« Deadbeat » de Tame Impala, on en pense quoi ?

C'est l'album qui déchire la rédaction, mais "Deadbeat" ne laisse personne indifférent. Débat.

CONTRE

TAME IMPALA
Deadbeat
(COLUMBIA RECORDS) – 17/10/2025

A-t-on perdu Kevin Parker ? L’Australien est un des songwriters les plus marquants apparus depuis les années 2010, affirmant une idiosyncrasie immédiatement identifiable, avec son univers psychédélique pop langoureux au groove svelte. Sa trilogie inaugurale à la cinétique unique, aux multiples variations, à la fois hédoniste et mélancolique, reste une référence. Tame Impala réinventait alors la pop dans des atours jamais portés. Mais le multi-instrumentiste obsessionnel semble dilapider ce crédit depuis The Slow Rush en 2020, lorgnant de plus en plus vers une électro assez convenue qui pasteurise son style, même si elle lui ouvre une envergure commerciale nouvelle. Obsessionnel, Parker a mis cinq ans pour produire quasiment seul ce cinquième disque parfois euphorisant mais surtout désarmant. Il scelle son tournant électro et confirme qu’il est devenu une machine pop efficace mais sans classe. Il n’a pas chômé depuis The Slow Rush, travaillant avec Justice (deux titres sur l’excellent Hyperdrama) ou Thundercat mais aussi avec Travis Scott et Dua Lipa dont il a été l’un des architectes sonores du dernier album. Il a eu une fille qu’il embrasse sur la pochette. Deadbeat («bon à rien») est inspiré de la culture rave australienne et se donne à entendre comme ôde à la scène “bush doof” de son pays. Elle organise des festivals d’inspiration trance, house, techno qui allient musique, art, yoga, séminaires, ateliers, prônant des valeurs comme le développement personnel, la durabilité, la sobriété… L’album peut être euphorisant, planant et immersif (Not My World). L’ensemble n’en baigne pas moins dans une «zénitude» qui lisse toute aspérité (le vide Etherial Connection). Les beats et boucles prennent des reliefs lyophilisés, là où Justice injecte dans des ambiances proches des climats plus troubles, opiacés et vrillés. Beaucoup de titres se vautrent dans une pop cheesy sans beaucoup d’intérêt (le naufrage de Piece of Heaven). L’Australien ne cache pas sa fascination pour l’intelligence artificielle et on se demande parfois s’il ne lui a pas commandé un pastiche électro de Tame Impala en roue libre insipide. L’artiste ne cache pas non plus une asociabilité qui l’isole mais le spleen qu’il en tire et imprègne le disque (la fin de No Reply) semble de pacotille. End of Summer, long titre sorti cet été pour annoncer le disque, semble singer le mémorable Let It Happen dans une version électro brute. La rythmique latino d’Oblivion varie les plaisirs mais se révèle hors-sujet. Kevin Parker le surdoué n’a pas bien sûr complètement perdu la main. Dracula, qui est déjà le titre le plus streamé, est une petite merveille de production millimétrée et maniaque qui nous ramène à la magie de Thriller et à l’étoffe des productions de Quincy Jones. Mais les quelques bons titres ne sauvent pas la mise. Le virage électro aurait pu être passionnant. Il est décevant. Kevin Parker n’est pas devenu un bon à rien mais il a perdu son statut olympien. 

Rémi Lefebvre ••°°°°

SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE

POUR

TAME IMPALA
Deadbeat
(COLUMBIA RECORDS) – 17/10/2025

Soyons sérieux. Et sortons de la posture snobinarde. En se concentrant sur la musique, en oubliant le nom de son auteur, ce Deadbeat mérite-t-il vraiment toutes les critiques entendues depuis sa sortie, il y a quelques semaines ? Évidemment non. Il aurait été le premier album d’un groupe émergeant, tout le monde l’aurait trouvé génial. Inventif. Mais il est (malheureusement pour lui) le cinquième disque d’un mastodonte. C’est vrai, mettre une cible sur Kevin Parker est plus que facile — un mouvement déjà enclenché en 2019 avec le pourtant très bon The Slow Rush. Brûlons vite cette formation (jadis adorée) devenue trop grande (et en plus désormais signée sur une major !) ! N’en déplaise toutefois aux tenants du «c’était mieux avant», le génie australien n’a jamais eu peur d’être grand (et courageux) avec Tame Impala. D’incorporer des idées inattendues à sa musique. D’être ambitieux tout simplement. Quitte (donc) à déplaire. «Je sais qu’à chaque fois que je sors une chanson, des gens vont être déçus mais c’est plus important pour moi de sortir quelque chose de nouveau qu’un titre que tout le monde va aimer, nous confiait-il il y a six ans (déjà) dans le Magic 219. Ma musique doit être différente à chaque sortie. Je ne voudrais jamais sortir un morceau et que tout le monde dise : “Oh, j’aime beaucoup, c’était ce que j’attendais”. Je dois prendre des risques. (…) Donc je me fais un devoir de ne jamais être prévisible». Ne jamais regarder en arrière, toujours avancer. Reconnaissons (tout de même) que le virage opéré par Parker pour Deadbeat est cette fois-ci radical. Nous voici devant un Tame Impala en pleine mutation. Et les douze titres de ce nouveau chapitre sont déstabilisants. Le virage est tellement serré que nos certitudes sur le groupe explosent. Les guitares n’existent quasiment plus (du moins aux premiers abords), les percussions deviennent des boîtes à rythmes qui penchent plus vers l’acid house que vers la pop (ou le rock psyché originel). L’essentiel des mélodies provient de machines électroniques, de synthés tournés vers la rave (les beats ultracostauds, d’une rondeur charnelle, s’enchaînent à l’infini ici). Ça aurait pu être indigeste, plat et froid. Au contraire, c’est efficace, intelligent et ingénieux. Kevin Parker sait composer des tubes (Dracula, Loser). Et ce sera toujours le cas. Avec Deadbeat, il ne cache rien de ses doutes, de ses hésitations, de la difficulté à finir ce disque. Surtout, il montre la richesse de son écriture : ses constructions en intensité croissante, d’une liberté folle (My Old Ways, le meilleur titre sans hésitation), sa façon d’appréhender l’électro sans perdre en harmonie (No Reply, Not My World, l’excellent Afterthought), ses prises de risques aussi (l’extrême techno d’Ethereal Connection). En fait, Parker nous bouscule mais touche juste. «Chaque fois que je compose un nouvel album, je me sens un petit peu plus courageux et je me dis : “Si je ne tente pas ça maintenant, quand pourrai-je le faire ?”», nous disait-il en 2019. Fini le psychédélisme des débuts. Tame Impala se contente juste d’écrire son présent. C’est peut-être ça, la véritable audace pop en 2025. 

Luc Magoutier •••••°

SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE