Ben Lee – Something To Remember Me By

Retour sur un grand disque jamais réédité avec le deuxième album de l’Australien Ben Lee, paru en 1997 sur le label des Beastie Boys, Grand Royal. Bee Lee vient d’ailleurs de sortir son tout nouveau disque, Love Is The Great Rebellion, en écoute par ici.

LE CONTEXTE

La communauté internationale se pose de légères questions. Alors que beaucoup de pays se réunissent à Kyoto pour s’interroger sur l’avenir de notre belle planète, un dénommé El Niño crée de fortes perturbations climatiques. Ce sera l’un des premiers dérèglements climatiques réellement traités et analysés médiatiquement. Mais le protocole de Kyoto sera peu suivi d’effets. Le monde a d’autres préoccupations, plus immédiates. L’Amérique juge le cerveau de l’opération terroriste qui avait touché le World Trade Center en 1993. À Louxor, soixante-huit personnes périssent sous les assauts de fanatiques islamistes. Le conflit israélo-palestinien s’enlise et de nombreux points d’achoppements s’établissent sur le continent africain. La planète gronde en sourdine, laissant présager de tristes lendemains. En France, Jacques Chirac dissout l’assemblée nationale. Ce ne sera pas son intuition politique la plus heureuse puisque la gauche l’emporte aux élections législatives et Lionel Jospin devient premier ministre. Sinon, le pays prépare sa Coupe du monde de football en ne cessant de décrier son équipe nationale – un classique. La musique offre elle aussi des classiques. Radiohead est OK pour livrer son chef-d’œuvre. Peter Milton Walsh de The Apartments revient avec un disque qui fleure bon l’électronique. Smog bouffe des pommes splendides et Alpha bricole des chansons descendues du ciel. On le voit, l’art est le contrepoint idéal face au merdier du monde.

L’ARTISTE

Ben Lee adolescent, c’est la tête à claques du collège. Vous savez, ce type pas beau qui occupe tout l’espace, qui ne cesse de parler et de vouloir faire rire, que l’on trouve naze mais qui sort au final avec les plus belles filles. Par sa redoutable intelligence, Ben Lee sait pourtant se faire accepter par les bandes d’adolescents et parvient rapidement à mener ses projets à leur terme. En gros, ses chansons enregistrées dans sa chambre d’ado doivent sortir au grand air. Il forme pour cela Noise Addict. Le garçon a treize ans et la voix d’un résident des studios Disney. C’est un fan des Lemonheads, Pixies et autres Weezer. Les premières démos de Noise Addict ont une évidence mélodique rare. Steve Pavlovic, qui bosse pour le label Fellaheen Records, ne s’y trompe pas.

Il voit la bande de gosses sur scène, fait abstraction de leur âge et se dit que c’est foutrement bon. Dans la foulée, il envoie une cassette à Thurston Moore. Enthousiaste, le grand échalas de Sonic Youth sort le EP Def (1994) sur son label Ecstatic Peace!. Noise Addict connaît son petit succès, compose un titre en hommage à Evan Dando (I Wish I Was Him) et se fait remarquer par Mike D des Beastie Boys. Le groupe signe avec le label des Beastie, Grand Royal, et sort son premier véritable succès, Young & Jaded (1994). La tournée qui suit génère des embrouilles. Ben Lee entrevoit les limites de cette collaboration et préfère la jouer solo pour le bien de ses créations. Accompagné de Brad Wood et de la sculpturale Liz Phair, Ben Lee offre un instantané pop merveilleux, parfois suffisant et agaçant : Grandpaw Would (1995). Un disque qui collecte toutes ses chansons fétiches et ses lubies adolescentes. Une page se tourne, bye bye l’enfance.

