Astrel K (The Foreign Department) bannière
© Callum Brown

Astrel K : “Comme un correspondant étranger qui ne sait pas s’il doit rentrer chez lui…”

Deux ans après "Flickering i", Rhys Edwards nous revient sous l’alias d’Astrel K avec "The Foreign Department", album de rupture et de déracinement. Le Londonien expatrié à Stockholm évoque la teneur toute particulière de cet essai à la pop orchestrale, mélancolique et voluptueuse, loin des structures motorik de son principal projet Ulrika Spacek. Rencontre dans un café près de Montmartre.

C’est peut-être une question douloureuse, mais The Foreign Department est présenté comme un album de rupture, de divorce. J’imagine que, plus que jamais, sa composition a eu un effet thérapeutique ?

Si tu veux vraiment savoir, j’ai commencé à écrire environ un an avant que la rupture, après une relation s’étalant sur dix ans, soit effective. La rupture en elle-même a été plutôt rapide, soudaine. Mais à l’époque des premières ébauches, ce n’était pas du tout d’actualité. C’est comme si mon subconscient était au courant de nombreux mois avant moi, comme s’il suranalysait la situation pour me préparer à cette éventualité à laquelle je ne voulais peut-être pas croire. Je savais juste que je n’étais pas forcément heureux durant cette période, mais j’ignorais que cela pouvait provenir de mon couple. Et quand ma femme et moi nous sommes finalement séparés, tout ce que j’avais pu écrire m’a semblé clair comme de l’eau de roche. L’art imite la vie, parfois avec un temps d’avance. Étonnamment, j’en étais heureux, parce que j’avais un témoignage sincère de ces temps compliqués à vivre. Et en y repensant, ça fait vingt-cinq ans que je fais de la musique, j’ai pu avoir de nombreux projets, et tous tiennent à leur manière un rôle de jalon du parcours de ma vie. Mais The Foreign Department, en raison des circonstances, restera mon disque le plus personnel.

Quand ma femme et moi nous sommes finalement séparés, tout ce que j’avais pu écrire m’a semblé clair comme de l’eau de roche. L’art imite la vie, parfois avec un temps d’avance

Rhys Edwards

Elle est au courant de son existence ?

Mon ex-femme ? Oui, elle est au courant pour The Foreign Department (rires). Elle m’a entendu travailler sur les démos, et le jour où le premier single est sorti [Darkness at Noon, ndlr], elle m’a envoyé un petit message… «Je connais cette chanson par cœur…».

Astrel K est un projet que tu as lancé pendant une période de vache maigre dans Ulrika Spacek, après l’EP Suggestive Listening paru en 2018, alors même que tu suivais justement ton épouse en Suède, d’où elle est originaire. Tu vis toujours en Suèdes aux dernières nouvelles, et le titre de l’album, The Foreign Department, laisse penser de façon évidente que ton rapport au pays a bien changé depuis ce divorce. Est-ce que tu te sens étranger à Stockholm ?

Flickering i, mon premier disque sous l’alias d’Astrel K, était basé sur mon arrivée et mes premières années en Suède, sans n’y connaître personne. The Foreign Department, comme tu le dis, explore cette sensation d’être étranger dans un pays qui n’est pas le tien, parce que ta seule véritable attache à ce pays ne fait plus partie de ta vie. J’aime bien voir dans le titre de l’album une métaphore. Quelque chose comme un correspondant étranger – comme tu as pu en avoir quand tu étais à l’école – qui se retrouve coincé dans un pays suite à un voyage scolaire et qui ne sait pas totalement s’il doit, et comment, rentrer chez lui. Le plus étrange, et même si j’ai réussi à rencontrer des musiciens qui m’ont aidé sur ces deux projets, c’est que je ne me sens absolument pas faire partie d’une scène musicale à Stockholm. J’ai l’impression d’être un outsider ici. Et comme la musique est la chose qui m’a toujours permis de m’ancrer à une réalité, de faire partie d’une communauté, je me sens vraiment isolé. Il n’y a pas de scène indie à proprement parler, comme en Angleterre par exemple. Il y a de très bons projets de musiques électronique, expérimentale ou drone, et la plupart sont dispatchés entre Stockholm et Göteborg. Il y a un côté un peu élitiste, et je ne retrouve pas de gens prêts à fréquenter les bars à concerts comme ça pourrait être le cas à Londres, par exemple. Je pense que je n’ai pas choisi le meilleur endroit pour vivre (rires).

Justement, dans Darkness at Noon, tu as cette phrase : Welcome to the family / But take a seat by the door («Bienvenue dans la famille / Mais prends la chaise la plus proche de la porte»), qui laisse penser que ta condition d’artiste pouvait même te laisser un peu étranger à ta belle-famille…

Ma belle-famille a toujours été très gentille avec moi. Mais tu sais, le plus triste, c’est que quand tu n’as pas vraiment de gros succès artistique, c’est toujours par rapport aux parents de ta copine que tu es le plus honteux (rires). Pour Darkness at Noon, cette partie-là, c’est plus une métaphore de la préparation à l’échec. Tu rentres dans une famille mais tu sais que tu ne vas pas y rester trop longtemps, donc on te prépare déjà à ton départ. Cette chanson sonne un peu comme une nuit qui tombe trop rapidement. Mais tout le monde peut faire des erreurs, non ?

Death of a Ladies’ Man… Cet album reste celui où Leonard Cohen est le plus sac à merde dans ses textes, mais il arrive quand même à être drôle et touchant. Je voulais faire la même chose

Rhys Edwards

Par rapport à Flickering i, dont l’enregistrement était relativement artisanal, comment s’est passé celui de The Foreign Department ?

J’étais dans un petit cottage au milieu de nulle part, dans un bâtiment qui datait… de 1645 ! Je me demandais parfois s’il n’était pas un peu hanté… La nuit, j’entendais parfois de drôles de bruits, comme si des fantômes étaient en train de s’amuser (rires). Mais, là encore, j’étais isolé. J’avais deux inspirations principales pour cet album : les Beach Boys et Death of a Ladies’ Man (1977) de Leonard Cohen. Je voulais incorporer des parties orchestrales, un mur de son très spectorien, et moins de guitares que dans Ulrika Spacek. J’ai beaucoup écouté Leonard Cohen pendant le processus créatif. Cet album reste celui où il est le plus sac à merde dans ses textes, mais il arrive quand même à être drôle et touchant. Je voulais faire la même chose.