Chloe Slater - © Jules Vandale
Chloe Slater – © Jules Vandale

Chanel Beads, Chloe Slater, Ugly… : notre compte-rendu du meilleur du Pitchfork Festival Avant-Garde

On a passé quelques bonnes soirées au Pitchfork Festival Avant-Garde, du 7 au 9 novembre dernier. Trois soirées pleines de promesses qu'on vous présente juste ici.

Fcukers, Badaboum

C’est toujours marrant, ce genre de concerts où vous êtes entouré de gens qui – en apparence tout du moins – sont encore plus cool que vous. D’aucuns diraient que nous étions au royaume des poseurs, mais on a, personnellement, passé un chouette moment dans un Badaboum pas loin d’être plein à craquer. Venus exprès de New York City pour, au choix : rester noyé dans un nuage de fumée permanent (le batteur, Ben Scharf), ne pas trop comprendre ce qu’on fait là mais le faire très bien quand même (le bassiste, Jackson Walker Lewis, également aux manettes des synthés), ou encore transformer la scène de l’iconique club de Bastille en dancefloor du Village Underground de Manhattan, Fcukers était ici dans son élément. Combinant « beats galbés et voluptueux » (merci à ce somptueux commentaire YouTube), influences techno / house bien UK et Y2K, une voix à la fois angélique et mutine, et un jeu de scène attachant, on a eu un bel aperçu de la prochaine sensation en provenance de la Big Apple. Et ce, même si prendre en photo un groupe qui bouge autant avec un objectif à mise au point manuelle, c’est pas de la tarte. J.V.

Chanel Beads, Café de la Danse

On peut reconnaître qu’au vu de la manière dont il haranguait ses deux partenaires de scène et malmène son pauvre micro tout au long du concert, Shane Lavers avait vraiment l’air très, très content d’être là, devant le monumental mur en pierres du Café de la Danse. Le New-Yorkais, petit prodige d’une pop aussi spectrale que son allure lorsqu’il se déplace sous l’un des faisceaux lumineux, a délivré le genre de show pour lequel on se rend à l’Avant-Garde – un bel aperçu. Accompagné par une guitariste/choriste et par un… euh, un type qui tape de temps avec ses baguettes en temps sur un pad de sampleur, Lavetrs, micro en main et sweat boxy dans lequel il donne parfois l’impression de se noyer, présente à un public en pleine introspection l’étendue de ses influences entre indie rock easy listening, cloud rap et pop hypnagogique, se plaçant dans une veine allant de Mark Williams Lewis à A.S.O.. Mention spéciale pour ce I Think I Saw habité qu’on se passe en boucle depuis deux semaines. Un Grian Chatten sous Adderall qu’on s’empressera de retrouver en tête d’affiche ailleurs. J.V.

Chloe Slater, Mécanique Ondulatoire

Elle aussi, on s’empressera de la retrouver en tête d’affiche ailleurs, après une Mécanique Ondulatoire pleine à craquer en ce dernier soir du Pitchfork Avant-Garde. Retenez bien son nom : Chloe Slater, 21 ans, mancunienne d’adoption et découverte – du moins, par votre humble serviteur – sur TikTok. Pur produit d’une génération pour laquelle même SoundCloud est devenu obsolète, Chloe a tout pour devenir une force incontournable dans le post-punk des prochaines années, à tel point que la voir goûter à une certaine forme de mainstream ne semblerait pas surprenant. Ses morceaux sont vindicatifs, tranchants comme les premières ébauches de Dry Cleaning, et ses paroles sont étonnamment politiques pour son âge, mais le tout est enrobé dans un glacis pop punk diablement efficace. Notamment quand il s’agit de faire découvrir ce style de musique à des jeunes que vous espériez davantage scotchés à leur platine vinyle qu’à ce que l’algorithme de l’appli la plus chronophage de l’histoire de l’humanité leur suggère. J.V.

Ugly, Supersonic

Oui, bon, on a raté les deux premiers morceaux d’Ugly. C’est aussi ça, le jeu de l’Avant-Garde : on court de salle en salle, on fait la queue et on doit enfin passer devant tout le monde une fois entré sur le théâtre des hostilités, pass « pro + photo » faisant foi. Et si les deux chansons manquées évoquées précédemment sont du même acabit que ce qui s’est joué ensuite, alors on s’en mord les doigts. On a déjà fait la blague, mais pourquoi appeler son groupe « Moche » quand ce qui sort de vos instruments peut être aussi mirifique que l’introduction de The Wheel, a cappella chantée par les six membres de la formation basée à Cambridge ? Pensez à Black Country, New Road qui rencontre Crosby, Stills & Nash, voire même à Queen, si Queen était un bon groupe (roh, ça va, on plaisante… quoique). La nouvelle, nouvelle génération anglaise a de beaux jours devant elle… J.V.

