Sans nouvelle depuis la sortie de la compilation Novelty Rock sous l’identité de Denim en 1997, on se demandait ce qu’il était advenu de Lawrence, génie pop et précurseur de nombre de tendances, personnage excentrique que l’on annonçait sur Creation en solo et qui revient avec un album farfelu mais addictif, Instant Wigwam And Igloo Mixture, enregistré sous le nom de Go-Kart Mozart et sur son propre label. Dans son minuscule appartement londonien, l’artiste le plus doué et respecté de sa génération raconte son itinéraire semé d’embûches, se perd en anecdotes et parle des filles et de Lou Reed. Un sacré programme.

ARTICLE Christophe Basterra
PARUTION magic n°37Tu étais censé avoir signé sur Creation et voilà que l’on retrouve ton nouveau disque sur ton propre label, West Midlands Records, via Cherry Red : que s’est-il passé exactement ?

Oh, c’est une longue histoire, mais j’ai effectivement signé un contrat avec Creation l’été dernier, un contrat solo. En fait EMI s’est débarrassé d’Emidisc et de Denim, juste après la non-commercialisation du single Summer Smash, en août 1997. Une nouvelle fois, j’étais dans une impasse… Heureusement, Alan McGee m’a donné de l’argent pour que je puisse enregistrer un nouvel album de Denim, même s’il n’avait aucune envie de le sortir… (Sourire.) On a fait écouter le résultat, non mixé, à deux personnes, qui n’ont pas du tout été intéressées… En fait, c’était pire : elles n’en pensaient rien. Ensuite, j’ai essayé aux États-Unis, au Japon, mais les structures prêtes à s’engager n’avaient pas assez de moyens… J’étais au fond du trou. C’est alors que je suis entré en contact avec Cherry Red, en leur proposant d’enregistrer un disque, sans trop savoir ce que j’allais faire. Ils ont accepté, m’ont donné de l’argent qui m’a permis de régler mes dettes ! Et puis, cette idée d’album m’est un peu sortie de l’esprit même si les gens de Cherry Red ne cessaient de m’appeler pour savoir où j’en étais ! Au printemps 99, Alan m’a recontacté pour m’offrir cette fois un contrat solo. Il ne voulait plus entendre parler de Denim, il ne voulait pas qu’il y ait un quelconque aspect comique dans les chansons. Il m’a suggéré d’enregistrer une sorte de Berlin moderne. Et j’ai trouvé l’idée extraordinaire… J’ai signé l’été dernier. Depuis, tout me paraissait fantastique, Creation payait même mon loyer. Et puis, il y a deux semaines, Alan a annoncé qu’il quittait le label. Ce qui fait que je me retrouve sur Sony … Maintenant, ce que je veux, c’est rompre ce contrat pour pouvoir suivre Alan ! J’adore Sony, j’adore les grosses majors, mais je crois que ces gens-là ignorent jusqu’à mon existence… Ils ne s’en rendront compte qu’au moment de me virer. (Sourire.)

Et Cherry Red dans tout ça ?

Ah, oui… En juillet dernier, je me suis rappelé du disque. Comme ils m’avaient avancé cet argent, je me suis fait un point d’honneur à leur livrer un album. Bien sûr, j’aurai pu enregistrer mon Metal Machine Music, leur refiler un truc inaudible. Mais je ne suis pas comme ça. (Sourire.) Ils ne m’auraient rien dit, d’ailleurs, car ils m’avaient laissé entière liberté ! Mais je voulais faire de mon mieux. Il fallait juste que je puisse enregistrer avant la fin de l’année, pour débuter l’année 2000 sur de nouvelles bases. J’ai recontacté tous les musiciens de Denim pour réunir toutes les idées que l’on avait ébauchées. Bien sûr, j’avais dilapidé le budget que Cherry Red m’avait donné quelques mois auparavant. Alors, j’ai enregistré chez les musiciens qui avaient des home studios. Et puis, Brian O’Shaughnessy, qui a travaillé avec moi sur les Denim, et Brian Pugsley m’ont laissé leurs studios.

 

Ping pong

 Retrouve-t-on sur ce disque des morceaux qui étaient destinés au quatrième album de Denim ?

