Ennemi juré de la médiocrité et du mauvais goût, Jean-Louis Murat revient, après la parenthèse Madame Deshoulières, en forme olympique en cette année symétrique. Avec Le Moujik Et Sa Femme, titre de son huitième album studio enregistré en un temps record et d’abord envisagé comme un nom de groupe improbable, l’Auvergnat à la langue de vipère et à la faconde légendaire casse définitivement son image de triste chanteur de charme. À l’occasion d’un abécédaire auquel il s’est soumis avec plaisir et patience, Jean-Louis Bergheaud, champion incontesté de “la division d’honneur du rock international”, apprenti peintre et grand résistant devant l’éternel, tire à boulets rouges sur tout ce qui bouge, et pas seulement des ambulances.

INTERVIEW Franck Vergeade
PARUTION magic n°59

A comme Amour

Putain, c’est difficile pour commencer. Moi, j’ai passé ma vie en manque. Il m’en faut toujours plus, et je suis prêt à toutes les turpitudes les plus insensées pour avoir ma dose. Je suis vraiment accro, et il me faut une dose bien précise, sans quoi je mets le feu. Contre l’amour qui passe ? Je le suis. (Rires.) C’est de la biologie aussi, l’amour, on le sait de plus en plus. Il y a ce bouquin sensationnel de De Rougemont, L’Amour Et L’Occident, qu’on ne devrait jamais lire, où il démontre très bien que l’amour n’existe pas. C’est une invention. Quand je chante “Dis moi, est-ce que tu m’aimes”, c’est du pipeau. Ce sont des mots, des images, des expressions. L’amour courtois est quasiment rentré dans notre inconscient collectif… C’est entre le XIe et le XVe siècle que toutes les règles de l’amour, qu’on supporte aujourd’hui et qui nous semblent exister depuis une éternité, sont nées. Après, t’as l’autre imbécile de Jacques Brel qui va chanter Ne Me Quitte Pas, du coup, c’est le Christ au Golgotha qui dit Ne Me Quitte Pas ou plutôt Père Pourquoi M’As-Tu Abandonné. Enfin, bref, toutes les réactions que je pourrais avoir ne sont que strictement culturelles. Parce qu’on est des monstres préfabriqués par cette idée-là de l’amour. Nietzsche le dit également : dès l’instant où a existé la religion catholique, il n’y a jamais eu autant de romans à l’eau de rose. Cette religion a développé une espèce de mécanisme qui fait que les femmes ou les hommes les plus sensuels finissaient dans des couvents ou des monastères. Du coup, on compense par des chansons d’amour, et l’on se bat dans notre vie affective qu’avec des mirages. Tout ce que je pourrais dire sur l’amour, il n’y aurait donc rien de personnel là-dedans. Il faudrait quasiment supprimer le mot parce que c’est le grand piège de vie privée dans lequel on fait tomber l’homme occidental depuis longtemps. L’homme occidental se morfond là-dedans, et j’en suis un bel exemple : je me morfonds dans un univers faux. (Rires.)

 

B comme Bergheaud

Brenoï aussi. Quand j’étais petit, on m’appelait comme ça. Depuis que sur mes papiers figurent les deux noms, Murat et Bergheaud, ça a réglé beaucoup de problèmes pratiques, ainsi que ma schizophrénie. Maintenant, je suis assez apaisé à ce niveau-là : je ne fais plus qu’un.

 

C comme Clavaizolle

Je ne travaille plus beaucoup avec Denis, c’est donc un peu délicat de parler de lui. Il a monté un studio d’enregistrement, il fait de la prod’, il a un groupe, il a ses enfants, sa famille, et ses problèmes. On ne va pas rester marié toute notre vie, et je trouve ça très bien. Notamment pour lui, je pense que c’était mon intérêt de bosser ensemble, pas forcément le sien. Arrivé à un moment, tu as envie d’être surpris par les gens avec lesquels tu travailles. C’est pour cette raison que beaucoup de groupes explosent. Sur le nouvel album, il fait seulement deux, trois petits trucs, mais on retravaillera ensemble un jour parce qu’on est très copains.

