Cate Le Bon, Jeff Tweedy, Sprints…: le cahier critique du 26 septembre 2025

Avec aussi John Maus, Tom Skinner, Studio Electrophonique...

CATE LE BON
Michelangelo Dying
(MEXICAN SUMMER) – 26/09/2025

“It’s a real rodeo / It’s the last ride” ( «C’est un vrai rodéo / C’est la dernière chevauchée»), chante John Cale sur l’extraordinaire Ride, pénultième titre du septième album de sa compatriote, la Galloise Cate Le Bon. Cate, la quarantaine, évoque – comme tout au long de ce disque surgi de la douleur et né du besoin de réparer les blessures – la fin d’un amour. Mais les chœurs entonnés par Cale, comptable du double d’années, revêtent, immanquablement, un tout autre sens. Le chant du vieil homme, pour émerger des limbes du son, se fraie un chemin précaire dans la jungle des machines. L’invitation de cette voix, si humaine et familière, n’est qu’une idée merveilleuse parmi toutes celles qui peuplent Michelangelo Dying.

Cate Le Bon est autrice, compositrice et interprète de ses chansons et son talent en la matière, depuis la parution en 2009 de Me Oh My, son premier album déjà étrange et inclassable, est largement reconnu. Mais elle est aussi une réalisatrice artistique extrêmement recherchée : ces trois seules dernières années, Wilco, Horsegirl, Kurt Vile, Devendra Banhart ou St. Vincent ont fait appel à ses talents de sorcière du son. Cette attention au décor des chansons éclate ici, plus encore que dans les albums précédents de l’artiste. Coproduit, comme Crab Day (2016), Reward (2019) et Pompeii (2022), avec son complice de longue date Samur Khouja, l’album déploie des sonorités réverbérées, aux origines parfois intraçables – ici, est-ce un saxophone ou des cordes vocales ? Là, est-ce une guitare ou des synthétiseurs ? Les instruments, passés dans des chambres d’écho et soumis à d’autres filtres et effets, se revêtent d’une part d’irréel.

On renonce vite à les distinguer pour se laisser emporter par la grande vague qu’est cet album, se couler dans son courant. C’est une musique idéale pour conter la tempête des sentiments, le grand lâcher-prise de l’amour et notre impuissance à lutter contre lui. “This is how we fall apart / I’m on the ropes / You’re on the wave / I’d sing love’s story / But nothing’s gonna save it / This is how we come undone” («C’est ainsi que nous nous effondrons / Je suis au bord du gouffre / Tu es sur la vague / Je chanterais l’histoire de notre amour / Mais rien ne pourra le sauver / C’est ainsi que nous nous déchirons»), chante l’artiste sur le très beau Pieces of My Heart.

Les dix chansons sont traversées par les battements de cœur des percussions, exceptionnelles de bout en bout – la présence de la batteuse Valentina Magaletti compte beaucoup. Si le terme n’était éculé, on avancerait que l’écoute de l’album s’apparente à un véritable voyage – et c’est sans surprise qu’on découvre que Cate Le Bon l’a enregistré entre l’île grecque d’Hydra, Cardiff, Londres, Los Angeles et in fine dans le désert californien. On pense, si par hasard on s’extrait de l’hypnose de l’écoute, au travail de John Cale avec Nico (pour Camera Obscura en 1984) ou d’Eno avec David Bowie (à la fin des années 1970, pour leur trilogie berlinoise). Ce sont certes des références immenses, mais Michelangelo Dying est un disque qui fera date.

Pierre Lemarchand •••••°

SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE

TOM SKINNER
Kaleidoscopic Visions
(BRONSWOOD RECORDINGS) – 26/09/2025

C’est quoi le jazz en 2025 ? Bien des raisonnements nourris, documentés et subtils pourraient surgir pour répondre à cette question. Nous avions proposé une tentative de définition sans imposer de vérité dans notre trimestriel il y a exactement trois ans, dans un article de 16 pages. Et si Kaleidoscopic Visions, ce deuxième disque de Tom Skinner, était paru à ce moment-là, notre travail aurait été plus facile. Car le jazz en 2025, c’est ça. Et si le jazz sonne comme ça, alors il est bien redevenu un grand bloc de modernité. Ses sonorités taillent en pièce la perception d’une musique fossilisée qui peut être tenace dans les milieux pop et rock depuis les années 1970.

