© David Simonetta (détail pochette Mustang)

Sortir du flot : le Top 2021 de Jérémy Pellet

Les rédacteurs de "Magic" défendent leurs dix albums de l'année dans un Top 10 très personnel. Mustang, Nick Cave & Warren Ellis et Dry Cleaning trônent dans le classement de Jérémy Pellet.

  1. MUSTANG – Memento Mori [Close Harmonie / Prestige Mondial]
  2. NICK CAVE & WARREN ELLIS – Carnage [Goliath Records / AWAL]
  3. DRY CLEANING – New Long Leg [4AD]
  4. FLOATING POINTS, PHAROAH SANDERS & THE LONDON SYMPHONY ORCHESTRA – Promises [Luaka Bop]
  5. VINCE STAPLES – Vince Staples [Motown / Blacksmith Recordings]
  6. JAMES BLAKE – Friends That Break Your Heart [Republic Records / Polydor Records ]
  7. JAPANESE BREAKFAST – Jubilee [Dead Oceans]
  8. GENESIS OWUSU – Smiling with No Teeth [Ourness / House Anxiety]
  9. LITTLE SIMZ – Sometimes I Might Be Introvert [Age 101 / AWAL]
  10. BADBADNOTGOOD – Talk Memory [XL Recordings / Innovative Leisure]

“Do everything and feel nothing”. Il y a, sur le premier album de Dry Cleaning, cet aveu tombé comme une cloche sur l’ébullition du titre d’ouverture, Scratchcard Lanyard. Ce sont les mots de Florence Shaw, pianotés dans les Notes de son smartphone puis figés par sa voix de Gorgone. Ils pourraient presque, à mes oreilles, résumer 2021 en 30 caractères. Une saison dans le cirage, où le tumulte d’hier serait devenu un bruit de fond indistinct et l’engourdissement, une tentation.

Cette année, la musique a défilé aussi vite que le reste. Les playlists se “scrollent” à la recherche de nouveautés, les sorties hebdomadaires nous roulent dessus avant qu’on ait pu encaisser la vague précédente, et les albums doublent de volume en l’espace de quelques mois, gavés de bonus, démos et remixes.

En 2021, il y a embouteillage dans les usines de pressage, et des records de streams étalés partout en gros titres. Pour celles et ceux que la curiosité pour les musiques modernes démange, c’est un rythme à prendre. Ou, très vite, un retard qu’il faut rattraper. La rançon d’une offre surabondante et de ces niches sans cesse multipliées.

Des disques jamais rappelés

Pas si facile, alors, de sortir du flot. Dans cette pagaille étourdissante, j’ai sans doute manqué de patience envers des disques que je n’ai jamais rappelés à mes côtés – certains, je dois l’avouer, pour des raisons personnelles, indépendantes de leurs qualités. En revanche, je pense pouvoir garantir que ceux qui sont restés appartiennent à cette classe d’œuvres qui visent haut et frappent juste, l’ont annoncé dès la première écoute, et ont déjà incrusté leurs détails dans les cases libres de mon imaginaire.

On y croise le rappeur de Long Beach Vince Staples qui promènerait son spleen around the block par une chaude nuit d’été. Les Canadiens de BADBADNOTGOOD dans leurs travaux de rénovation du jazz, version rampante et cinégénique. Le chagrin de James Blake, noyé dans ses synthés à remous. Mustang, pour ces choses de la vie touchées à la pointe du stylo et superbement mises en chansons. Michelle Zauner (Japanese Breakfast) qui fait un pas vers la lumière. Little Simz qui la prend tout entière, pour éclairer son dialogue intérieur et auréoler son hip-hop triomphant.

Visions d’Australie

Champ de batailles politiques chez Little Simz, les rues de Londres sont champ d’étude pour Dry Cleaning et leur surréalisme de voisinage. De la même façon, ce Top 10 accueille aussi deux Australie. L’arrière-pays des années 1960, ses porches en bois et ses orages sublimés dans les visions d’enfance de Nick Cave. Et l’avant-garde d’aujourd’hui, engloutie, amalgamée et recrachée en mille éclats par la tornade Genesis Owusu. Magnifiques absents des cartes : Floating Points, Pharoah Sanders et le London Symphony Orchestra, dont la partition partagée, entre souffle spirituel du jazz, petite mécanique électro et puissance de cinéma, tient sa promesse d’un voyage intraçable. Miracle (mirage ?) d’un monde en pause où il fait forcément bon dériver à l’infini.

À retrouver également juste ici, sur Deezer.