Avec le succès international de The English Riviera en 2011, Metronomy a changé de division en redéfinissant son style. Plutôt que de surfer sur la vague de The Bay ou caler sa vision sur celle de The Look, Joseph Mount et ses partenaires ont investi le studio Toe Rag pour composer dix Love Letters aussi exigeantes que bouleversantes, passant leur intuition pour les sonorités contemporaines au crible d'un songwriting hérité des sixties. Conversation de boudoir avec ce jeune papa déjà inscrit au panthéon de la pop. [Article et interview Michaël Patin].

Malgré son ingratitude inouïe et collectivement tue, le métier de critique musical a ses récompenses dont le degré de gratification dépend de la jalousie provoquée chez la masse des non-initiés. Disques à paraître débordant de nos boîtes aux lettres, inscription semi-automatique sur les listes d’invités aux concerts, événements en tous genres, et parfois même, quand la gloire et le talent synchronisent leurs montres, rencontre avec les stars qui font l’actualité. En ce sens, les réactions des proches et de parfaits étrangers à l’évocation de notre heure passée en compagnie de Joseph Mount ont considérablement augmenté le plaisir de ladite rencontre. On peut même choisir d’y faire référence en introduction de l’article, barricadé derrière l’infranchissable licence poétique et prétextant l’impuissance face aux forces centrifuges du succès. C’est ainsi, par un doux après-midi de février, que l’on est entré dans l’hôtel particulier du label Because Music à Paris avec pour mission d’interroger la tête pensante de Metronomy. Installé lui-même dans la capitale depuis plus d’un an, il fait son entrée parfaitement à l’heure (du jamais vu) et file immédiatement s’installer dans le salon consacré aux interviews. Sa réputation d’artiste aimable et de bonne volonté n’est en aucun cas usurpée, quoique moins liée à une naïveté révolue qu’à un professionnalisme intégré. Les soixante minutes filent d’ailleurs à une vitesse redoutable, nous obligeant à quelques choix drastiques, et légitimant en direct notre amour pour Love Letters et notre intérêt pour son auteur. On finit même par oublier de lui demander l’autographe qu’on promettait depuis des semaines à l’une de ses fans hystériques. Mais l’essentiel est préservé pour vous, lecteurs bienveillants et réalistes : huit feuillets de Metronomy par son leader incontestable.

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Comment se passe ton marathon promotionnel jusqu’à présent ? N’en as-tu pas déjà marre de parler de Love Letters ?
Joseph Mount : Non, pas du tout ! Tu connais le principe de la poule mouillée, quand deux protagonistes se mettent mutuellement la pression jusqu’à ce que l’un ou l’autre craque ? C’est pareil avec les journalistes, et je peux t’assurer qu’ils se lasseront de me poser des questions avant que je ne cesse d’y répondre. Il m’arrive même d’y prendre un certain plaisir quand les questions sont bonnes. (Sourire entendu.)

C’est toi qui as choisi de répondre seul aux interviews ?
Ça m’a paru naturel car je vis à Paris contrairement aux autres membres de Metronomy. Les interviews collectives – pendant les festivals par exemple – sont souvent décousues et ennuyeuses. Et puis je pense être le mieux placé pour parler de notre musique.

Tu assumes ta position de leader. D’ailleurs, c’est pareil en Angleterre, il n’y avait que ta tête sur la couve du NME.
Le fait est que j’ai commencé Metronomy seul quand j’avais dix-sept ans, et que je compose et produis tous les morceaux. En revanche, le versant live a beaucoup évolué avec plusieurs changements de line-up. Alors que The English Riviera (2011) était principalement joué par moi, Oscar Cash et Gabriel Stebbing – qui a depuis quitté le groupe pour monter Your Twenties –, Love Letters a été enregistré par le quatuor actuel avec Anna Prior, Gbenga Adelekan et Oscar. À mes débuts sur scène, j’arrivais seul avec mon laptop, puis ça s’est transformé en trio à synthétiseurs, et aujourd’hui en vraie formation pop. Mais sur le plan créatif et conceptuel, Metronomy reste mon véhicule personnel.

Te produire en quatuor a-t-il influencé la création de Love Letters ? Quel est exactement l’apport des autres musiciens ?
Ça se résume à leurs qualités d’instrumentistes, la manière particulière dont chacun joue. Il y a deux grands piliers dans ma conception de la musique. D’un côté, le songwriting, qui reste mon domaine réservé, et de l’autre, le rendu sonore, qui est tout aussi important et auquel chacun participe. Dans le passé, j’avais une idée précise de la manière dont chaque instrument devait sonner et je l’imposais à mes collaborateurs. Pour Love Letters, au contraire, j’ai tenu à laisser Oscar, Anna et Gbenga exprimer leur personnalité.