Non… De toute façon, mis à part Here Is A Song, ce ne sont que des nouvelles chansons ou des morceaux qui n’avaient jamais été achevés. Les trois co-écrits avec Smithy sont peut-être les plus anciens,, ils doivent dater d’il y a deux ans peut-être. Je lui avais donné des titres pour qu’il compose des musiques, qu’il m’avait enregistrées sur une cassette. Lorsque je lui en ai parlé, il m’a avoué que son ordinateur était cassé et qu’il ne restait plus aucune trace de ces chansons. Heureusement, j’ai retrouvé cette cassette, on a… transposé la musique sur une DAT et j’ai chanté dessus ! Sur ce disque, j’ai réalisé des choses que je n’avais jamais essayées avant ou depuis longtemps, comme d’enregistrer sur un matériel très basique … C’était un excellent exercice ! Ensuite, on s’est arrangé pour que l’ensemble sonne de façon identique, pour apporter une certaine luxuriance dans le son. Je ne voulais que cela sonne trop lo fi, même si je crois que le public adore ça. Moi, je déteste ça, j’aime quand un disque donne l’impression d’avoir coûté très cher.

Pourtant, tu adores les Make Up ?

Ils sonnent très 60’s, n’est-ce pas ? Je ne m’en suis aperçu que récemment en fait. Mais, ce n’est pas les 60’s que tous les groupes, au début de Creation, essayaient de recréer : eux voulaient tous ressembler aux Byrds. Quelle originalité ! Le problème, c’est que les Byrds enregistraient dans les meilleurs studios, avec les meilleurs ingénieurs, et avec d’extraordinaires musiciens de session comme Glenn Campbell. Alors, ils pouvaient toujours rêver, surtout en travaillant dans un studio minable de Waterloo sous les ordres de Joe Foster… Les Make Up ont une approche différente, un son extraordinaire. Ils sont très intelligents.

Tu évoquais Here Is A Song tout à l’heure, or, au départ, cette chanson ne devait pas figurer sur Instant Wigwam

C’est Terry Miles, mon collaborateur le plus proche, qui m’a suggéré l’idée… Et j’ai réécouté le morceau le soir même et je l’ai trouvé fantastique. Ça tombait bien car je n’étais pas content du mix d’England And Wales, le titre que j’ai écarté. Mais il sera sur le prochain de Go-Kart Mozart, un mini-Lp cinq titres. D’ailleurs, après ce disque, ce sera la fin de ce projet, juste un petit groupe pour un laps de temps très court.

Pourquoi avoir créé ton propre label, West Midlands Records ?

Dès le départ, je savais que je ne sortirai pas directement ce disque sur Cherry Red ! Il existe une sorte de malédiction qui pèse sur ce label : chaque disque qu’il réalise est voué à l’échec. C’est comme ça depuis le début. À un moment Mike Alway, l’homme qui a signé Felt sur Cherry Red en 81, a évoqué la possibilité de réactiver Él… Finalement, ça ne s’est pas fait et j’ai trouvé que l’idée de Momus de créer sa propre structure, puis laisser Cherry Red se charger de la distribution était loin d’être sotte. Mais je suis allé encore plus loin car je leur ai interdit de mettre leur logo sur ma pochette. Ils l’ont toujours mis en énorme ! Même sur les disques de Felt. Nous faisions nous-mêmes le design et le placions en tout petit, mais quand nous recevions la pochette finie, il avait doublé de taille parce qu’ils le modifiaient dans notre dos. Heureusement, ils ont changé. En fait, ils commencent à comprendre que leur intérêt est d’agir comme une banque pour des gens dont la démarche artistique est intéressante. Comme ils passent leur temps à rééditer des vieux trucs punk, qu’ils ont récupéré les catalogues de labels disparus et qu’ils sortent des compils de foot qui vendent énormément, ils sont très riches. Aussi, le fait d’avoir des gens comme Momus et moi leur permet de retrouver une place dans les médias, qui les ignoraient depuis un bon bout de temps.Et que comptes-tu faire avec West Midlands Records ?

Oh, c’est une structure minuscule qui n’a pas beaucoup d’ambition. Il ne s’agit pas de faire beaucoup d’argent… C’est plus un hobby. Mon vrai travail, c’est de me concentrer sur mon prochain album solo. Je cherche des groupes avec des filles, des filles qui en veulent et, surtout, qui aiment lire. Je n’en connais pas. J’ai envie qu’elles m’envoient leur démo. Musicalement, j’adore un groupe comme les Period Pains. Sinon, il y a aussi Ping Pong, un trio féminin dans lequel joue la petite amie de Bobby Gillespie… Elles n’ont pas de contrat, mais je suis sûr qu’elles vont signer très vite sur une major.

Dans le livret, tu mentionnes deux groupes déjà signés : existent-ils vraiment ?

Tout à fait… Newspaper Joe est un trio féminin, a cappela, qui ne fait que des reprises. L’une d’entre elles chantait sur le Brumberger de Denim On Ice. Je leur ai fait changer de nom. Newspaper Joe est tiré d’une très belle chanson de Lou Reed, Charlie’s Girl, sur Coney Island Baby. Physiquement, ces filles sont d’une laideur dingue, mais ce sont de fantastiques chanteuses. Elles me rappellent une formation de trois choristes dans les 70’s, The Ladybird, qui intervenaient dans Top Of The Pops… Elles portaient d’immondes robes à fleurs. Les Newspaper Joe leur ressemblent de façon incroyable, même pour le style vestimentaire. Elles sont tellement horribles qu’elles en deviennent cools. J’ai rarement rencontré des gens aussi peu en phase avec leur époque.

 

Galerie marchande

Tu sembles toujours autant obnubilé par les filles : sur le disque, tu as même écris une chanson dédiée Wendy James…

C’est une idée que j’avais depuis des années. C’est une sorte d’hommage… Non pas parce que j’aimais Transvision Vamp, je trouvais même ce groupe minable, tout comme je trouvais pathétique la façon dont elle s’habillait… Mais, quand elle s’est lancée en solo, je me suis dit qu’elle pouvait peut-être réaliser quelque chose d’intéressant. Et puis, Elvis Costello lui a composé cet album ridicule et il a ruiné sa carrière. Heureusement, elle a épousé Mick Jones, ils forment un beau couple. En fait, par cette chanson, je veux lui faire comprendre que c’est moi qui aurais dû lui composer son disque… En plus, Costello en a eu honte quand il a vu que la presse n’aimait pas Wendy James. Il a déclaré qu’il avait tout écrit en un week-end, ce qui est faux, bien sûr.… Il n’y avait que deux bons morceaux. Ils n’auraient dû sortir qu’un 45 tours. Moi, j’aurais pu lui composer des morceaux très rock, c’est ça dont elle avait besoin.Qui est cette Mrs Back To Front ?

C’est un personnage que j’ai créé, et qui est d’une maladresse confondante… Je l’ai imaginé à l’époque où je fréquentais Rose McDowell (ndlr : ex-Strawberry Switchblade, qui a collaboré avec Felt et Death In June, entre autres). Elle fait toujours le contraire de ce qu’il faut faire Peut-être qu’à cinquante ans, j’utiliserai cette Mrs Back To Front comme principal protagoniste d’un livre pour enfants que j’envisage d’écrire.

Sur ce morceau, on a l’impression qu’au beau milieu débute une autre chanson…

(Rires.) Mais, c’est une autre chanson ! L’histoire est assez drôle… Quand Terry a quitté l’école, il a rejoint le groupe de son père, qui ne joue que des reprises, dans les pubs, chaque week-end. En fait, Terry a arrêté il y a peu, quand il a rejoint la formation de Bernard Butler. Un jour, une galerie marchande de Birmingham a organisé un concours pour célébrer son 21ème anniversaire. Quelle idée stupide… Le premier prix devait être un voyage aux Bermudes. Mais comme le groupe du père est tout aussi ridicule, il a décidé de participer et a enregistré le morceau que tu peux entendre. La première fois que je l’ai écouté, j’ai failli mourir de rire… Parce que le père de Terry avait fait tout ça en se prenant très au sérieux ! Je l’ai utilisé au moment où, dans la chanson, est censée éclater une bagarre. L’effet est plutôt bien rendu, je trouve. Tu as remarqué, j’ai affublé mes musiciens de surnoms idiots dans le livret : celui de Terry, Milestone Express, est en fait le nom de ce groupe.

On trouve également une reprise, Today.

