Sufjan Stevens (Carrie & Lowell) bannière
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Au printemps 2015, Sufjan Stevens sublimait le deuil de sa mère absente sur l'intimiste et dépouillé "Carrie & Lowell", sacré album de la décennie 2010 par la rédaction et les lecteurs de Magic. Un disque-monde dont le prolongement émotionnel l'a conduit jusqu'aux Oscars.

Sufjan Stevens est, à travers ce numéro, le premier artiste à faire la couverture de Magic, l’hebdo pop moderne à deux reprises, et même deux fois la même année. Le 18 mai dernier, le musicien américain était mis en valeur pour sa première œuvre de piano à quatre mains, son versant néoclassique et contemporain. Aujourd’hui, son premier album de songwriter depuis huit ans est promu comme l’événement magistral qu’il est pour tous les amateurs de pop. Stevens fait partie de ces artistes qui ne répondent plus à aucune interview. Il n’en a ni le besoin, ni le goût, ni, venons-nous d’apprendre, tous les moyens puisqu’il a été diagnostiqué d’un syndrome de Guillain-Barré. Depuis que la date de sortie de Javelin est connue, la rédaction travaille sur un guide d’écoute : ce format dont vous êtes peut-être familier, qui nous conduit à porter un regard d’ensemble sur l’œuvre d’un artiste avec quelques recommandations d’écoutes-clefs. À mesure que le bouclage avançait, nous avons réalisé deux choses. La première : nous avons besoin de plus de temps pour rendre justice à un tel œuvre – guide d’écoute il y aura donc, mais probablement dans un trimestriel. La seconde : nous disposons dans nos archives d’un trésor qui n’a été imprimé qu’à 1000 exemplaires et qui méritait à coup sûr notre poster central, le récit par Jean-Marie Pottier de la genèse de Carrie & Lowell, le chef-d’œuvre de Sufjan Stevens (2015) qui, par un mémorable effet de mimétisme, a été désigné album de la décennie 2010 par la rédaction et les lecteurs de Magic. Il avait été imprimé dans notre hors-série crowdfundé Les Années modernes (2016-2019), désormais épuisé. Nous sommes heureux de le proposer à nouveau aux lecteurs qui nous ont rejoints depuis.

  • Cédric Rouquette

Le recueil de poèmes, paru à compte d'auteure, compte à peine quelques dizaines de pages. Sur sa couverture bariolée, un titre tout aussi bref : I'll Go, «Je m'en irai». Celle qui l'a écrit, Carrie Marabeas, est morte quelques mois à peine après la publication de ce premier et unique livre, à soixante-deux ans. Elle s'en est allée mais demeure dans nos mémoires. Une silhouette, gilet blanc et yeux mi-clos derrière des lunettes mouche, sur une photo craquelée par le temps. Un prénom, celui qui cosigne, d’une certaine façon, une autre œuvre, un disque publié par son benjamin à l'orée du printemps 2015, moins de trois ans après sa disparition : Carrie & Lowell, de Sufjan Stevens. Le chef-d’œuvre des dix dernières années aux yeux des amoureux de pop moderne. Quand nous avions recensé les disques susceptibles de figurer parmi les cent cinquante disques les plus importants des années 2010 pour notre numéro 216, en juin 2019, la rédaction d’un côté, les lecteurs de Magic de l’autre, l’avaient d'ailleurs largement placé en tête de leurs votes respectifs. Il n’était pas prévu qu’un tel consensus surgisse aussi nettement. Il nous a donné le luxe du temps pour raconter l’histoire d’un album que d’autres anthologies à venir rangeront probablement entre quelques prestigieux aînés au cœur lourd comme Blue de Joni Mitchell, Tonight's the Night de Neil Young ou Blood on the Tracks de Bob Dylan.

Dans le titre Carrie & Lowell, chaque membre de l'équation a son importance. Sufjan, son beau-père Lowell et Carrie, unis le temps de trois étés pas comme les autres. Sufjan et Lowell, l’homme avec qui il a, en 1999, fondé le label Asthmatic Kitty pour publier des disques dont il n'était pas sûr qu'ils trouvent ailleurs un tel havre de liberté. Sufjan et Carrie mais surtout, pendant très longtemps, Sufjan sans Carrie. Le musicien n’a que peu connu cette mère dont il sculpte le gisant, qui a fui son mari et ses quatre enfants en 1976, alors qu'il n'avait qu'un an. Cette mère qui, toute son existence, a souffert d'une dépression et d'une schizophrénie qu'elle a tenté d'enfouir à grand renfort d'alcool et de pilules.

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