De Jazz Hot à Koudlam en passant par Radio FG, Flavien Berger se dévoile

“Mais ouais, mec !” À l’instar de sa musique, un carambolage d’esthétiques, de sons et d’images, Flavien Berger est expansif et volubile. Il emprunte mille méandres, digresse pas mal, retrouve le fil de sa pensée et claque un “mec” en fin de phrase, comme un point d’exclamation. Ce jeune professeur hyperactif ne se prend pas (trop) au sérieux et navigue dans la jungle des concepts sonores sans jouer l’érudit sûr de lui.

N’empêche, l’enfant du XIIIe arrondissement de Paris a une petite idée de sa place dans la scène musicale actuelle : “Ce que je propose n’existait pas. On y entend des influences mais elles ne sont pas toutes conscientes. Je suis un substrat de ma génération.” Né en 1986, ce cadet d’une fratrie de cinq frères et sœurs a grandi dans une famille de mélomanes. Daniel, son père, fut pigiste pour la revue Jazz Hot. Le môme Flavien jouait aux Playmobil au pied d’une vaste collection de 33 tours jazz, funk et soul. Sa chambre était prise en sandwich entre le hip hop de son frère et les gammes de sa frangine pianiste.

Quant à lui, il s’éclatait devant Dance Machine sur M6. “J’ai renié tout ça en me mettant au rap via Skyrock et Générations. J’ai découvert le R&B, l’electro puis Radio FG. J’avais rejeté la dance mais j’y revenais par d’autres biais.” Le Web devient alors catalyseur de cette capillarité : “De fil en aiguille, j’ai découvert Morricone puis les films de Melville, donc François de Roubaix.”Ouverte jour et nuit, cette immense médiathèque virtuelle présente son lot de déconvenues. “J’ai longtemps cru que Summer Madness de Kool & The Gang était un morceau de Grover Washington, Jr.” Entre deux malentendus, Flavien passe ses soirées casque sur les oreilles à tripatouiller le jeu Music 2000 sur PlayStation. “Je créais des instrus trippées en faisant buguer le matériel, je cherchais les failles du logiciel.”

Des années plus tard, l’étudiant en création industrielle rejoint le collectif bruxellois Sin~, qui regroupe des artistes passionnés de recherches sonores et visuelles. Lors d’une performance de la bande, Flavien fait la connaissance de Judah Warsky. Rencontre décisive. “Il m’a invité à assurer sa première partie au Point Éphémère et m’a fait découvrir des tas de trucs comme John Lennon ou Ween et ZZ Top, dont j’avais une vision très biaisée. Je vais produire son prochain EP, c’est hyper gratifiant !”

Inconnu il y a un peu plus d’un an, les choses sont allées très vite pour ce touche-à-tout speed, certes, mais pas homme pressé pour un rond. “Arthur Peschaud du label Pan European a repéré mon travail et m’a proposé de sortir un EP. Je lui ai filé des bandes, l’accueil fut bon, alors on en a sorti un second.”

Pas étonnant de le retrouver au sein de Pan European tant son travail évoque à divers degrés ceux de Koudlam ou Buvette. Ces deux EP parus l’année dernière se répondent : si la pochette de Glitter Gaze est un clin d’œil au 45 tours Temps X (1979) de Didier Marouani, son successeur Mars Balnéaire arbore le même fond mais en négatif. Les deux maxis alignent des morceaux dépassant allègrement le quart d’heure. “J’adore les morceaux aliens, je ne veux pas proposer des choses attendues. Mes textes sont assez binaires alors je tente des ruptures musicales, comme le twist d’un film.” Consacré à l’eau et aux diverses attractions (terrestres, foraines), l’album Léviathan est le fruit d’une nouvelle contrainte. “Je me suis plié au format pop, comme un exercice. Comment réduire une demi-heure de divagations à quatre ou six minutes ? J’ai fourni la matière musicale à Arthur et il m’a aidé à définir l’essence des morceaux. Judah a édité La Fête Noire et Rue De La Victoire. Sans eux, ça aurait été bien plus difficile.” Flavien Berger tient à citer tout son entourage : les vidéastes Robin Lachenal et Maya de Mondragon, la graphiste Juliette Gelli, mais aussi un Polonais nommé Paul Nasca.

“Ce type a créé un logiciel open source, PaulStretch. Ça permet d’étirer une note en gardant sa hauteur. Je l’utilise beaucoup, pour les nappes notamment. Nasca a créé un instrument. Pour moi, c’est le Moog des années 2010 !” Dernière contrainte, Berger ne s’embarrasse pas de bécane sur scène. “C’est trop facile de rejouer le morceau tel qu’il existe avec un ordinateur. Je préfère improviser musicalement comme dans les paroles. La scène, c’est un ride. Je vois beaucoup de parallèles entre la fête foraine et le concert. Ce sont tous deux des attractions.” Et comme la fête continue, un second LP est déjà sur les rails.

“À Noël, j’ai passé deux jours avec mon matos et j’ai improvisé une quinzaine de morceaux de dix à trente minutes autour de l’argent. Le fric, c’est un flux, une matière, un contrat entre les gens… Ce ne sera pas un disque politique, il ne s’agit pas de dire si c’est bien ou mal. Je vois l’argent comme un lien poétique. Évidemment, ce disque sera distribué gratuitement.” On fiche notre billet qu’on risque de reparler bientôt de Flavien Berger. Ouais, mec.