor est bien planté, c’est narratif.

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JOURNAL TÉLÉVISÉ
Quelques titres comme La Mort Merde sont assez sombres. Lescop y voyait dans notre précédent numéro la chanson de métier du disque. Moi je penche pour Ce Soir Ou Jamais.
Lescop a raison. Quelqu’un essaie d’écrire sur la perte mais n’y parvient pas. La dernière phrase est limpide : “La mort, merde, ne rime à rien.” Quant à Ce Soir Ou Jamais, c’est un délire. Je ne voulais pas conclure ce troisième effort de façon mélancolique, comme les précédents. Je souhaitais une note énergique.

Peux-tu revenir sur Les Gens Sérieux ? C’est un interlude étrange.
Au collège, au lycée, on voyait parfois des gens dont on se demandait ce qu’ils avaient dans la tête. Je ne dis pas ça méchamment, mais ils suivaient les bandes, et on se demandait à quoi ils pensaient. Ces types-là n’ont pas fait d’erreur car ils n’ont jamais rien choisi. Cela dit, je me retrouve parfois dans ces personnes – je ne m’exclus ni ne m’inclus dans un personnage de chanson. Nous n’avions jamais fait d’interlude d’une minute et demie. C’est un très vieux texte en mode piano-voix. Je cherchais quelque chose d’allemand au niveau des harmonies, un truc un peu mathématique. Je n’ai pas étudié le solfège ni la musique mais j’ai découvert des astuces par hasard en apprenant les compositions des autres.

À propos, peut-on espérer un troisième volume de reprises dans la série Mustang Reprend ?
Nous avons toujours beaucoup de reprises en stock, notamment des relectures du Velvet Underground ou de Don Cavalli. Quand on nous le demande, on ne refuse jamais, mais on va peut-être se calmer à ce niveau-là. (Sourire.)

L’agencement de vos albums a souvent évolué avant d’établir la version finale. Qu’en est-il pour Écran Total ?
Ce fut plus simple. La face A est énergique, ce sont les chansons les plus “singles”. La face B est plus calme. J’évoque des faces mais en réalité je m’en fiche, je n’ai pas grandi avec le vinyle et je n’ai pas d’amour particulier pour cet objet. Je ne suis pas audiophile, j’écoute beaucoup à l’ordinateur.

Un ordinateur qu’on retrouve sur la chanson éponyme Écran Total.
À la base, c’était un instrumental destiné à une compilation qui n’a jamais vu le jour. Je comptais demander à plusieurs groupes de composer un thème de journal télévisé – enfin, j’avais surtout pensé à La Femme. L’idée m’intéressait, comment évoquer l’information avec seulement de la musique ? Bref, j’avais cet instrumental qui s’est finalement transformé en chanson. Je cherchais une suite d’accords en spirale et j’ai beaucoup pensé à Alec Eiffel de Pixies : une suite urgente dont on ne sait ni où elle débute ni où elle finit. Littéralement, un type s’aperçoit que sa copine “like” les photos d’un autre mec. C’est une histoire de jalousie classique mais moderne car Facebook amène un autre angle. Je suis amateur de science-fiction, la technologie ouvre des perspectives et des histoires nouvelles. Nous avions un autre titre dans lequel le personnage s’adressait à son PC, il voulait savoir quelles catégories l’ordinateur préférait sur le site YouPorn (gros culs, petits seins…). L’idée était intéressante mais la chanson un peu lourde alors on ne l’a pas conservée.

Les écrans sont également présents dans Je Vis Des Hauts.
C’est surtout un pur exercice de style. J’aime le hip hop et ses ego trips, or ça n’existe pas dans la pop. Je trouvais marrant d’en consacrer un aux jeux vidéo – c’était un délire, ça ne va pas plus loin.

En parlant d’ego, y a-t-il une rivalité, une émulation avec d’autres formations hexagonales ?
Chacun défend son pré carré, c’est vrai. Nous n’avons toujours pas d’équivalent, mais ce n’est pas un jugement de valeurs, c’est ainsi. Cette scène est disparate. Nous sommes très amis avec Lescop, qui nous rejoindra sans doute sur scène pour notre concert à La Machine du Moulin Rouge (ndlr. le 3 avril prochain à Paris). On reprendra La Forêt avec lui. Les mecs d’Aline sont plus âgés que nous, les membres de La Femme un peu plus jeunes mais nous avons beaucoup de points communs avec ces derniers, dans les influences comme dans la façon de faire. L’an passé, nous avons joué ensemble au Trianon (ndlr. le 11 juin 2013) lors d’une battle rock. Nous étions face à face et de profil pour le public. On a remporté cette bataille à l’applaudimètre car j’avais invité des copines pour crier. Sans cela, La Femme aurait gagné, ils ont bien plus de fans que nous. (Sourire.) On mate parfois qui a le plus d’amis sur les pages Facebook… mais jamais trop longtemps. (Rires.)

Ce troisième LP représente-t-il un quitte ou double pour vous ?
Il faut que ça marche. C’est un peu une pression, c’est vrai. Tout ce que je sais, c’est que je suis sûr de nos chansons. Les Oiseaux Blessés est bien meilleure qu’Anne-Sophie. Ce qui pourrait nous arriver de mieux, ce serait un truc à la Black Keys, du genre “ah ouais ils sont là depuis longtemps et c’est pas mal ce qu’ils font !”. Que les gens se rendent compte qu’on existe. On a des encouragements, lorsque des personnes nous reconnaissent à la sortie d’un bar par exemple. Ça fait toujours plaisir car l’important reste que les chansons soient entendues. Ma hantise serait de finir en groupe culte. Nous voudrions vivre de notre musique et gagner notre propre argent, pas celui de Pôle Emploi. Faire des bénéfices même s’ils sont minces. Ceci dit, nous ne sommes pas les plus à plaindre. (Sourire.)

Vous n’avez pas Le Sens Des Affaires
Non, et c’est bien le sujet de ce titre. Je suis fils de profs de collège, c’est un travail que je respecte énormément, mais on ne m’a jamais appris à vendre quelque chose. On me l’a déjà dit d’ailleurs : “Tu ne sais pas te vendre.” On peut nous reprocher pas mal de trucs mais pas d’être des moutons. En France, on n’est pas jugé seulement sur la musique, les relations sociales comptent beaucoup. Plus qu’ailleurs, dans ce pays, faut être un peu sympa. Parfois, je n’ai pas dit bonjour à untel et untel simplement parce que je ne les connaissais pas ou que je ne les avais pas reconnus, et ça nous a sans doute fermé des portes. Faut dire qu’on ne connaissait rien au microcosme musical en débarquant à Paris, on était des ploucs ! (Rires.)

Cette vie à la capitale t’a-t-elle inspiré ?
Oui, énormément. Si on prend la scène bordelaise par exemple, ce n’est pas du tout la même atmosphère, ils ont la belle vie là-bas, les arbres, le soleil, le surf… C’est une petite Californie. Nous, c’est plus urbain. Je parle de la voie ferrée, pas de la pinède. (Rires.)

Ce qui frappe à Paris, ce sont également les inégalités d’un quartier à l’autre.
Oui, par exemple ici, nous sommes à la limite du “bon” et du “mauvais” XVIIIe arrondissement. Je vis dans le “mauvais” mais il ne le restera pas longtemps. Étant blanc, issu de la classe moyenne, je fais partie intégrante de cette gentrification, que je le veuille ou non. Nous sommes un peu plus à l’aise qu’à nos débuts pour écrire des chansons… concernées, bien que Le Sens Des Affaires ne soit pas politique. C’est avant tout de l’humour, aligner quelques formules qui font mouche. En revanche, nous avons un inédit intitulé Quelle Sensation, qui finira sans doute en bonus sur l’édition vinyle. Je l’ai écrit suite à la vision d’un reportage sur des Américains très riches qui font des simulations de passage du Rio Grande. En Russie est proposé un circuit Goulag avec les interrogatoires et tout le bazar… C’est obscène. J’avais proposé ce titre à Jacques Dutronc car il a chanté L’Aventurier, mais je ne sais pas s’il est parvenu jusqu’à lui.

Écris-tu beaucoup pour les autres ?
J’ai également proposé des morceaux à Françoise Hardy, à Vanessa Paradis, mais les ont-elles seulement entendus ? Je ne sais pas. En revanche, j’écris énormément avec une chanteuse nommée Jo Wedin (ndlr. ex-moitié du duo Mai). Comme je te le disais tout à l’heure, un monde nous sépare et c’est assez excitant d’écrire pour une fille à la première personne en se mettant dans sa peau et en essayant d’imaginer ce qu’elle pense. Jo chante, je joue du piano et de la guitare. Là encore c’est inspiré par The Shangri-Las, le Brill Building. Jo étant Suédoise, elle n’a pas forcément une grande maîtrise écrite du français alors elle donne des idées, un pitch. L’important c’est de raconter quelque chose. J’aime les textes de Lou Reed, de Ray Davies ou des Rolling Stones, qui possèdent un véritable sens de la formule. Ce n’est pas de la poésie chantée comme Noir Désir par exemple. Lorsqu’on disait à Georges Brassens qu’il était poète, il répondait qu’il était chansonnier. Nous c’est pareil, nous sommes des chansonniers.

Pour cet album, Johan Gentile a-t-il participé à l’écriture ?
Pas aux paroles, non, mais il a composé Le Sens Des Affaires et Sans Des Filles Comme Toi. Son style est plus lumineux que le mien. Il n’est pas toujours convaincu de son travail mais j’insiste pour qu’il compose davantage. Si un jour Mustang s’arrête, je serais content que Johan poursuive dans cette voie.

La question s’est-elle déjà posée ?
J’ai envie de pousser Mustang au maximum. Je veux qu’on obtienne un succès, même relatif. En France, c’est rare qu’un groupe de rock constitué de copains d’enfance parvienne à achever quelque chose, même si c’est au-dessus de leurs moyens. C’est l’enseignement du punk : tout le monde peut le faire. Après, bien sûr, ça m’arrive d’y penser. Je sais que je ne ferai pas Mustang toute ma vie. Je souhaiterais jouer avec un autre guitariste par exemple.

Et la venue d’un quatrième membre ?
C’est une bonne question, on y a pensé comme à chaque album car une fois encore, on a mis plus de choses en studio que ce que l’on peut reproduire sur scène. Mais si on est quatre, ce ne sera plus Mustang. Nous avons un son à nous qui est perfectible mais qui nous appartient, alors c’est tout ou rien… Soit un jour je deviens chanteur et j’embauche des requins qui joueront magnifiquement pour moi, soit on prend le parti de tout faire nous-mêmes. Et , c’est Mustang.

Un autre long format ?