“I made my way into the spotlight/Just to realize it’s not what I want.” Ces paroles chantées par Richard Swift au milieu de son morceau The Songs Of National Freedom font figure d’exergue idoine au moment de mettre en perspective le parcours du compositeur, producteur et multi-instrumentiste. Les vachards rétorqueront que ce sont les projecteurs qui n’ont pas voulu s’appesantir sur l’embonpoint, le visage poupin et la grosse touffe de l’Américain, et ils n’auront pas tort. Mais il serait débile de mésestimer la poignée d’albums et de maxis sortis par le songwriter entre 2005 et 2011 sur sa maison d’accueil fétiche Secretly Canadian. Car Swift est de ces auteurs classiques et passionnés qui travaillent avec constance en dehors des modes, ancrant ses créations pop dans une tradition américaine qui convoque le ragtime de l’ancien temps et le vieux rock’n’roll blues de Bo Diddley ou Howlin’ Wolf, l’écriture éloquente de Randy Newman et le swing sensuel de Sly And The Family Stone. En surimpression de ces inspirations maîtresses, et au gré de parutions éclectiques, on l’a également entendu se référer à l’intimisme de Nick Drake, aux rythmiques de Can ou au psychédélisme de The United States Of America. À l’aune d’une telle mélomanie et de ses compétences d’instrumentiste, pas si étonnant d’avoir vu ces trois dernières années Richard Swift mettre en veille son répertoire pour s’affirmer comme un prolifique homme de l’ombre.

Après avoir fricoté avec Laetitia Sadier, Damien Jurado, Jessie Baylin et The Mynabirds, en 2013, notre homme âgé de trente-six ans a notamment produit Foxygen, Cayucas et L.A., joué le batteur et le metteur en son pour Pure Bathing Culture, tourné comme claviériste de The Shins (dont il a intégré le line-up en 2011), et collaboré avec ses amis de Cold War Kids et Valerie June. “C’est une trajectoire naturelle, ce n’est pas une réaction à l’évolution de ma propre carrière, dont je ne suis absolument pas déçu”, nous confie Richard, dont on a pris des nouvelles à l’occasion de ce papier. “J’ai toujours senti dans mes tripes que mon travail se diversifierait, que j’étais dévoué à la musique en général plutôt qu’à la SARL Richard Swift – c’est peut-être pour cela qu’on retrouve dans mes textes une pointe d’autodépréciation. Avoir du succès pour moi signifie faire le plus de musique possible, qu’importe la manière. Par exemple, cela fait maintenant deux mois que je gagne ma vie en tant que batteur.” Plutôt qu’une volte-face pleine de dépit, on peut même parler de retour à la normale. Car avant de s’épanouir comme il le fait actuellement avec sa petite famille dans son studio National Freedom situé à Cottage Grove, une bourgade rurale de l’Oregon, le papa joufflu et amoureux de la campagne s’était déjà activé dans l’obscurité, cette fois en Californie, au début des années 2000, autour du label alternatif Velvet Blue Music (Fine China, Map, Starflyer 59). Le tapageur quotidien californien donnait certes de l’urticaire à ce caractère pantouflard mais c’est bien via Velvet Blue Music qu’il fit paraître ses premiers singles avant la rencontre décisive avec l’équipe du label Secretly Canadian, qui édita en 2005 son double album inaugural The Novelist / Walking Without Effort. “Ma relation avec la galaxie Secretly Canadian/Jagjaguwar/Dead Oceans s’est révélée bénéfique pour tout le monde. Je leur ai apporté des artistes qu’ils ont signés et ils m’ont mis en contact avec des formations que j’ai enregistrées dans mon studio.” En 2013, le fait d’armes le plus retentissant de Richard Swift est justement son investissement total dans un album paru sur Jagjaguwar, We Are The 21st Century Ambassadors Of Peace & Magic de Foxygen, l’une des plus éclatantes révélations de ces douze derniers mois.

C’est Swift en personne qui a présenté Sam France et Jonathan Rado au label, et qui les a chaperonnés. Au point de démêler les apparentes tensions survenues au sein de la bande après son ascension fulgurante ? “Ces histoires ont été montées en épingle par les blogs”, commente-t-il aujourd’hui. “Il faut bien nourrir la bête Internet avec quelque chose… Et puis, franchement, n’existe-t-il pas assez de groupes chiants à mourir comme cela ? C’est du rock’n’roll bordel. Regarde les Stones, Grateful Dead, Dylan ou les Cramps, ils pouvaient faire des concerts d’anthologie et se ramasser complètement parfois, c’est ce qui crée l’excitation.” À la fois plein de recul et débordant de fraîcheur, