Adrianne Lenker
Adrianne Lenker

Bonheur, tristesse et chansons : le Top 2020 de Matthieu Chauveau

Entre 2020 et 2021, nos rédacteurs résument leur année pop dans un Top 10 de leurs albums préférés. Aujourd'hui, Matthieu Chauveau.

  1. ADRIANNE LENKER —Songs (4AD)
  2. THE APARTMENTS – In and Out of the Light (Talitres)
  3. CABANE —Grande est la Maison (Cabane Records)
  4. NICOLAS GODIN – Concrete and Glass (Because Music)
  5. THIS IS THE KIT – Off Off On (Rough Trade)
  6. FIELD MUSIC – Making a New World (Memphis Industries)
  7. LENPARROT – Another Short Album About Love (Futur Records)
  8. FLEET FOXES – Shore (Anti-/PIAS)
  9. DIRTY PROJECTORS – 5EPs (Domino Records)
  10. LESNEU – Bonheur ou Tristesse (Music for the Masses)

Comme certains historiens font débuter le XXe siècle à l’été 1914, il n’est pas impossible qu’à l’avenir, on retienne le 17 mars comme vrai commencement de l’année 2020. C’est un fait, les albums sortis (et écoutés) avant le début du confinement paraissent appartenir à une année étrangère, intrinsèquement liée à vous savez quoi. De ce court répit que nous aura accordé 2020, ce sont étrangement deux disques concepts (un format qui d’ordinaire ne m’inspire que bâillements) que je garde en mémoire : Making a New World de Field Music, justement autour de la Première Guerre mondiale, et Concrete and Glass de Nicolas Godin, dédié à l’architecture. Deux disques opposés dans leur traitement (le premier plein de notes et de constructions alambiquées, le deuxième tout en épure stylisée) qui, chacun à sa manière annonçait ce qui allait suivre : le « nous sommes en guerre » et les longues journées à arpenter nos intérieurs.

Mais fort heureusement, Grande est la Maison, pour qui sait se laisser porter par l’écoute de grands disques rêveurs, comme nous l’a rappelé Cabane avec son œuvre à la croisée du folk et de la pop, de l’intime et du collectif (la présence d’une kyrielle d’invités triés sur le volet). Année d’indécision par excellence (aurais-je ou non le droit de sortir librement demain ? D’aller au cinéma ? D’assister à un concert ?), 2020 aura trouvé un parfait compagnon d’(in)fortune en la personne du Bonheur ou Tristesse de Lesneu, disque qui oscille avec un même lyrisme entre ces deux émotions. 

Année taillée sur mesure pour rester chez soi écouter de la musique (et pourquoi pas revisiter sa discothèque personnelle), 2020 aura pour certains artistes été l’occasion de créer. Pendant le confinement du printemps, de grands disques furent enregistrés ou finalisés. C’est le cas de In and Out of the Light des toujours impeccables The Apartments, de Shore de Fleet Foxes ou encore de Songs and Instrumentals d’Adrianne Lenker. Face à la pandémie mondiale, Robin Pecknold (Fleet Foxes) et Adrianne Lenker (échappée de Big Thief) ont opté pour une démarche contraire : le premier en rendant son folk plus luxuriant que jamais (sans oublier d’être complexe, quitte à faire des clins d’œil à la musique contemporaine), la seconde en se réfugiant dans une cabane (sans majuscule) en forêt, avec guitare et peine de cœur en bandoulière pour un disque introspectif et cathartique.  

Mais, bon gré mal gré, la vie artistique a continué en 2020 et il a bien fallu sortir des albums, quand bien même ils avaient été écrits bien en amont de la pandémie. Pour illustrer cette prise de recul, quel plus beau titre qu’Another Short Album About Love de Lenparrot. Et si, en ces temps incertains, c’est juste d’un album d’amour de plus dont on avait besoin ? Derrière son intitulé modeste, le disque renferme une grande richesse musicale entre pop, soul urbaine, réminiscences de jazz et de musique du monde. Tout comme le Off Off On de Kate Stables alias This Is the Kit, dont la voix illuminait déjà la Cabane (avec majuscule) évoquée plus haut. Mais au petit jeu du brassage d’influences, c’est sans doute Dirty Projectors qui restera le grand gagnant de 2020. 5 EPs est comme son nom l’indique une compilation d’EP sortis dans l’année, avec la particularité que Dave Longstreth met dans chacun d’eux l’une des musiciennes qui l’accompagnent au premier plan. Un disque printanier et foisonnant (pop, folk, R’n’B, electro et musique contemporaine y défient les mesures barrières) qui ne ressemble en rien à 2020, et qui lui survivra certainement, comme je n’en doute pas les neuf autres albums de ce top subjectif, et donc forcément restrictif*.

Bonus :
MOCKE – Parle Grand Canard (Objet Disque)
RICHARD ALLEN – Locust Tree Lane (Violet Set Records)

Alors que je statuais début décembre sur mon top 10 pour le hors-série de Magic actuellement en kiosque, deux disques venaient tout juste de se poser sur ma platine, pour ne plus la quitter jusqu’à aujourd’hui. À quelques jours près, Parle Grand Canard de Mocke et Locust Tree Lane de Richard Allen se seraient certainement frayé un chemin dans mon palmarès personnel. Grands disques de compositeurs-arrangeurs, l’un et l’autre se complètent admirablement : celui de Mocke dans une veine à la fois hautement poétique, savante et délicieusement espiègle, et celui Richard Allen dans un registre plus ordinairement mélancolique mais qui touche en plein cœur, telles cinq feuilles automnales échappées de l’arbre Nick Drake.