Divorce, Supersonic

D’autant plus que, deux jours avant Ugly, on a aussi eu droit – et on a également raté deux chansons, comme quoi… – à Divorce. Divorce, quatuor anglais tout aussi brillantissime qu’Ugly mais dans une veine légèrement différente – toujours 70’s mais troquant le côté orchestral pour plus de punch –, est ce jeudi soir porté par la prestance scénique folle de sa bassiste Tiger Cohen-Towell et par le flegme mélancolique de son guitariste Felix Mackenzie-Barrow, tous deux chanteurs. Chanteurs dont les voix se complètent agréablement au-dessus de l’élégance des parties instrumentales entre Porridge Radio et Abba. Et quand, vers la fin du concert, retentit cette merveilleuse mélopée crescendo qu’est Heaven Is A Long Way, alors nous sommes complètement sous le charme. Ce serait possible de la rejouer encore une, deux ou mille fois ? C’est pour un ami. J.V.

Floodlights, Mécanique Ondulatoire

À cinq sur la minuscule scène de la cave de la mécanique ondulatoire, les Australiens de Floodlights et leur set redoutable sont déroutants. À chaque fois que l’on semble attraper une référence en vol, une autre radicalement différente apparaît en filigrane. Du post-punk qu’il nous évoque, on reconnaît parfois des guitares en cascades sur lesquelles Fontaines DC avait déjà parié et un phrasé semblable à The Murder Capital. Mais le saxophone est lui rond et chaud. Oubliez celui de la no-wave et du post-punk, rien à voir. Puis un riff d’harmonica, des chœurs qui s’élèvent, des mélanges de textures de voix féminines et masculines, des notes de piano isolées parfont une empreinte plus rock classique, plus folk. Une fois éloignés de la moiteur de la salle, de son odeur de houblon qu’on adore, il reste la tension et l’abrasion de cette performance live. Quel plaisir supplémentaire que de découvrir en écoutant leurs albums des chansons extrêmement travaillées, des compositions riches. Les enregistrements studios sont plus précieux, plus hi-fi et les harmonies plus délicates. Il y a un peu du Kurt Vile, du Black Country New Road, de The Districts, un peu des années 80, d’americana aussi, presque du Bruce Springsteen et tant d’autres références si bien digérées, si sagaces qu’elles font de Floodlights la découverte, la sensation attendue au Pitchfork, ce festival défricheur. Celle qui rafraîchit la scène rock, qui la réancre dans des sonorités classiques et grandiloquentes. Celle sur laquelle il faut à présent parier. Celle qu’on écoutera beaucoup cette année en tout cas. C.M.

Thandii, Pop Up du Label 

À trois sur l’intime scène du Pop Up du Label, les Londoniens de Thandii prennent quartier avec aplomb. Et ils ont raison, l’expérience du concert avec eux est loin d’être la simple récitation de leur album studio. Le live apporte au trio l’occasion de donner plus de profondeur à un son studio extrêmement produit. Il y a une vulnérabilité, des aspérités heureuses qui embaument la salle lorsque leurs chansons prennent vie. Cela a beaucoup à voir avec la présence charismatique et solaire de Jessica Berry dont la danse et l’énergie sont contagieuses. Sa voix aérienne, très lumineuse, rappelle celle de Cléo Sol. L’ensemble d’ailleurs fait penser à l’excitation qui avait suivi les débuts de Sault. Pas vraiment une coïncidence lorsque l’on apprend que Graham Godfrey, le batteur et percussionniste de Thandii a collaboré avec Michael Kiwanuka, Little Simz et Inflo… Mais la soul rétro ornée d’electronica glo-fi de Thandii fait l’exception avec une touche de psychédélisme, une trace de rock, de la distorsion çà et là, de nombreuses répétitions, des surprises dans les structures qui la salissent plaisamment. Rien de lisse ou d’ennuyant donc. À regarder et à écouter, c’est sulfureux, enjoué, captivant. C.M.