bar italia par Rankin
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bar italia par Rankin

bar italia: « les gens commentent nos clips en disant qu’ils pourraient faire l’amour sur notre musique » 

Avec "Some Like It Hot", bar italia revient avec son cinquième LP, le troisième depuis l’explosion du trio londonien en 2023, qui leur avait valu la première place de notre classement des albums de l’année. Bien moins timides que les rumeurs de l’époque le laissaient présager, Nina Cristante, Jezmi Tarik Fehmi et Sam Fenton sont venus nous parler du côté sexy de l’indie rock, de leur rapport au mainstream et de leur époque préférée pour faire l'amour

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Some Like It Hot poursuit l’indie rock parfois un peu bizarre que vous faites depuis vos débuts, mais d’une façon encore plus flamboyante encore. Mais vous n’êtes jamais arrivé à ce point où vous vous dites qu’il vous faut être un peu plus… un peu plus mainstream, en quelque sorte ?

Nina Cristante (chant): Je suis sûr que certains pensent ça d’une certaine manière. Mais pour moi, ça tient plus au fait d’avoir accès à de meilleurs studios, plus d’instruments, des ingénieurs du son, de devenir meilleurs en jouant, d’affiner son oreille pour entendre les dissonances. Une chose, quand ça arrive naturellement, alors ça devient une sorte de filtre magique, incroyable. Mais si tu choisis une erreur juste parce que tu veux aller à l’encontre de ce qui serait naturel pour toi, c’est une démarche complètement différente. Donc, inévitablement, à mon avis, on simplifie un peu ce processus pour se rapprocher de l’essence de ce qu’on veut dire. Et je pense pas que ça doive être vu comme… Enfin, chacun peut l’interpréter comme il veut, mais si ça veut dire toucher plus de gens, tant mieux.

Sam Fenton (chant / guitare): Et puis, on ne peut se qualifier de “mainstream” qu’en comparaison avec nos anciens disques. Si tu compares le son de ce nouvel album avec ce qui passe à la radio, tu ne dirais pas que c’est mainstream.

Enfin, “mainstream” n’est pas vraiment le mot que je cherchais. Mais je pourrais vous voir un peu comme les tabis – un objet de mode plutôt niche au départ, que les gens ont fini par comprendre avant de les adopter et de les normaliser. Mais les tabis restent des tabis. Margiela n’a pas essayé d’en faire des chaussures «normales». Ça reste des mocassins avec une séparation entre le gros orteil et les autres. Sauf que maintenant, les gens disent  «ah ok, je comprends», et les acceptent plus facilement. Par exemple, je n’en porterais pas parce que ça colle pas avec mon style. Mais je trouve ça cool. Du coup, peut-être que vous, vous seriez un peu les tabis de l’indie rock.

Jezmi Tarik Fehmi (chant / guitare): Il y a plein de trucs bizarres dans la culture mainstream… quand tu prends un peu de recul et que tu regardes vraiment ce que c’est, comme élément isolé, il y a des choses vraiment cheloues. Genre, c’est quoi un Labubu, putain ? (un Labubu, prononcé la-bou-bou, est une peluche en forme de monstre aux oreilles pointues, créée par le designer hongkongais Lung Kasing, ndlr) Tu vois ce que je veux dire ? Y a des trucs vraiment flippants. Si tu regardes l’algorithme moyen de n’importe qui sur Tiktok, même juste dans la musique que ces gens écoutent, certains morceaux pop sont complètement barrés. Dans les années 60 ou 70, ça aurait été considéré comme hyper expérimental. Voire satanique. Donc penser que la culture mainstream n’a pas de place pour l’expérimentation, c’est faux. Y a des trucs de ouf, et parfois, tu écoutes un groupe indé, et ça sonne beaucoup plus normal…

Nina: Beaucoup plus formaté.

Jezmi: Ouais, beaucoup plus formaté, c’est le bon mot. Ça fait déjà un moment que tout est un peu inversé. Ton image des tabis, c’est vraiment une des descriptions les plus justes que j’ai entendues sur nous. Y a des gens qui portent des trucs complètement débiles, genre des énormes chaussures-bulles. Des trucs limite science-fiction, quoi. C’est dingue, et pourtant c’est normalisé. Moi, à côté, je me sens normal comparé à beaucoup de gens dans le mainstream.

Quand je vous ai découverts en 2023, je me suis dit «enfin ! Il y a de l’indie rock sexy»

Jezmi: Je pense que c’est pour ça qu’on marche si bien en France. Les gens nous trouvent sexy.