Étaient-ils libres de te faire des suggestions ?
(Il hésite.) Être ouvert aux suggestions ne veut pas dire qu’ils se sentaient en mesure d’en faire. Oscar est à mes côtés depuis longtemps, c’est donc celui qui ose le plus. Anna et Gbenga avaient des idées mais ne cherchaient pas à les formuler de manière définitive, du genre “on devrait faire ça à la place de ça”. Je ne dis pas qu’ils ont peur de moi, hein. (Sourire.) Leur expérience de la musique les porte sans doute plutôt sur l’accompagnement, mais il faudrait que tu leur demandes ce qu’ils en pensent.

Oui mais justement, ils ne sont pas là.
(Rires.) Allez, je reconnais que s’ils discutaient mes idées, je finirais certainement par devenir blessant.



CIMETIÈRE DU LAPTOP
Quel est le premier morceau que tu as composé pour Love Letters ?
C’est difficile à dire parce que la création est rarement un processus linéaire. Je me rappelle que l’idée du titre I’m Aquarius m’est venue assez tôt. Habituellement, après avoir composé la mélodie, je trouve quelques mots qui me plaisent et qui orientent le tout avant de disparaître de la version finale. En fait, c’est un vrai bordel. Énormément d’éléments finissent dans le cimetière de mon laptop.

Comme dans The English Riviera, l’atmosphère de Love Letters est assez bucolique. Des sonorités aqueuses, des arrangements aérés, un texte qui parle de marche sous les étoiles… Est-ce une manière de renouer un peu plus avec tes racines du Devon ?
Il m’a fallu des années avant de prendre vraiment confiance dans ce que je fais. Au début, comme la plupart des jeunes musiciens, j’agissais autant selon les attentes fictives de l’industrie ou du public que pour moi-même. Plutôt que de laisser respirer les morceaux, je m’efforçais d’avoir un son compact, soi-disant adapté à la danse. Les deux premiers albums (ndlr. Pip Paine (Pay The £5000 You Owe) en 2006 et Nights Out en 2008) ont été conçus en ville, et plus précisément à Londres, durant une période où l’industrie musicale me passionnait. Les deux suivants sont au contraire volontairement détachés de ces questions et de toute notion d’urbanité. D’ailleurs, j’ai de plus en plus envie de retourner m’installer à la campagne.

Après la côte magnifiée, les lettres d’amour… Mais qui envoie encore des lettres d’amour aujourd’hui ? Ne serais-tu pas un véritable romantique anglais ?
Tu as raison, mais je n’en ai pris conscience que très récemment. Avant je ne voyais pas les choses de cette manière. The English Riviera est paru la même année que Let England Shake (2011) de PJ Harvey, et les deux disques ont été sélectionnés pour le Mercury Prize en Angleterre. C’était la première fois de ma vie que je me disais que j’avais peut-être des points communs avec PJ. (Rires.) Bien sûr, j’adore sa musique depuis l’adolescence, mais jusqu’ici, j’avais tendance à penser en termes de genres musicaux – d’un côté l’electro, de l’autre le rock, etc. Alors qu’en réalité, au bout de trois ou quatre LP, tu as fait tes preuves comme musicien et tu peux échapper à ces carcans. Je ne pense pas qu’il existe encore des personnes qui osent mettre PJ Harvey dans une case. Elle se situe sur le même plan que Blur, Jarvis Cocker, Morrissey ou Aphex Twin. Plus j’enregistre des disques, plus je me sens intégré à une certaine généalogie anglaise.

Dans ton cas, cela passe par une adhésion de plus en plus franche à un songwriting classique. C’est même la première fois, sur Love Letters, que tu mets tes textes en avant.
Ce qui justifie d’autant plus que je réponde seul à tes questions. (Sourire.) Sur The English Riviera, j’étais déjà très content du texte de She Wants alors que j’aurais pu aller plus loin sur The Bay notamment. J’avais tendance à m’arrêter dès que je craignais de devenir trop explicatif. Aujourd’hui, j’essaie d’être plus ouvert, de moins laisser mes mots dans le vague.

On sent aussi que tu te tournes vers des influences plus anciennes comme la pop de The Left Banke et The Zombies, le funk de Sly & The Family Stone ou le soft rock de Fleetwood Mac. À ce moment de ta vie – la trentaine passée –, redécouvres-tu et réévalues-tu les disques de tes parents ?
Il ne s’agit pas vraiment de redécouvertes puisque ces disques m’ont toujours accompagné de manière plus ou moins inconsciente. Pour Love Letters, je voulais enregistrer dans un studio reproduisant les techniques des années 60. Il ne s’agissait pas de remonter dans le temps mais de savoir comment ma musique pouvait sonner dans ces conditions.

Tu fais quand même plusieurs références à la comédie musicale Hair (1968)…
Figure-toi que je ne l’ai jamais vue. (Sourire.) J’avais simplement Let The Sun Shine In et Aquarius en vinyle, ça m’a marqué. Je suis toujours agacé quand j’entends des gens résumer les années 60 au mouvement flower power. Pareil quand j’écoute les disques actuels qui essaient de sonner psychédéliques en ne conservant que les clichés les plus simplistes. Hair symbolise cela d’une certaine façon, alors j’essaie d’en faire une utilisation consciente.