Le batteur Tom Skinner – qui avait fait la Une de Magic au printemps 2022 comme membre de The Smile, trois mois avant cet article susmentionné – a même composé une œuvre de free jazz puisque l’improvisation totale a été le socle de ces dix morceaux enregistrés avec de vieux complices – le bassiste Tom Herbert, le violoncelliste Kareem Dayes, les cuivres Robert Stillman et Chelsea Carmichael – et quelques invités dont le prestige confirme à quel point Skinner est une des grandes figures du renouveau du genre à l’œuvre à Londres depuis une dizaine d’années. On n’est pas surpris d’entendre Adrian Utley, guitariste de Portishead, se fondre dans Auster et Margaret Ann, deux morceaux de la première face instrumentale du disque, consacrés respectivement à l’écrivain Paul Auster et à la mère de Tom Skinner, prodige du piano classique qui a abandonné sa carrière à cause de la misogynie du milieu.

La deuxième face est celle qui fait place à trois morceaux articulés autour de l’expression vocale – le mot chanson n’est pas adapté –  avec trois autres featurings. D’abord The Maxim, désigné par Skinner lui-même comme la centerpiece du disque, cocomposé et interprété par Meshell Ndegeocello, une méditation sur la vie et la mort de presque dix minutes, dans laquelle John Coltrane aurait assurément pu d’exprimer. L’artiste de Charleston Contour (Khari Lucas), issu du hip‑hop et du R&B expérimental, récemment signé chez Mexican Summer, apporte son timbre soul sur l’hypnotique Logue. Le Londonien Yaffra (Jonathan Geyevu), vocaliste et claviériste, se saisit de See How They Run, morceau de clôture à mi-chemin entre le spoken word impressionniste et un trip-hop 2.0 qui ringardiserait presque Massive Attack. Il fallait sûrement un batteur de formation pour jouer avec le tempo comme Kaleidoscopic Visions le fait. Skinner maintient ou dissout la cohérence rythmique de sa musique avec une habileté extrême, qui nous rappelle la dextérité mélodique, parfois dictée par le silence, de Mark Hollis sur Spirit of Eden ou son premier disque solo. Ces deux-là ensemble, cela aurait pu créer une musique incroyable.

Cédric Rouquette •••••°

SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE

SPRINTS
All That Is Over 
(PARTISAN) – 26/09/2025

“Descartes, Descartes / Discord, discard / How do you heal a tortured heart?” Heureusement que, même avec mon 5/20 au bac de philo, je n’ai pas eu besoin de ressortir mes cours pour écrire cette chronique. On avait croisé Sprints pour la première fois il y a deux ans, lors de la sortie de Letter to Self. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le groupe irlandais a pris son nom au pied de la lettre : il a gravi les échelons du post-punk aussi vite que Jonathan Sexton quand il file planter un essai. Comme son prédécesseur, All That Is Over démarre dans la menace : basse réverbérée, caisse claire étouffée, larsens pour l’atmosphère. Mais là où tout paraît plus calme, la tension n’en est que plus sourde – prête à éclater tout au long de ce deuxième LP de Karla Chubb et sa bande. “I don’t grow old, I grow unrecognizable”, vocifère-t-elle dans une ouverture qui ressemble à un chemin sans destination, sous une nuit sans Lune.

