Parfois, il y a des histoires vraies qui ressemblent presque à des contes de fée… Celle de Michael et John Head s’en rapproche assurément. Anges déchus par la drogue, longtemps incompris dans leur Angleterre natale, tout juste adulés par une poignée d’aficionados français, les deux frères reviennent aujourd’hui avec Shack, groupe qu’ils ont formé il y a plus de dix ans et, surtout, un troisième album, HMS Fable, en guise de rédemption et passeport vers un succès amplement mérité. Pourtant, ce disque est avant tout le parfait résumé de vingt ans d’une vie dédiée à une seule et même chose : l’écriture pop. La plus belle et limpide qui soit.

ARTICLE Christophe Basterra
PARUTION magic n°32Pour ceux qui ont vu, au début de cette décennie, le même homme, le regard hagard, titubant et finissant un concert les quatre fers en l’air, pour ceux qui l’ont vu quitter ses compagnons après à peine deux chansons dans un état d’excitation intense, la scène a de quoi désarçonner. Ce soir du 8 juin 1999, dans le mythique 100 Hundred club londonien bourré à craquer, Michael Head, casquette vissée sur la tête, pull trop grand, présente les morceaux au public, plaisante, sourit, se tourne vers son frère John et lui glisse un clin d’œil. Mais Michael Head n’est sans doute plus vraiment le même homme. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment pouvait-il en être autrement ?

 

Rocheteau

Pour les frères Head et leur groupe, Shack, le début des années 90 doit encore ressembler à une plaisanterie de mauvais goût. Ou un cauchemar éveillé. Après un single, I Know You Well, calibré pour être un hit mais échouant aux portes des charts, ils entrent en studio pour enregistrer leur deuxième album, trois années après un premier essai jugé décevant par ses auteurs eux-mêmes, “surtout à cause de la production. Mince, faute de temps, Ian Broudie nous avait quand même forcés à travailler avec… une boîte à rythmes en lieu et place d’un vrai batteur… Je crois qu’il voulait expérimenter pour ses aventures musicales futures. Zilch lui a surtout servi de laboratoire pour le premier album des Lightning Seeds”. Mais le groupe est confiant. On murmure, ici et là, que les frères Head ont signé leurs plus belles compositions. Tout se déroule sans anicroche. L’album doit voir le jour quand les bureaux de leur label d’alors, Ghetto, prennent feu : comme de bien entendu, les bandes disparaissent en fumée.

Il faudra attendre quatre ans, après que le producteur, Chris Alison, aie récupéré entre temps une DAT égarée dans une voiture de location aux Etats-Unis (!), pour écouter le résultat de ces sessions. Et ce, grâce à la persévérance d’un label allemand, Marina ! En même temps, un fan français, Stéphane Bismuth, a cassé sa tirelire pour permettre aux deux frères d’assouvir leur passion… Le projet The Strands va suivre ainsi son petit bonhomme de chemin. Avec la sortie à quelques mois d’intervalle de ces deux disques – deux coups de maître –, certains de leurs compatriotes semblent enfin découvrir le talent de ces deux compositeurs d’exception, capables sur scène du meilleur comme du pire, mais frôlant souvent la perfection dès qu’ils sont en studio. Les louanges se multiplient, les majors, intriguées, cherchent à en savoir plus. En quelques mois, ces deux laissés pour compte vont devenir les artistes les plus recherchés de Grande-Bretagne.

“C’est vrai, c’était étrange pour nous. Je n’avais plus connu ça depuis le début des Pale Fountains… (Sourire.) C’est pour cela que nous avons eu envie de penser à nouveau en termes de groupe, de reprendre le nom de Shack. The Strands, c’était une expérience à part, même si Iain, le batteur, était resté avec nous pour l’enregistrement de l’album… Pendant longtemps, j’ai connu une sorte de grand trou noir, parsemé de quelques éclairs, comme lorsque nous avons pu accompagner Arthur Lee sur scène, à Paris et à Londres. Tu sais, on dit souvent qu’il ne faut pas rencontrer ses héros, sinon, tu risques d’être déçu. Nous, bien au contraire, je crois que l’on est devenu encore plus fan”. Entre Love et Michael Head, l’histoire d’amour dure depuis un sacré bout de temps… À Liverpool, en 1981, Michael et Chris McCaffrey font presque figure d’extraterrestres. Quand tout le monde ne jure que par l’éthique punk et les groupes psychédéliques américains, eux écoutent en boucle John, Barry, Sergio Mendés, Burt Bacharach et Love. “Au début, on avait même baptisé le groupe The Love Fountains ! Et l’on a changé de nom par la suite. Je me demande bien pourquoi d’ailleurs…”