 

D comme discographie

On fera le point quand j’aurais fait au moins une vingtaine d’albums. Ça me désole de n’en avoir publié aussi peu. Si j’étais mieux né et pas aussi tard venu dans ce monde, j’aurais enregistré au rythme des années 60, deux disques par an. Maintenant, on a un rythme de couillon. C’est devenu un métier de boutiquier, plus de musicien, chanteur ou artiste. Si t’acceptes de vivre une vie de merde en faisant un disque tous les trois ans, c’est que tu ne mérites pas de faire ce métier. Moi, j’ai au moins deux albums d’avance. S’il faut que je rentre en studio demain, j’ai les chansons. Je vais commencer les répétitions bientôt, et je pense faire une dizaine de nouveaux titres sur scène. À la maison, j’ai des tonnes de cassettes, mais le problème c’est que je n’aime pas me réécouter, et je ne connais personne de confiance capable de se plonger dedans et passer des mois et des mois à tout répertorier. En plus, il m’arrive par mégarde d’effacer des DAT. À l’automne, j’ai ainsi effacé trois chansons, dont j’étais pourtant très content. Une fois, il y a quatre, cinq ans, c’était sept que j’avais perdu d’un seul coup. Parce quand ça vient, ça me prend comme une envie de pisser, et je saisis la première cassette qui me tombe sous la main. En tout cas, je la vois bien mince ma discographie. J’espère au moins qu’elle est ascensionnelle, sinon ça serait à désespérer de tout. Nous, artistes français, on part de tellement de bas que pour ne pas faire de progrès, faut vraiment être nul. (Sourire.) Non, c’est vrai. On est tellement mauvais dans le show business français, il n’y a presque pas de bons instrumentistes, de bons chanteurs. Quelqu’un qui compose bien, j’en vois pas non plus. Qui soit intelligent, encore moins. On est très mal classé en division d’honneur dans le rock international. C’est pas le cyclisme ou le football, la musique. On est les champions de la dialectique, mais c’est tout. Pour expliquer ce qu’ils font, les mecs sont très forts. Pour le reste, ils font encore beaucoup rigoler. C’est pour cela que j’essaie de jouer avec gens de D1.

 

E comme Elysian (Fields)

Ce sont des amis, et de plus en plus chers, qui ont beaucoup de difficultés et qui dégustent, malheureusement. Hier, avec ma copine, on en parlait encore après avoir reçu un message d’Oren (nldr : Bloedow, le guitariste). Moi, je ne sais pas si je pourrais tenir le coup à leur place. Je suis très admiratif. En collaborant avec Elysian Fields ou Calexico, je me suis enfin senti considéré comme un mec qui assure dans son job. De faire le patron en studio avec d’excellents musiciens, ça ne m’a pas dérangé, au contraire. Ici, le Français est tellement cynique que tout le monde prend tout le monde pour un fifrelin en studio. Résultat : tu ne te sens jamais bien dans ta peau. Là-bas, d’un seul coup, d’être enfin considéré… ça m’a donné beaucoup de confiance et rendu un peu plus serein. Parce qu’à chaque fois que j’écris des chansons, je me dis que j’écris comme une merde, même si je me déprécie un peu moins maintenant. Mais c’est typiquement un défaut français : si tu dis aux gens du business que tu fais de la merde, personne ne te dira le contraire. La France est un endroit effroyable pour travailler. Je déteste travailler en France avec des Français. C’est épouvantable, je ne pense pas qu’on puisse y enregistrer de bons disques. On est des trous du cul. En plus, le Français est tellement jaloux qu’il ne veut pas que l’autre fasse des choses mieux. C’est pour cela que les footballeurs français sont les meilleurs, parce qu’ils sont partis d’ici. Il faudrait qu’on puisse aussi le faire. Tu ne le crois pas que des joueurs comme Cantona ou Henry se tâtaient pour savoir s’ils allaient continuer le foot. Chez les musiciens, il y en a beaucoup des Cantona, des Henry, des Wiltord, sauf que les mecs ne sont pas transférés à l’étranger, arrêtent les frais et touchent le RMI. Ils vont casser une petite banque de temps à temps, alors qu’ils feraient mieux de faire des disques. Tout est fait ici pour te démoraliser et te décourager. C’est un pays de merde, je déteste ce pays.