L’ALBUM

Grandpaw Would ressemblait à un diaporama présentant les moments importants de l’enfance et de l’adolescence de Ben Lee. C’était une œuvre juvénile, belle et maladroite. Le jeune homme voyage désormais, principalement aux États-Unis. Il rencontre des tas de personnes et a l’impression d’embrasser la vie furieusement. Il lit énormément (Hemingway, Kerouac, Faulkner et Salinger). Ben Lee ne cesse d’interroger le monde qui l’entoure, avec parfois de la maladresse ou de l’arrogance, mais tout part du cœur et d’un appétit de vivre prodigieux. Cette complexité, ce besoin de donner un sens au chaos de l’existence, Ben Lee va les affronter en tant que poète. Il laisse tomber les artifices de l’électrique. Il écoute Jonathan Richman, Randy Newman et Bob Dylan. D’ailleurs, sur l’artwork de Something To Remember Me By, on le voit avec son visage d’enfant en train d’essayer de reproduire les poses et les ambiances des pochettes de Dylan et Richman. Ben Lee se tourne donc vers l’acoustique. L’intitulé de ce deuxième essai solo est sans doute un emprunt à Saul Bellow. Le p’tit mec se nourrit de toutes ces références et crée un disque qui mime la maturité. Un album de remise en question ou de fin de carrière. Il n’est pourtant qu’au début de sa discographie, et c’est bien ce qui a dérouté nombre de fans à l’époque. Les initiés ne retrouvaient plus les hymnes pop, les saturations et les mélodies excessives. Ben Lee s’en contrefout. Il leur offre un moment cru, intime et désarçonnant. Il faut écouter Eight Years Old qui reprend la magie acoustique des compositions d’Alex Chilton.

Ben force encore un peu sa voix, donnant leur fragilité et leur étrangeté aux chansons. Il se dégage de ces missives une candeur presque pathologique que l’on retrouve dans les disques de Jonathan Richman. Career Choice, avec son spoken word jamais irritant comme chez Mark Kozelek, et ses claviers biscornus, fait mouche immédiatement. Ce qui frappe des années après, c’est la liberté de ton de Something To Remember Me By. Écoutons Ketchum et ses cordes fortes, profondes – c’est d’un tragique limpide. Totalement passé inaperçu, incompris, Something To Remember Me By explique pourtant bien des œuvres qui ont suivi. Adam Green, Herman Dune, I Am Kloot, Kings Of Convenience… Au début des années 2000, tous ces artistes rencontrent un succès relatif avec des enregistrements similaires à celui de Ben Lee. Imposé trop tôt à son audience, sans compromis, ce disque est un parfait suicide commercial malgré l’inclusion de la pop song How To Survive A Broken Heart dans le film des frères Farrelly, Mary À Tout Prix (1998). Tiens, on retrouve aussi Jojo Richman sur cette bande originale. Ce sera finalement l’hommage le plus marquant pour ce très bel album.

LA SUITE

Ben Lee a composé son classique acoustique, mais il continue de manière boulimique. L’essai suivant prend un virage contraire. Le songwriter fait appel au très maniéré Ed Buller (Suede, Pulp) pour le produire. Les synthétiseurs sont donc plus présents sur le très pop Breathing Tornados (1998). Un LP merveilleux réalisé sur le tout nouveau label Modular. Ben Lee connaît un grand succès dans son pays natal, l’Australie. Il figure aussi dans les pages people pour être le petit ami de l’actrice américaine Claire Danes. Le cinéma l’a toujours fasciné et il se voit proposer un premier rôle dans The Rage In Placid Lake (2003) de Tony McNamara. Ben Lee commence à être un peu partout. Il est également présent sur le disque solo de son mentor Evan Dando, signant plusieurs compositions de Baby I’m Bored (2003). Cette hyperactivité va malheureusement avoir des répercussions – on devrait également interdire le cumul des mandats dans la musique. Les efforts suivants de Ben Lee sont anecdotiques voire spécialement mauvais. On pense à cette atroce chanson extraite de The Rebirth Of Venus (2009), I Love Pop Music, avec son clip stupide et niais. Serait-il devenu un type tout juste bon à composer des morceaux formatés pour passer dans des séries comme Grey’s Anatomy ? Son dernier machin en date, Ayahuasca: Welcome To The Work (2013), contient quelques moments précieux mais trop emmêlés dans un amas complexe et vaniteux. On conseillera donc à Ben Lee de reprendre sa guitare acoustique et d’arrêter les conneries.