Oneohtrix Point Never et Mélanie Pain : le cahier critique du 21 novembre 2025

ONEOHTRIX POINT NEVER
Tranquilizer
(WARP RECORDS) – 21/11/2025

Inspiré par des visites chez son dentiste, ou plus exactement par le paradoxe cognitif que constitue l’écoute d’une muzak apaisante chez son dentiste en même temps que le son abrasif de la fraise creusant une carie, Daniel Lopatin a intitulé son nouvel album Tranquilizer, autant pour évoquer la fonction anesthésiante d’une certaine musique ambient que pour en signaler la dimension coercitive. Littéralement, Tranquilizer parle de ces moments où l’on vous force à vous détendre. Ses morceaux partent généralement d’une base minimaliste (boucles de nappes synthétiques, accords de piano légèrement glitchés, ambiances de sous-bois tropical dans un jeu vidéo) pour gagner en volume, en textures, en intensité et dériver progressivement vers l’inquiétude et la complexité, comme une hallucination sonore, une rêverie diffractée.

Conceptuel à bien des égards, offrant tout à la fois l’évasion exotico-onirique de l’ambient et le constat alarmant de l’impossibilité d’échapper à la douleur du moment, Tranquilizer a aussi été inspiré par la disparition – puis la réapparition – d’une vaste collection de samples des années 1990, que Lopatin avait bookmarké sur le site Internet Archive. Ainsi façonnée autour de l’idée d’obsolescence, sa musique semble vouloir capturer l’émotion d’une époque où tout est archivé et en même temps sans cesse menacé de disparition. Du calme ambient au chaos numérique, des textures familières (clichés) aux surcharges émotionnelles, Tranquilizer est sans doute l’un des albums les plus accessibles et les plus mélodieux de Daniel Lopatin, à la limite du cringe : entre les gazouillis d’oiseaux numériques, les sonorités aquatiques irisées, les flûtes de pan synthétiques et les saxophones évaporés, on s’attend toujours un peu à voir apparaître un des dauphins du Grand Bleu ou un réplicant de Blade Runner.

C’est aussi que la vision qu’a Lopatin de cette impermanence numérique n’est pas catastrophiste : comme la vie naturelle, les choses apparaissent et disparaissent, pour réapparaître ensuite, ou non. Lopatin offre comme une seconde chance, une autre existence, peut-être plus pérenne, à ces sons du passé, avec une affection palpable pour les émotions qu’ils véhiculent, sans tomber dans une nostalgie morbide. On est plus proche du travail hanthologique de Boards of Canada (les premiers artistes electronica à avoir travaillé à partir de librairies d’illustrations sonores) ou des chill rooms bâties par The Orb ou Future Sound of London dans les années 1990. Si Lopatin a bien sûr utilisé des outils numériques pour organiser et agencer ces samples (notamment le logiciel Sononym), son traitement rend le geste du musicien audible (dans l’irrégularité des séquences, la disruptivité des changements de tonalité, une véritable écriture musicale), à rebours de toutes les injonctions actuelles de la Silicon Valley pour dévaloriser l’auteur au profit de la machine (l’IA). Parfois, cette musique semble respirer.

Wilfried Paris •••••°

SORTIE CD, DOUBLE VINYLE ET NUMÉRIQUE

MÉLANIE PAIN
How and Why
(CAPITANE RECORDS / MODULOR) – 21/11/2025

Trop de «mignonitude» peut tuer la «mignonité», c’est juste ce qu’on pourrait éventuellement reprocher à ce quatrième album en solo de la Française Mélanie Pain, chanteuse emblématique du projet Nouvelle Vague. La Caennaise à la voix caressante, enfantine, parfois mutine, ne s’éloigne guère de cette musique folk, intimiste, câline, qu’elle chérit tant. Si elle cite des artistes comme Iron & Wine, l’Islandaise Emiliana Torrini ou encore Kings of Convenience comme boussole(s) musicale(s) lui indiquant ce cap qu’elle entend (re)trouver et conserver, ce nouveau disque ressemble beaucoup à ce qu’on a pu déjà entendre avec Nouvelle Vague. Le savoir-faire est certain dans cette douceur, cette volupté mais la monotonie révèle l’absence d’aspérités. Ainsi, Dreamloop (le premier extrait), puis Magnolia, We Were Kids, ou encore Same se mélangent, s’emmêlent, lancinants, délicats… Le disque s’écoute sans déranger, et c’est en cela sa limite. Après, il y a un savoir-faire certain, qui s’entend sur Bluer Than Blue en ouverture. Tout en restant dans le registre de la douceur, ce titre dénote en s’aventurant dans un univers plus Lynchien, celui d’un conte de fée plus pernicieux, moins vertueux. Peut-être une (autre) direction à explorer…  

Frédérick Rapilly ••••°°

SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE