Pop Crimes, Morgane
Morgane Poulain de Pop Crimes © DR

Le centième chocolat : le Top 2021 de Maxime Jammet

Les rédacteurs de "Magic" défendent leurs dix albums de l'année dans un Top 10 très personnel. Pop Crimes, Gloria et You Said Strange trônent au sommet du classement de Maxime Jammet.

  1. POP CRIMES – Up To The Moon [single] (Howlin’ Banana) 
  2. GLORIA – Sabbat Matters (Howlin’ Banana/Modulor) 
  3. YOU SAID STRANGE – Thousand Shadows (Le Cèpe Records/Exag/Freakout)
  4. NOISE KOLLEKTIEF – Capharnaüm (Nothing is Mine)
  5. CLAP YOUR HANDS SAY YEAH – New Fragility (Domino)
  6. SPECIAL FRIEND – Ennemi Commun (Howlin’ Banana/Modulor) 
  7. HATIK – Vague à l’âme (Low Wood) 
  8. FRANK RABEYROLLES – A Ghost by the Sea (Wool Recordings) 
  9. ORELSAN – Civilisation (Wagram)
  10. UNSCHOOLING – Random acts of Total Control (Howlin Banana/Modulor)

Commencer avec du lourd tout en se gardant le meilleur du lourd pour la fin, telle est la rengaine de cette période bourrée de marronniers et de marrons -ça ne s’invente pas- où la goinfrerie est subitement érigée en art de vivre à cause de Jésus, du capitalisme ou du come-back solaire, on ne sait plus trop pourquoi.

On commence l’orgie avec Unschooling, un quatuor montrouennais – Montréal + Rouen, ça ne s’invente pas non plus – qui a sorti seul-tout un petit bijou de punk expérimental en 2019 et continue son exploration de l’autodidactie en 2K21 avec un EP cinq titres toujours ovniesque mais beaucoup plus chiadé, le bien nommé Random Acts of Total Control qui flirte entre un flux énergétique improvisé et des compositions tirées à quatre épingles, et le plus dingue c’est que ça marche, on applaudit des deux mains.

L’apéro dînatoire se poursuit avec le nouveau projet pharaonique du plus grand rappeur middle-class français de ces quinze dernières années, il s’agit bien sûr d’Orelsan qui repousse toujours plus l’heure de la dernière fête dans Civilisation tout en se posant (encore) un milliard de questions sur le couple, la société et (encore) la fin du monde, l’histoire d’un kid éternel qui refuse ce qui est pourtant bien en train de lui arriver: devenir adulte.

L’apéro aux petits fours s’éternise avec le A Ghost By The Sea de Frank Rabeyrolles qui raconte dans un disque prophétique ce qui est simultanément en train de frapper Orelsan, Frank, vous, moi et Laurent Garnier, à savoir la fin de la grosse teuf’ électronique qui dure depuis plus de trois générations et semble sérieusement marquer le pas, un destin mortifère ici souligné par un cocktail divin fusionnant l’art du rêve de Claude Debussy, les expérimentations de Pierre Henry et la sauce synth-techno ayant fait danser des millions de gosses ici ralentie, comme pour signifier la mort imminente de la dance-music tout en remontant toute la pelote temporelle de la musique électro-synthético-pianistique.

Des beats numériques et des notes de synthétiseur, c’est justement la recette de notre première et savoureuse entrée avec l’excellent Vague à l’âme de Hatik, grand disque de rap et de R’n’B qui nous ferait presque planer façon Cigarettes after Sex tout en tutoyant les cimes du romantisme pop, avec un crooner éternel drogué à l’émotion et au loving-game.

L’amour, c’est précisément la base de Special Friend, duo parigot à l’alchimie parfaite dont l’amour-amitié fait de sacrés petites merveilles, avec une deuxième entrée ultra raffinée qui réussit le pari pas facile du tout d’être un chef-d’œuvre de rock’n’roll tout en militant pour la grisaille électrique, avec dans le même temps ce tiraillement génial entre noir/poivre et blanc/sel qui fit la grandeur de la pop cyclothymique des années 90.

C’est l’estomac déjà bien (trop) garni qu’on passe (enfin) au premier plat principal avec le nouveau Clap Your Hands Say Yeah, New Fragility, masterclass de sensibilité pop avec des chansons, et un chanteur, qui paraissent jouer en permanence avec le vide, tels de sérieux équilibristes perchés sur un fil minuscule, avec des montées de sève grandioses à la War on Drugs et une performance vocale génialement fragile qui nous achève avec If I Were More like Jesus, ultime requiem à la beauté et la puissance sidérantes où le pionnier-fondateur du band Alec Ounsworth  se rêve en martyre du pop jeu.

Pas de temps à perdre, on passe illico au gros plat de résistance et quel plat avec ce Capharnaum, projet expérimental hors-norme sous forme de cadavre-exquis surréaliste, ou comment vingt musiciens – Noise Kollektief – isolés dans leur chambre noire créèrent à distance l’un des disques les plus obscurs, les plus délicieusement létaux et les plus puissants de ces dix dernières années, de quoi mourir étouffé par la moutarde en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

C’est donc en mode mort-vivant qu’on attaque notre (énorme) planche de fromage, cuisinée par You Said Strange qui évite avec une classe assez incroyable le fameux raté du second disque en se réinventant sans faire des gros feats avec Rihanna non  plus: du caféine-psyché ultra nerveux qui ferait passer Anton Newcombe pour un putain de gros légume déprimé avec (beaucoup) plus de synthés, un solo de sax’ qui claque sa grand-mère et même un délire à la Parquet Courts, on a les dents du fond qui baignent mais on se régale toujours plus.

Vous n’en pouvez plus, ça tombe bien nous aussi, c’est donc l’heure du (premier) dessert largué avec amour par un trio de nymphes pop échappées du Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll qui inventent, avec Gloria, juste le girl-band ultime des sixties qui n’avait jamais vraiment existé, oui oui, à base de garage-rock, de ritournelles psychédéliques, de pop vocale et de ces harmonies féeriques féminines qui nous ont fait tomber par terre façon Grace Slick démultipliée en sirène à trois têtes : on déguste et on savoure, lentement.

Chaos debout façon La Grande Bouffe de Ferreri, il nous faut pourtant terminer ce repas de Noël, c’est la règle, alors quoi de mieux en guise de centième chocolat que le disque pop de l’année, un 45-Tours, un certain Up To The Moon, servi par Pop Crimes avec un Taittinger bourré d’émotions véritables et nanti de cette recette juste magique à base de guitares saturées et de précision mélodique portée ici à son sommet par un certain Romain Meaulard, héros romantique dont la voix brisée de phénix légendaire qui renaît de ses cendres en permanence n’en finira plus de nous faire pleurer tout en déglutissant progressivement l’intégralité de notre repas et surtout de notre année musico-pop qui aura été un kiff’ de fou, du début jusqu’à la fin.

Adieu Noël, Bonjour 2K22.