F comme Figure (libre)

Ah oui, c’est vrai, ça s’appelait “figure libre”. (Sourire.) Je pensais plutôt bite à l’air. C’était rigolo, mais je l’ai dit à personne. Faudrait qu’on refasse un coup fumant. C’est mon esprit ranchero, la déconnade. Je suis quand même dans cet état d’esprit-là la plupart du temps. On me prend toujours pour un triste, mais je suis ranchero à fond. (Sourire.)

 

G comme Giscard

On s’enfonce tellement dans le médiocre que Giscard va bientôt passer pour le meilleur président de la Ve République. On va halluciner, c’est-à-dire que Pompidou est un génie, De Gaulle Charlemagne, et Giscard d’Estaing, Colbert. Giscard, chez moi, en Auvergne, il se fout de tout, il pense à sa gloire personnelle, et il a vidé les caisses de la région avec Vulcania. En passant aux trente-cinq heures et en les prolongeant tous jusqu’à quatre-vingt-quinze ans, il faut bien en faire quelque chose. Donc tu balades des gens en bus. Vulcania, c’est un billard finalement. Tu as tous les grabataires de France et d’Europe qui viennent passer trois heures à regarder fumer un truc dans le parc des volcans. Moi, de toute façon, je déteste le tourisme et les touristes, et depuis que je suis tout petit. Enfant, j’ai été élevé à la ferme, et chaque fois que mon grand-père voyait un touriste, il sortait son fusil avec les cartouches à sel. À côté de ça, dans ma commune, ils nous ferment l’école, la Poste. Alors ça nous fait une belle jambe que les mecs viennent bouffer au McDo et restent trois heures, parce que tout ça est payé avec notre pognon. Les pauvres Auvergnats n’en verront pas la couleur revenir. Je trouve que c’est une idée du siècle dernier de penser qu’on va développer les pays et les régions. On se croirait revenu en 1975, en plein dans la période Giscard. Comme dans le foot, à trente-cinq ans, il faudrait obliger les mecs à se retirer parce qu’ils ne sont plus performants. Giscard est sincère, sauf que son idée a trente ans de retard.

 

H comme Huppert

D’une certaine façon, j’ai toujours été amoureux d’elle, depuis La Dentellière (ndlr : film de Claude Goretta, réalisé en 1976). Mais comme ça, platoniquement. Dans Madame Deshoulières, je lui dis que je l’aime, et elle me répond qu’elle espère bien. (Sourire.) Elle est sensationnelle, et je la ressens comme une amie très proche. Elle est de plus en plus formidable, destroy, libre. Et elle va encore nous surprendre parce qu’elle est capable d’aller beaucoup plus loin. C’est un être humain tout à fait exceptionnel.

 

I comme Interview

C’est bien la merde les interviews. Chaque fois que j’en termine une, je déprime. Je parle librement, mais ça me développe un sentiment de culpabilité, j’ai tellement esquissé les choses… Sur une idée un peu compliquée résumée dans le journal, les gens n’hésitent pas à t’interpeller à la fin des concerts. J’essaie donc d’anticiper l’effet boomerang.

 