Il y avait même un webzine, américain pour le coup, qui avait titré un article de cette manière : «bar italia fait une musique qui sonne sexy, enfumée, androgyne, et qui s’en fout de toi.» Et je trouve que c’est exactement ça que j’écrirais sur vous.

Sam: Ouais, les gens commentent nos clips en disant qu’ils pourraient faire l’amour sur notre musique 

Nina: Ouais, ça revient souvent.

Sam: Je ne trouve pas ça sexy, mais…

Jezmi: Ah si, c’est très sexy. 

J’ai l’impression que les groupes qui suivent votre esthétique, comme Triage ou Untitled (Halo), apportent justement une aura de sensualité très frontale dans le rock. L’indie rock a longtemps été quelque chose de retenu, presque chaste. Et clairement, ça ne vous correspond pas du tout. Comment c’est venu chez vous, ça ?

Sam: Il y a toute une esthétique dans l’indie qui est à l’opposé du sexy. Même chez beaucoup de mecs. C’était comme une maladresse forcée. Je ne pense pas que ce soit encore vraiment le cas aujourd’hui, mais quand j’étais gamin, à l’époque où l’indie explosait, tout le monde se la jouait un peu à la Strokes et essayait d’avoir l’air le plus «vermisseau» possible. Comme une crevette recroquevillée.

Nina: Je pense que ça ramène aussi à une sorte de professionnalisme. Comme si plus tu étais bon, plus tu cherchais à masquer ton talent. D’où cette idée d’être extrêmement décontracté, nerd, timide… mais avec un talent incroyable derrière. Et ça, c’est super séduisant à mes yeux. Je pense par exemple à Mazzy Star. Hope Sandoval est une référence énorme pour moi. Elle est tellement réservée et tellement sublime. Très sexy à sa manière, presque comme si elle ne voulait pas être vue sur scène. Et ça, chez les chanteuses en particulier, c’est une branche très forte de l’indie rock. Je ne peux plus le faire aujourd’hui, mais au début du groupe, quand on commençait juste à prendre la lumière, j’étais vraiment timide. Et ça se voyait sur scène. Mais je n’étais pas aidée. Je me souviens même que mon ex voulait que je porte des t-shirts trop grands et des jeans larges. Au fur et à mesure, j’ai découvert que ça n’était pas la Nina que je voulais montrer. Et je pense que c’est pareil pour Sam et Jezmi.

Dans Fundraiser, vous chantez “have you had enough of the phone calls / when I don’t have your love it’s a lonely war / you can dance till they shout no more / all the photographs are on my wall”, et ça donne vraiment l’impression d’une déchirure, d’une guerre sentimentale. Vous pensez que les relations modernes rendent les ruptures plus dures qu’elles ne devraient l’être ?

Jezmi: Oui. Franchement, je déteste le fait de pouvoir voir les photos de mon ex sur mon téléphone. Et de savoir que tes amis suivent ton ex sur Instagram. Moi aujourd’hui, je me retrouve avec des centaines de photos de mon ex sur mon téléphone. Est-ce que je les supprime ? Est-ce que je les garde ? Est-ce que je les archive ? Après, dans les années 90, les gens avaient des versions physiques de ces photos, c’est presque pire. Tu ouvres ton tiroir à objets perdus et tu retombes dessus. 

Si vous pouviez vivre l’amour à une autre époque, laquelle choisiriez-vous ?

Sam: Hmmmm… Il y a plein de trucs à prendre en compte. Genre l’endroit, ton niveau de vie, ton rôle… 

Nina: Moi, j’opterais pour une relation en temps de guerre. Genre, ces lettres d’amour quand tu ne vois pas ton/ta partenaire pendant deux ans, et qu’il/elle revient avec un membre en moins. 

Jezmi: Être dans un groupe qui tourne, ça s’en rapproche pas mal. Tu pars six mois, tu fais un signe de la main à la porte en guise d’adieux déchirants. Et tu reviens parfois avec un membre en moins.

Nina: J’aurais aimé vivre à Versailles, mais ça avait l’air vraiment fucked up

Jezmi: Je dirais la République de Weimar. J’ai envie d’un peu d’amour gélatineux.

Nina: J’aurais aimé être une travailleuse du sexe à Venise. À l’époque de Casanova. Ça a un certain charme. Mais en vrai, ils avaient tous la syphilis, des rats dans les cheveux… mais les tenues étaient incroyables.

Tant que les tenues étaient incroyables, ça passe.

Jezmi: La syphilis, c’est sexy.