Musicalement, ce constat est presque faux : All That Is Over ressemble bel et bien à Letter to Self. Les guitares vous attrapent toujours à la gorge comme cet ancien sympathisant de l’IRA à qui vous auriez eu le malheur de servir une Guinness sans mousse ; la section rythmique entretient ce climat tempétueux ; et la voix explose, rageuse, quelque part entre riot grrrl et punk dublinois. Tant mieux : c’est exactement ce qui nous avait séduits à leurs débuts. Mais la production, confiée à Daniel Fox (Gilla Band), se révèle plus aérée, plus lumineuse. Appelez ça post-punk, crank wave, voire nouvelle musique traditionnelle irlandaise – vu l’export du pays depuis une décennie – peu importe : ce qui sort des amplis de Sprints est d’une maîtrise quasi académique.

Et c’est surtout dans son dernier tiers, notamment sur les trois dernières pistes, que All That Is Over frappe le plus fort. Better et Coming Alive flirtent ouvertement avec My Bloody Valentine, nous écrasant sous des murs de son qui rappellent qu’au-delà du whiskey, l’Irlande sait aussi produire du shoegaze. Thématiquement, l’album explore l’ambivalence entre la laideur du monde et la beauté de la vie d’artiste, cette période charnière entre deux histoires brûlantes, le poison doux-amer de la vanité ou encore le mépris de certains journalistes, plus prompts à écrire sur la perte de poids de Karla Chubb que sur sa musique (Need). Avec, toujours, une plume acérée, bousculant au passage idoles et figures religieuses (“She’s bits and pieces / Her mouth calls me Jesus”, dans Pieces). Avec ce deuxième disque, Sprints s’affirme comme l’un des groupes irlandais à suivre absolument. Reste à espérer que leur carrière prenne désormais la forme d’un marathon.

Jules Vandale ••••°°

SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE 

JOHN MAUS
Later Than You Think
(YOUNG) – 26/09/2025

Les dernières nouvelles reçues de John Maus, en janvier 2021, n’étaient pas folichonnes. Vu avec son camarade Ariel Pink parmi les manifestants pro-Trump lors de l’assaut du Capitole à Washington – où ils s’étaient rendus pour la blague, et éventuellement filmer l’événement –, il a répondu à ses fans furax en postant sur Twitter un extrait d’une encyclique de 1937 du pape Pie XI dénonçant l’idéologie nazie. Cela n’a pas suffi, John Maus s’est retrouvé cancelled par une bonne partie de l’industrie et s’est retiré dans son studio en attendant que l’orage passe.

Au regard des précédentes déclarations du musicien – se disant en 2017 «à la gauche de la gauche de la gauche de la gauche» –, et du contenu de ses chansons (Rights for Gays, en faveur des luttes LGBT, Cop Killer, défonçant les polices de l’esprit), personne n’aurait pourtant pu douter des convictions politiques de Maus, quand bien même celui-ci a parfois joué avec les ambiguïtés de son statut d’icône indie pop (inventeur, pour certains, de l’hypnagogic pop). Doctorant en sciences politiques, auteur d’une thèse traitant de l’influence de la technologie sur le contrôle social (Communication and Control, 2014), Maus est aussi catholique pratiquant. Le titre de ce sixième album, Later Than You Think, vient ainsi d’un memento mori que les moines orthodoxes se gravaient sur le crâne au Moyen Âge : «Il est plus tard que tu ne le penses. Hâte-toi d’accomplir l’œuvre de Dieu», tandis que la piste N°10, Tous Les Gens Qui Sont Ici Sont D’ici est une phrase du philosophe marxiste Alain Badiou, statuant sur l’acceptation des étrangers et le rejet de la xénophobie.

Associant beats binaires de boîtes à rythmes, arpèges de synthétiseurs vintage eighties et harmonies inspirées par la musique sacrée (des médiévaux à Bach ou Haendel), sur lesquelles Maus pose ses scansions réverbérées d’une voix de baryton rappelant Ian Curtis ou Peter Murphy, sa musique a souvent été comparée au postpunk gothique des années 1980, sans que l’on sache toujours si elle relève de l’ironie postmoderne ou d’une authentique recherche formelle (ses performances scéniques intenses, entre pogos et headbanging furieux, qu’il conceptualise comme «hystérie corporelle», relèvent elles-mêmes d’une critique des représentations pop). Sur Later Than You Think, on retrouve le synth-punk dépouillé de Songs (2006) et Love Is Real (2007), l’avant-pop luxuriante de We Must Become the Pitiless Censors of Ourselves (2011) et les ambitieux projets symphoniques de Screen Memories (2017).