J comme Jimenez

Comme Fred, ah ouais, super. Jean-Marc (ndlr : Butty) et Fred, j’ai hâte de les retrouver pour qu’on commence les concerts. J’avais vu Fred avec Houellebecq, puis on a sympathisé. Comme tout le monde, je trouve évidemment qu’il n’y a pas mieux que la section rythmique d’A.S Dragon. Avec Jean-Marc, on avait joué à Nulle Part Ailleurs avec Elysian Fields, c’est aussi un copain de PJ Harvey. En temps cumulé, je crois qu’on a enregistré le disque en douze heures. La moitié des chansons, c’est des premières prises : chant, guitare, basse, batterie. À l’ancienne, quoi. On n’est jamais resté plus d’une demi-heure par titre. D’ailleurs, on aurait pu enregistrer l’album en deux après-midi, mais on foutait rien. C’est moi qui imposais ce rythme : foot, piscine et travail entre 15 heures et 16h30. Quoiqu’il en soit, c’était assez miraculeux comme enregistrement, un vrai moment de grâce. On était comme trois frères, et on avait de la peine de se quitter au bout de cinq, six jours. ça faisait longtemps que j’avais envie de me retrouver en situation de groupe. Du coup, le disque, je ne voulais pas le sortir sous mon nom, mais sous Le Moujik Et Sa Femme, un nom original, non ? (Sourire.) On n’allait pas s’appeler Fever And Action. (Rires.) Évidemment, quand t’en as parlé deux secondes avec ta maison de disques, t’as compris que c’est impossible.

 

K comme Kieslowski

Professionnellement, je dis souvent que c’est un de mes meilleurs souvenirs. Je me rappelle encore des deux, trois journées à Varsovie, dont une passée avec Kieslowski dans les locaux de la radio polonaise. En plus, je n’arrivais pas trop à chanter Rouge, alors il me tenait la main pour m’aider. On se sentait très proches. Autant je déteste le cinéma, autant j’aurais aimé collaborer à nouveau avec Kieslowski, mais il est mort avant. J’avais été d’autant plus touché qu’il connaissait ce que je faisais, et chez Virgin, ils ont essayé pendant des mois de lui refourguer Julien Clerc, Alain Souchon… Et il disait : “Non, je veux Murat”. Chez Virgin, ils sont très sympas, mais quand tu fais un métier d’enculé, il faut bien se comporter comme tel. C’est naturel, sinon ils seraient virés. Mais ils sont capables de tout : ils proposeraient bien La Tosca à Étienne Daho ! Ce qui pourrait faire rigoler. (Rires.) Dans chaque interview, je me fais le pari de balancer au moins une saloperie sur Étienne Daho. Qu’il ne pense pas que je l’oublie. (Sourire.) Sacré Étienne, c’est la voix de la France, un petit pays qui chuchote et ne sait pas chanter.

 

L comme Laure

La fille que j’aime. On s’est marié il y a pas très longtemps, et j’ai hâte qu’on passe aux bébés. C’est elle qui écoute toutes les chansons. S’il y en a des faibles dans le nouvel album, je n’y suis pour rien. C’est aussi elle qui m’a mis à la peinture et au dessin, et je passe désormais l’essentiel de mon temps à peindre, plus qu’à faire de la musique. ça fait bander de peindre, d’écrire, je suis pas sûr.

M comme Mademoiselle (Personne)

Ah ouais, c’est vrai. (Sourire.) Tiens, qu’est-ce qu’elle devient Élodie (ndlr : Bouchez) ? Il faudrait bien que le film sorte un jour, mais je crois que tout le monde s’en fout. Après La Vengeance D’Une Femme de Jacques Doillon, c’était mon deuxième contact avec la caméra, et c’est là que j’ai dit : “Stop”. C’est un métier de larbin, j’en referai plus.

 