Je ne savais pas que c’était une vraie chanson au départ… Pour moi, c’était juste le générique d’un programme télé. Ado, je vivais à Birmingham et il n’était diffusé que sur Londres. C’est en  fait l’émission animée par Bill Grundy où les Sex Pistols ont prononcé des mots grossiers, ce qui avait choqué toute l’Angleterre à l’époque. Je n’ai récupéré l’émission que bien plus tard sur une vidéo pirate. Et tu entends Johnny Rotten juré alors que cette drôle de musique commence, puis Siouxsie se met à danser, suivie par tous les autres. Je trouvais que ça ressemblait à du Denim et je m’étais promis d’en faire une reprise. Ensuite, en parlant de ce projet à Gary, l’ancien batteur de Felt, j’ai appris que c’était une vraie chanson, intitulée Windy. Je n’en avais jamais entendu parler ! Et à Londres, quand tu ignores tout d’un morceau, tu appelles Martin Greene, un Dj réputé responsable de la compilation Sound Spectrum. Il m’a dit posséder plus de cinquante versions de ce morceau, qui est un des plus gros tubes du début des années 70 ! J’ai quand même décidé de garder le titre que j’avais prévu initialement car j’ai voulu faire cette reprise à cause de ce programme télé. Cherry Red a accepté car je ne risque pas de vendre suffisamment de disques pour craindre d’être poursuivi…

 

Dostoïevski

Comment juges-tu la scène musicale actuelle ?

C’est marrant, parce qu’en général, les gens de ma génération se plaignent du fait qu’ils ne se passent plus grand chose, ils regrettent que ce ne soit pas comme au… bon vieux temps… Mais je ne suis pas d’accord ! C’est juste qu’ils n’ont plus le même appétit de découvertes. Je trouve qu’il y a d’excellentes choses, en particulier dans ce que j’appelle la deuxième révolution électronique. Parce qu’on a quand même tendance à oublier que la première a eu lieu au début des années 70. J’étais un grand fan d’Eno. Quand le punk est arrivé et que l’on a tous décidé de jeter nos collections de disques, c’est le seul artiste que j’ai conservé. Dans les années 80, avec Felt, j’ai refusé d’utiliser des synthés parce que je haïssais les formations de l’époque qui en utilisaient. Aujourd’hui, je retrouve une continuation de ce qu’Eno pouvait faire, ou les groupes de la scène allemande. D’ailleurs, en 77, il a sorti un disque extraordinaire avec Cluster… Actuellement, j’aime bien Plone, même si je ne sais pas à quoi ils ressemblent. Je trouve Squarepusher extraordinaire et je suis ce que réalise Warp en général. J’adore aussi Aphex Twin et son label Rephlex… Sinon, je suis toujours convaincu que l’avenir de la musique passe par l’union parfaite entre l’électronique et le rock. Tu as écouté le nouvel album de Primal Scream ? Il est absolument bouleversant. J’adore Bobby Gillespie, car c’est un type qui croit vraiment en ce qu’il fait…

Et que devient Denim car, normalement, il te reste un album à sortir, Denim Takes Over

Denim va hiberner pendant cinq ans. Ce sera, littéralement cette fois, “Denim on ice”. (Sourire.) Mais on ne se sépare pas. On va attendre que les gens nous comprennent, comprennent notre démarche. Comme avec Felt, nous étions bien trop en avance. Pour le grand public, en tout cas. Mais dans cinq ans, ce devrait être bon. Entre temps, je vais enregistrer des albums solo, où je vais insister sur le côté songwriting. Mais ce sera du rock quand même, pas du folk, surtout pas… Le premier Lp sera l’œuvre disque la plus sombre que j’ai jamais enregistrée. J’y parle d’un poète du 17ème siècle, très doué, qui est mort à 17 ans, seul, affamé. Tu te rends compte, il était encore plus jeune que Rimbaud ! Ce sera donc un Berlin de l’an 2000. J’ai mis beaucoup de temps à apprécier ce disque… Mes mélodies seront plutôt évidentes, mais les textes seront très intenses. Il va s’intituler In The Pursuit Of Death… Ce sera mon roman russe, en quelque sorte, comme si Dostoïevski enregistrait un album. Je sais, c’est un titre très dur… Mais bon. Quand je pense que les gens croient que Radiohead est un groupe sombre, inquiétant… Je vais leur montrer, moi, ce qu’est un album dur et ténébreux.…

Un autre long format ?