Les thèmes religieux abondent (le single I Hate Antichrist, deux adaptations d’hymnes en latin !), comme les complaintes névrotiques/apocalyptiques (“Because we built it / We can watch it go up in flames”, chante-t-il sur Because We Built It, ou “Here’s your time for disappear” sur Disappears) ou les odes à la résilience (Let Me Through, Reconstruct Your Life). John Maus semble plus que jamais aspirer à la transcendance, avec la conviction sincère que le temps presse. Dommage cependant qu’il délivre son évangile avec ses arguments habituels – mysticisme et critique, contrepoint baroque et harmonie pop, solennité gothique et pulsations électroniques –, il ne convaincra que les convaincus. Pour les autres, ses chansons sonneront comme le latin, langue morte. Il est peut-être plus tard qu’il ne le pense.

Wilfried Paris •••°°°

STUDIO ELECTROPHONIQUE
Studio Electrophonique
(VALLEY OF EYES RECORDS) – 26/09/2025

Vous êtes dans un bus, vous rentrez de la filmothèque du Quartier Latin – là où se trouve the world’s most beautiful cinema, selon le titre des deux interludes du disque. Soudain, l’inspiration vous frappe… donc vous sortez directement votre orgue électronique et votre tascam de votre – très grand – sac à dos pour saisir le moment. C’est grosso modo comme ça que j’imagine James Leesley composer ces petites merveilles bricolées, dignes d’une sortie sur feu Sarah Records, qu’il sort sous le pseudonyme de Studio Electrophonique – bon, sauf qu’il réside à Sheffield, lui. Et, enfin, ces petites merveilles bricolées se voient offrir le long format qu’elles méritaient, six ans après Buxton Palace Hotel et trois ans après Happier Things, deux EP. La musique de Leesley, faite de manque et de désir, de petits bonheurs et de grande mélancolie, mais surtout d’un assemblage aussi minimaliste que réussi d’un orgue électronique qui tressaute parfois et d’une boîte à rythmes en plastique, est d’une touchante simplicité. Avec All Time Biggest Fans, Handbrake Turns, Taxi Ride, mais surtout Too Many Lonely Nights, la pluie anglaise, celle qui noie les larmes, n’a jamais été aussi bienvenue. 

Jules Vandale •••••°

Jeff Tweedy
Twilight Override
(DBPM RECORDS) – 26/09/2025

L’ampleur de ce triple album, Jeff Tweedy l’explique ainsi : face aux ténèbres qui dévorent notre monde, et en particulier son pays les États-Unis, sa créativité est la seule arme qu’il possède. Elle génère une lumière assez puissante pour manger toute cette noirceur. Au centre de cette œuvre somme : le crépuscule (“twilight”), ce moment étrange où le jour se meurt, les lueurs se mutent en nuit, le temps se suspend entre passé et avenir, nous plongeant dans un présent incertain. C’est ce présent, cette vie qui s’offre en tous ses possibles, dont s’empare le Chicagoan pour fabriquer ses chansons, «tuer le temps avec des rimes obliques, des changements de tonalité et des harmonies». L’autre repère pour lui, ce sont ses proches – les amis, la famille. Aussi sont-ce eux dont il s’entoure dans cette collection de chansons : James Elkington, Sima Cunningham, Macie Stewart, Liam Kazar et ses enfants Sammy et Spencer. Tout ici passionne et bouleverse. On retrouve le timbre fêlé de Jeff, ainsi que ce mélange miracle éprouvé au sein de Wilco entre les musiques enracinées (folk, country, rock) et l’aventure à l’œuvre dans les arrangements. Cette quête – concilier le passé et l’avenir et ainsi trouver une place vivable en ce monde – est la quête de Jeff Tweedy. Son rêve américain.