N comme New York

C’est bien triste là-bas maintenant, je ne sais pas si j’y retournerais. Au départ, je comptais enregistrer à Memphis et Nashville dans un trip un peu nostalgique, avec des chansons écrites sur mesure, mais c’aurait été une folie. Si on veut être positif, le 11 septembre nous aura au moins appris quelque chose. Car moi qui aime beaucoup l’histoire, je m’étais toujours demandé ce qu’était cet esprit vichyssois qu’il y avait chez les Français. Je n’avais jamais compris comment ils avaient pu autant être pétainistes. Et la réaction des Français après le 11 septembre, pas tous mais la majorité silencieuse, du genre “c’est bien fait pour vous”, m’a vraiment fait comprendre ce qu’était l’esprit vichyssois, munichois. Car c’est malgré tout un crime, comme un viol est un crime. Or, je n’aimerais pas être agressé et violé, et que tout le monde dise que je l’ai bien cherché. Je n’ai toujours pas digéré cette réaction-là. Surtout de la part des élites, ça m’étonne pas qu’à quelques exceptions près, elles soient toutes parties à Vichy en 1940 et restées ensuite proches de Pétain. Il n’y a qu’à voir Mitterrand. Les élites sont profondément immorales. Il faut que ce soit les cheminots, par exemple, qui commencent les mouvements de résistance. Si on compte sur les gens intelligents, avec leur cynisme chevillé au corps, c’est pas possible. Surtout les progressistes de petite envergure, genre Inrockuptibles, qui sont des espèces de petits réactionnaires habillés en progressistes. J’aime pas du tout leurs prises de position : José Bové, Porto Alegre… Je crois qu’ils ont tout faux. C’est vraiment des petites gens. Parlez musique, fermez vos gueules. Les gars, ne vous amusez pas à parler de ce qui vous dépasse. Parce qu’en 1940, ça vous aurait mis du mauvais côté. Voilà ce que je pense.

 

O comme OGM

Qu’on apporte la preuve qu’il y a une seule personne qui a eu une crise de foie à cause d’un produit OGM. Je sais bien que les anti-mondialistes sont anti-OGM, anti-ceci ou cela, mais après, ils s’enferment au Rex en regardant tous les épisodes de Capitaine Flamme. (Sourire.) José Bové a toujours été ma tête de turc numéro 1, bien avant Étienne Daho. Bové, je comprends pas qu’il puisse être le héros des progressistes à la mords-moi le nœud. C’est un danger public. Pourquoi ce gars-là qui est condamné à la prison n’y va pas ? Je le crois pas. François Hollande, mais qu’il ferme sa gueule. Quand je pense à Bové, je pense à ces abrutis d’indépendantistes bretons, et à l’autre con qui a mis une bombinette sur un McDo parce qu’il s’est senti légitime de péter tous les McDo de France. Résultat : la bombe a pété à la gueule de cette malheureuse femme de ménage. José Bové, je te l’aurais inculpé de complicité de meurtre par connerie. Et j’établirais un délit international de connerie mortelle. Je le condamnerais, je rouvrirais Cayenne, et je le laisserais jusqu’à la fin de ses jours pour lui apprendre le métier. Non, mais c’est vrai. José Bové, c’était l’homme de l’année pour les lecteurs des Inrockuptibles (ndlr : référendum 2000). Bravo les gars ! Bah oui, on a les héros et les lecteurs qu’on mérite.

 

P comme Pascale (Clark)

J’ai quelques copines, dont Pascale Clark, avec lesquelles on rigole bien à chaque fois qu’on se voit. C’était marrant à faire La Route (ndlr : émission hebdomadaire diffusée sur Canal Jimmy). Moi, j’y suis allé pour Pascale parce qu’il fallait qu’elle trouve un partenaire, et comme je lui passe tout… Après, on me prend pour un obsédé sexuel parce qu’ils ont enregistré sept heures d’émission, ramené ça à quarante-cinq minutes et sorti que les moments où je parlais de cul. Il n’y a que ça qui les intéresse à la télé. Mais ça honore personne de faire des émissions comme ça, je prie toujours pour que ma mère ne les voit pas.

 

Q comme QI

J’sais pas trop ce que je pourrais dire là-dessus. Comment elle s’appelle l’autre marchande de poissons ? Ah oui, Christine Bravo. Va falloir que j’aille à son émission et à celle de Fogiel. Faut vraiment que je trouve un truc contre lui pour pas y aller. Les Rancheros m’ont bien suggéré une idée, mais j’oserais jamais. (Sourire.) Mon copain Alain (nldr : Bonnefont) m’a fait remarquer que Fogiel a toujours l’air très content : il se trémousse tellement qu’on dirait qu’il s’est collé un god’ sur la chaise. (Sourire.)