Ils s’inspirent de la bossa nova, travaillent avec un orchestre à cordes, composent des mélodies touchées par la grâce. Ils sont jeunes, ils sont beaux. L’avenir ne peut que leur appartenir. Après un premier single sur l’indépendant Operation Twilight, les jeunots (Michael a alors 18 ans) sont courtisés et signés par Virgin pour une somme astronomique. Bien évidemment, ce sera vite l’incompréhension : le groupe rêve de la chanson pop parfaite, le label rêve de Top Of The Pops. Deux albums et quelques singles plus tard, The Pale Fountains ne sont plus. Une fin triste, d’autant plus triste que Chris décède tragiquement quelque temps plus tard. “Oui, ça peut être considéré comme un beau gâchis… Mais, hormis les problèmes de drogues, je crois surtout que nous n’étions pas là au bon moment… Les années 80, ce n’était pas pour nous. C’est tout… Pourtant, je me souviens parfaitement de l’accueil que nous avait réservé la France : Libération, Actuel croyaient en moi, en mes chansons, ils n’en avaient rien à faire de la mode, de savoir comment nous nous habillions… Ils avaient compris nos références, ils savaient d’où nous venions et vers où nous voulions aller. Mais j’ai toujours eu des affinités avec votre pays. Je me souviens quand j’ai vu Rocheteau pour la première fois… Ce gars jouait exactement comme moi je rêvais de jouer un jour. Incroyable !”

 

Tradition

HMS Fable est le titre du nouvel album de Shack. Le troisième. En dix ans. C’est maigre pour deux compositeurs capables d’écrire une dizaine de chansons en une semaine. “C’est vrai qu’on peut être prolifique. Mais, ce n’est pas toujours comme ça… J’ai eu une période très difficile, près de quatre années sans arriver à faire quelque chose. Mais, ce nouvel Lp a été composé assez rapidement. En fait, j’ai eu l’impression que, pendant longtemps, la boîte était restée fermée… Et quand elle s’est réouverte, l’inspiration est revenue d’un coup !” HMS Fable pourrait être considéré comme le parfait résumé de tout ce qu’ont pu montrer les deux frères depuis qu’ils enregistrent ensemble. Depuis 1982. Entre les hommages à Love (encore), le temps de Streets Of Kenny, ou à John Barry – les fantastiques arrangements de Since I Met You –, le mélancolique Comedy aurait pu tout aussi bien être sur le premier album des Pale Fountains, tout comme le sublime Re-Instated, alors que le bucolique Captains Table n’aurait pas dépareillé sur le Magical World Of The Strands.Malgré quelques similitudes, il existe tout de même une grande différence entre Magical World… et HMS Fable : comment expliquez-vous cela ?

John : Tout simplement parce que les Strands correspondent à une époque bien précise de notre vie. Tandis que le nouvel album de Shack appartient plus à une tradition, s’inscrit dans la continuité de ce que nous faisons depuis longtemps, depuis nos débuts.

Mick : Mais, il n’y a pas eu pour autant de démarche volontaire, du style : “Tiens, gardons cette chanson pour tel ou tel projet, car elle y correspond mieux Pour moi, la seule grande différence, c’est que les Strands ont insisté sur le côté acoustique, alors que Shack utilise plus l’électrique… Mais peu importe : ces chansons, toutes ces chansons, ont été composées sur une guitare. Elles sont nées de la même manière. Elles n’ont pas eu la même façon de grandir, c’est tout.

Pour la première fois, presque, vos compatriotes semblent prêts à reconnaître vos talents de compositeurs…

(Sourire.) Et pourtant, chez nous, rien n’a changé. Ou si peu. Mais ce n’est pas très important. On sera juste flatté si le public apprécie ce nouveau disque, s’il aime nos chansons. Et, sincèrement, peu importe qu’il ne l’ait pas fait plus tôt. Je ne ressens aucune frustration à cause de cela. À quoi cela sert d’être frustré ? C’est un terme si négatif… Tu sais, nous venons de Liverpool et, par expérience, je peux te dire que les habitants, là-bas, sont extraordinaires. Ils accordent toujours le bénéfice du doute. Quoi qu’il arrive… Moi aussi, je réagis ainsi. Tout comme John. Nous sommes des gens forts, déterminés. Même dans la pire des situations, on va essayer de trouver le bon côté des choses. Car il y en a forcément un. (Sourire.) Il y a sûrement d’autres villes comme celle-ci dans le monde, je ne dis pas que nous sommes uniques… Mais je peux t’affirmer que l’échec des Pale Fountains ne nous a pas rendus amers, non. Bien au contraire, nous sommes devenus plus forts…

J. : La frustration, nous la ressentons quand nous ne sommes pas parvenus à retranscrire exactement comme nous le voulions une chanson sur un disque. Ça n’a rien à voir avec les classements des charts. Ou avec une mauvaise chronique dans la presse. Notre unique but, c’est d’arriver à être fier de ce que nous faisons, de penser que c’est beau, de pouvoir s’en émouvoir même. Et si nous atteignons cet objectif, alors, plus rien n’a d’importance. Après toutes ces années, nous sommes toujours là, et nous faisons toujours ce qui nous plaît…

M. : Au bout du compte, nous ne sommes là que pour écrire des chansons. C’est tout. Bien sûr, on souhaite toujours pouvoir toucher le public le plus large possible. Mais, ce n’est pas de ton seul ressort. Contrairement au fait de composer un morceau… Moi, tout ce je veux faire, peux faire, c’est composer. Après, advienne que pourra.

J. : Notre aventure n’est pas commerciale, elle ne l’a jamais été. Elle est tout simplement artistique.

Une fois encore, les textes sont très autobiographiques : tu n’as pas peur de te dévoiler ainsi, d’évoquer, parfois, des sujets aussi délicats que la drogue ?

M. : Sincèrement, je ne réfléchis pas en ces termes. Je ne tergiverse jamais, j’écris ce qui me vient à l’esprit, ce que mon cerveau me dit d’écrire. Jamais, je ne me pose la question de savoir comment les gens vont pouvoir interpréter telle ou telle phrase. C’est pareil dans la composition… Mon cerveau ne me laisserait pas commencer à travailler sur une mauvaise chanson. Si j’ébauche un morceau, je sais que je vais aller au bout, qu’il va être bon.

Battiston

Hier soir, sur scène, vous sembliez particulièrement à l’aise, Shack jouait vraiment “en groupe”.

J. : Tu ne peux même pas savoir à quel point nous sommes fiers de cette formation… Pour l’une des toutes premières fois, nous nous retrouvons à quatre, dans la même pièce, sur la même scène, avec cette envie d’aller dans la même direction. Et c’est difficile à trouver, une telle complicité. Aujourd’hui, dans Shack, chacun se met au service de l’autre, chacun essaye de tirer le meilleur de l’autre. Ensemble, on ne pense qu’à une seule et même chose : rendre justice à nos chansons.

Comment réagissez-vous au fait que, en France surtout et ce même si HMS Fable rencontre un important succès, vous risquez de rester avant tout des anciens Pale Fountains ?

M. : Et alors… Ça ne me dérange pas… Depuis toujours, nous composons de la même manière. Depuis toujours, nous sommes un groupe folk psychédélique… Bien sûr, c’est une autre époque, c’est une autre formation, mais, dans l’absolu, ça reste la même chose. Tu vois, l’équipe de France a remporté la coupe du monde l’an passé, mais pour moi, la meilleure sélection du monde restera la sélection française de 1982 : Rocheteau, Janvion, Platini, Giresse, Tigana, Battiston, Bossis… Pffff ! Je n’ai plus jamais vu ça. C’était incroyable de voir évoluer ces joueurs… C’est peut-être l’équipe de 98 qui a remporté un trophée, mais ça ne signifie rien pour moi. Alors, je comprendrai très bien que des gens aient la nostalgie des Pale Fountains. Et puis, je serai quand même un peu hypocrite de leur reprocher… Tu vois notre nouveau single, Comedy? Eh bien, je l’ai composé à l’époque des Pale Fountains.

Un autre long format ?