Pierre Lemarchand ••••°°

SAM PREKOP
Open Close
(THRILL JOCKEY) – 26/09/2025

S’il est un musicien qui est largement sous-estimé, c’est bel et bien Sam Prekop, le leader du groupe de Chicago, The Sea and Cake, qui, avec ses amis ou en solo, délivre une discographie qui ne cesse de s’affranchir des carcans pop. Autant son complice John McEntire au sein de The Sea and Cake, également tête pensante de Tortoise ou de Feu Gastr Del Sol travaille une matière qui doit autant au jazz, à la musique concrète, au post-rock ou qu’à un jeu avec l’abstraction, autant ensemble, les deux s’emploient à jouer avec les matières électroniques. C’est cela que l’on retrouve sur Open Close, ce disque solo de Prekop. Mais ici, contrairement aux albums plus anciens de l’Américain, la texture semble l’emporter sur le rythme et laisse dérouler des formes filandreuses pour le moins déconcertantes, pas forcément les plus évidentes d’approche pour entrer dans le répertoire de Prekop. Ce qui est d’autant plus déroutant sur Open Close, c’est sa capacité à changer d’humeur mais aussi d’angle de vue et de perception. Open Close peut être tour à tour austère pour ne pas dire carrément lugubre puis se révéler chatoyant et resplendissant. Ce qui est sûr c’est que Prekop se refuse à toute forme de manichéisme, s’appuyant sur l’intelligence présumée de son auditeur et sa curiosité de chaque instant. Open Close n’est certainement pas un album pour les frileux. Toutefois, il faudra, pour mieux s’y glisser, se donner un peu de patience, se laisser porter par cette exigence parfois intimidante mais qui récompense celui qui s’attardera.

Grégory Bodenes ••••°°

SONS
Hallo
([PIAS]) – 26/09/2025

Avec Hallo, les Belges de Sons amorcent un virage significatif. Délaissant (en partie) l’énergie brute du garage-rock de Family Dinner (2019) et Sweet Boy (2022), ils livrent un troisième album davantage structuré, introspectif où la fureur immédiate cède le pas à une écriture musicale et textuelle plus précise. L’exigence du producteur expérimenté David McCracken (dEUS, Depeche Mode, Ian Brown) n’y est sans doute pas étrangère puisqu’il va pousser le groupe à revoir sa méthode pour faire passer le propos avant les riffs et donner plus de souffle et de cohérence aux compositions. Plus groovy, parfois presque dansants (All Gold) voire tubesques (Big Mouth) les morceaux gagnent en profondeur sans perdre en impact. Le single Do My Thing en est la synthèse parfaite : catchy, nerveux, mais habité par une intention claire, celle de plaire sans jamais se trahir. Plus qu’un simple ajustement esthétique, le quatuor interroge sa propre place dans une scène rock contemporaine saturée de clones et de redites. Injustement dans l’ombre de leurs illustres compatriotes It It Anita, La Jungle ou Le prince Harry, Robin Borghgraef et sa bande, en prenant le risque de la nuance, prétendent aux premières places. C’est tout le mal qu’on leur souhaite. 

Cédric Barré ••••°°

Puts Marie
Pigeons, Politicians § Pinups During the End Time of Mankind
(PUTS MARIE / INOUÏE DISTRIBUTION) – 26/09/2025