 

R comme Rancheros

La rigolade assurée. ça fait très longtemps qu’on est potes tous les cinq, alors on s’est dit pourquoi ne ferait-on pas un groupe, en se posant des règles très strictes. À commencer par la règle des cinq minutes : cinq minutes pour écrire, cinq minutes pour répéter, et cinq minutes pour enregistrer. Il faut vraiment que ça fuse et qu’on soit en top forme. C’est une super expérience. Là, on prépare un autre album, et je pense que pendant la Coupe du monde de football, on va écrire et enregistrer un disque entier. J’ai bien proposé Les Rancheros à Labels, mais ils ont trouvé ça nul à chier. De toute façon, à chaque fois que j’ai essayé de faire signer quelqu’un, c’est un fiasco. Il faut dire que j’ai tellement une mauvaise image dans le show-biz. En tout cas, c’est dur à suivre la vie Rancheros. Parce qu’on exagère beaucoup sur tout : les produits illicites, l’alcool… Ce qui fait que toutes les chansons sont enregistrées dans des états très seconds. (Sourire.)

 

S comme Story (Loft)

Ah, ça, j’étais aux États-Unis, je l’ai donc pas vu. En revanche, j’ai regardé un peu Star Academy, et c’est la même nana qui organise (ndlr : Alexia Laroche-Joubert, la productrice). Elle doit être la meilleure salope de France. J’ai rien contre les salopes, mais celle-là a l’air particulièrement gratiné. Le Monde a quand même fait six ou sept unes avec Loft Story. Si bien que quand est arrivé le 11 septembre, il n’y avait plus personne. Edwy Plenel et la rédaction du Monde ont merdé pendant un mois à trouver une façon d’en parler. Ce qui m’a surtout étonné, c’est l’attitude des médias et des gens comme Philippe Sollers. D’un seul coup, ce qui était le plus important en France, c’était Loft Story. Vu de l’extérieur, tu te demandes dans quel pays tu vis. Aux États-Unis, Star Academy, ça ne fait jamais que quatre ou cinq points à l’audimat. Chez nous, ça fait 60 % de parts de marché. C’est bien beau que les artistes ou les institutions réclament une exception culturelle, mais quand les Français votent avec leurs oreilles, leurs yeux ou leur télécommande, c’est la démission culturelle. Nous imposer une exception culturelle pendant que le public se comporte comme un monstre de mauvais goût, c’est très difficile à gérer pour chaque artiste français. Alors que le climat, l’histoire, la géographie et notre position sur la planète devraient nous obliger à vivre dans l’excellence, on a un peuple qui se vautre dans la médiocrité. On est vraiment un pays dégoûtant.

T comme Tour (de France)

À l’heure de l’Europe, c’est désespérant de faire le Tour de France. Les cyclistes devraient faire un Tour d’Europe, et les artistes aussi, si tout se passait normalement. Notre marché francophone se réduit comme peau de chagrin, et c’est désespérant de toujours faire des concerts entre Brest et Lyon. Comme Dylan, j’aimerais bien faire au moins une centaine de concerts par an. Si chaque artiste pouvait se produire autant, le niveau de la musique monterait considérablement. C’est pas bien que ce soit autant la croix et la bannière pour monter sur scène, surtout pour les petits groupes. Or, la musique que j’aime et que j’essaie de faire ne prend son sens qu’en live. Le problème s’annule donc, faute de solutions. C’est pas dans un studio d’enregistrement devant ton ordinateur que t’apprends ton job. Ayant longtemps agi comme ça, je sais de quoi je parle. N’importe quel couillon avec un ou deux ordinateurs et six mois devant lui peut faire un disque qui se tient à peu près. Maintenant, n’importe qui sait se servir d’un sampleur et veut faire du Massive Attack. Et toute la variété française est tombée dedans. Moi, j’ai déjà donné, et je recommencerai plus : l’enregistrement de Dolorès a duré six mois, et j’ai cru crever. Tu perds ton temps. La musique ne se fait pas avec les yeux. D’ailleurs, ça s’épuise, il n’y a qu’à écouter les derniers Aphex Twin et Chemical Brothers. Dans chaque disque, il y a moins d’idées que dans un instrumental de Jean-Michel Jarre. C’est d’un ennui mortel, ça m’a sidéré. Ces deux albums confirment et signent l’arrêt de mort de cette façon de faire, qui t’assèche en deux, trois disques. Le ping-pong entre toi et les machines devient stérile très vite.

 

U comme Universal

Pascal Nègre, c’est un charcutier. Normalement, ce gars-là devrait découper des têtes de veaux et diriger une multinationale d’agro-alimentaire, pas une maison de disques. Ce système-là produit ce genre d’individus. Il est glamour comme un sac de pommes de terre. Je l’ai vu l’autre fois à la télé, c’est incroyable : il a un côté Chirac avec des cheveux. Et une société a les chefs et les responsables qu’elle mérite.

 

V comme Vaison (La-Romaine)

C’était une jam avec les musicos. Fred me disait toujours : “Tu vas la faire Vaison-La-Romaine, tu vas la faire”. (Sourire.) Je me suis laissé embarquer à écrire un texte. À vie, je crois que ça restera une jam, pas une chanson. Au départ, je voulais raconter pour la scène un accident mortel sur l’autoroute à hauteur de Vaison-La-Romaine, ce qui n’est plus du tout le cas maintenant.

 

W comme Wyatt

C’est une référence de mec et de couple, avec sa femme Alfie. Moi, si j’étais musicien et qu’il m’était arrivé tout ce qui lui est arrivé, je ne pourrais plus continuer à chanter et écrire. Qu’il ait cette force-là me rend plus qu’admiratif.

 

X comme (classé) X

L’autre fois, ma mère est passée chez moi, et elle voulait voir mes peintures, mais je lui ai dit que c’est classé X. Je ne peux montrer à personne ce que je peins. Je ne fais que de la peinture pornographique, c’est plus fort que moi. (Sourire.) Je n’arrive pas à m’arracher à ça : la peinture est une activité purement sexuelle. Quand on peint, on bande. Sur toile, je mets du désir brut. Même Les Rancheros, quand je leur montre ce que je fais, ils sont un peu gênés. (Sourire.)

 

Y comme Young

Son dernier disque n’était pas terrible. En plus, pour le 11 septembre, qu’il ait chanté Imagine, cette chanson effroyable. Je préfère encore La Danse Des Canards à Imagine. ça m’a laissé un drôle de goût. Je suis désolé, mais je crois qu’il n’a plus rien à dire. Il ferait mieux d’arrêter : il se caricature, il a tout grillé, il ne peut que jouer sur la fibre nostalgique. J’irai même plus le voir sur scène, ça ne m’intéresse plus. Les exemples, c’est John Lee Hooker, B.B. King, Bob Dylan, Bob Marley, Duke Ellington. Neil Young, c’est pas un artiste majeur. C’est un super bon en D2, je crois pas qu’il faille le mettre en D1. À un moment, il m’a beaucoup influencé, mais c’est comme si mon équipe de foot préférée dans le monde, c’était Châteauroux. Il n’y a que dans le blues et dans le jazz que les mecs ne s’étiolent pas et continuent à assurer. Regarde Chet Baker, il est encore au sommet six mois avant de mourir.

 

Z comme Zidane

Avec Les Rancheros, on a une chanson sur Zidane. (Rires.) “Le grand Zizou/Le petit Zizou/Avec son grand et son petit Zizou…”  (Rires.) Stéphane a toutes les cassettes des matchs de l’équipe de France depuis trente ans. Donc, on compare toutes les situations de jeu délicates. Chaque fois, on délire : Zizou est arrivé. Zidane, c’est un héros romanesque. Je ne sais toujours pas si c’est un ange ou un démon. Il grimace comme un serial killer, et il a le sourire de Sainte-Thérèse D’Avila, tu ne sais plus. Il doit être un peu fou, c’est pour cela qu’il est génial au foot. Il y a deux Zizou qui habitent dans le même. À chaque fois que je le vois jouer, je ne peux pas m’empêcher d’y penser.

Un autre long format ?