En parlant de cheveux, tu as inclus une chanson en hommage à Connan Mockasin, The Most Immaculate Haircut. Quand je l’ai interviewé pour la première fois, il était assis exactement au même endroit que toi maintenant.
Bien sûr, tout se passe dans ce boudoir ! Je suis très heureux qu’Erol Alkan l’ait signé sur son label Phantasy Sound et qu’il ait rejoint la famille Because Music. Pourtant, c’est plutôt rare que je m’enthousiasme pour un artiste actuel. Quand j’ai découvert son premier clip, j’ai été fou de jalousie. Sa musique est brillante et je serais totalement incapable de l’imiter.

Es-tu parfois nostalgique de tes débuts ?
J’ai toujours été sujet à la nostalgie. Ça va même très vite chez moi, je suis par exemple déjà nostalgique de mes dernières vacances en Italie. (Sourire.) Mais je ne pense pas que ce sentiment gagne en intensité avec le temps ou la carrière allant. La nostalgie se construit en temps réel, et pour tout dire, je crois que j’y prends beaucoup de plaisir.

Tu as eu ton premier fils l’an dernier. Qu’a changé la paternité ?
Je suis nostalgique des moments qui ont précédé la naissance. (Rires.) Hier par exemple, j’ai pris la voiture pour me rendre à l’enregistrement d’une émission de Canal+ en passant par les Champs-Élysées et la place de Clichy. Tous les lieux que je traversais me rappelaient des souvenirs – la clinique où il est né, l’endroit où on a fait la première échographie, etc. Je me suis presque mis à chialer au volant. Bref, quelle était la question ?

MAINSTREAM
Je ne veux pas risquer de te faire pleurer à nouveau. Parlons plutôt du studio Toe Rag où Love Letters a été enregistré. Etait-ce ton premier ou ton unique choix ?
Ça aurait aussi pu être un studio parisien dont j’ai oublié le nom mais qui possède également ce type de matériel analogique. Mon principal critère était de pouvoir enregistrer sur des bandes magnétiques. Je pensais que Toe Rag possédait un 16-pistes et j’ai découvert qu’il ne s’agissait en fait que d’un 8-pistes. Là-bas, le rendu sonore était excellent et ça m’a permis de fixer des limites sur le plan créatif. Quand une chanson y est enregistrée, on ne revient pas dessus. Si on veut opérer des grands changements, il faut prendre les ciseaux et recommencer. Et puis l’association que l’on peut faire entre un album et le studio où il a été réalisé m’a toujours intéressé. Entre les murs de Toe Rag, je voulais enregistrer un disque dont les gens se souviennent et qui ne soit pas celui de The White Stripes (ndlr. Elephant, 2003). Notre conception de la musique est tellement différente de celle de Jack White. Je souhaitais prouver qu’un tel studio n’était pas réservé au garage rock.

Était-ce aussi une manière de réagir au polissage du son dans la pop contemporaine ?
Je n’y ai pas du tout pensé pendant l’enregistrement. Je désirais un son chaleureux et vivant. En écoutant le mixage avec le volume très fort, j’étais un peu inquiet de la quantité de souffle, mais l’ingénieur responsable du mastering m’a assuré que ça ne poserait aucun problème au final. Certains enregistrements digitaux sont tellement “parfaits” qu’ils n’ont plus rien de réaliste. Quand tu les écoutes au casque, un silence de mort s’installe entre les plages. Je pense que les auditeurs vont être surpris par le son de Love Letters.

J’aimerais mettre au clair ta conception de la pop music. Tu sembles concilier une pratique subtile et cultivée avec un goût du populaire qui t’a fait piger pour Sophie Ellis-Bextor ou dire que tu voulais être remixé par David Guetta… que je considère personnellement comme le diable.
C’est le problème des marathons promotionnels, on se met à répondre n’importe quoi aux questions paresseuses comme : “Par qui aimerais-tu te faire remixer ?” Ceci dit, je pense que les choses les plus excitantes se passent dans la pop mainstream. Prends la chanson Royals de Lorde par exemple, elle n’est pas excessivement accrocheuse, celui qui l’a produite est un parfait inconnu, et pourtant il s’agit du plus gros hit de 2013. Ce genre de trucs n’arrive pas dans le rap.

As-tu conscience d’être l’ambassadeur avec Metronomy d’une certaine qualité indie auprès du grand public ?
Je ne sais pas… Je suppose que certains éléments sur The English Riviera sont plus accessibles que ce que nous avions fait jusque-là. Les instrumentations et la production restent tout de même très éloignées de ce qu’on entend habituellement à la radio. Je ne suis pas Britney Spears et je sais que je ne suis pas fait pour évoluer dans ce monde-là. (Il reçoit un texto qu’il parcourt rapidement.) Excuse-moi, la crèche vient de me prévenir que mon fils a de la fièvre.

Un autre long format ?