Ce qui séduit chez les Helvétiques de Puts Marie, c’est cette façon d’installer une ambiance, un climat, avant que la voix éraflée de leur chanteur et comédien, Max Usata (un alias pour Miro Caltagirone), s’élève et vienne prendre sa place, sans forcer, en laissant les instruments occuper l’espace. Né à Bienne en Suisse en 1999, dans la zone tampon où l’on parle français et allemand, la formation en est déjà à son sixième album mais était restée sous mon radar jusqu’à la découverte de ce disque au titre à rallonge. Un album qui s’apprécie dans sa globalité, développant une sorte de rock progressif, atmosphérique, un peu expérimental mais en même temps bien enraciné. Un peu dans l’esprit de Radiohead, à la différence de cette voix, celle donc de Max Usata (par rapport à Thom Yorke), qui évoquerait une sorte de vieux sage sur A Con Man Goes Around, ou un émule doué de Tom Waits sur Long Distance Runner. Le disque ne compte que six titres mais on passe de l’un à l’autre de façon très naturelle, avec en point d’orgue ce titre, Robber’s Daughter. Un morceau porté par une basse caractéristique au charme poisseux, insidieux. Chez Puts Marie, tout est mêlé, entremêlé, biaisé et filandreux. Difficile d’écrire pourquoi – vraiment – on les aime mais il y a dans cette musique quelque chose qui bouillonne mais engourdit aussi comme un poison rare. Une sorte de curare.

Frédérick Rapilly ••••°

R/A/D
Outta Sight
(PROHIBITED RECORDS) – 26/09/2025 

Voilà deux fortes personnalités du paysage musical français, avides d’expériences et de collaborations, qui se rencontrent et conjuguent leur talent dans un projet buissonnier et singulier, R/A/D, né fin 2022. Avec sa voix imposante et envoûtante comme signature, Brisa Roché, née en Californie et installée en France, évolue depuis les années 2000 dans un univers rock flottant entre psyché et jazz folk. Elle vibrionne depuis des années : BO (Jalil Lespert fait appel à elle pour la bande-son de son film Yves Saint Laurent), roman, projet électro et album plus pop (son disque magistral avec Fred Fortuny en 2021). Nicolas Laureau ne tient pas plus en place. C’est l’homme d’un label essentiel Prohibited Records. Huit albums avec Don Niño, des remix, un album de reprises, des collaborations avec le vidéaste Pierrick Sorin, son autre groupe NLF3… N’en jetez plus. Du travail commun de ces deux caractères émerge un album halluciné de blues et de drone suspendu, bercé par la voix si prégnante de Brisa Roché, souvent spoken word ou dédoublée. C’est dissonant, bourdonnant (Dark Blue) urticant (Orange) et électro punk mais aussi d’une douceur opiacée dans son épure intime (Yellow). Comme un collapse fécond de Throbbing Gristle, de Broadcast et de Karen Dalton. 

Rémi Lefebvre ••••°°

SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE

NEKO CASE
Neon Grey Midnight Green 
(NEKO CASE) – 26/09/2025

Neko Case est toujours passée en France en-dessous des radars et n’a jamais vraiment percé alors que depuis 1997, elle a construit, de l’autre côté de l’Atlantique, au fil de ses dix albums, une stature de figure de l’alt-country folk (elle dit faire de la «country noire»). Femme puissante, elle a aussi multiplié les projets parallèles (The New Pornographers ou l’excellent side project avec KD Lang et Laura Veirs en 2016). La revoilà avec Neon Grey Midnight Green, premier album depuis 2018, qui, fort probablement, ne lui donnera pas plus d’écho en France mais qui est à la hauteur du songwriting précieux et élégant qui la caractérise. Elle l’a produit elle-même dans son studio du Vermont comme un acte féministe : “I’m proud to say I produced this record. It is my vision. It is my veto power. It is my taste”. Et elle s’en sort très bien. Elle rend hommage avec pudeur à de nombreux musiciens décédés autour d’elle ces dernières années. Le style de Neko Case n’a pas changé et tant mieux. Comme chez Ron Sexsmith, qui vient de sortir un nouveau disque avec une constance proche dans la classe surannée, l’artiste américaine ne change pas de formule. Et on se replonge avec bonheur dans ses mélodies aériennes, sa voix intense et ses arrangements soyeux, qui font merveille sur le single étincelant Wreck ou Little Gears

Rémi Lefebvre •••°°°

SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE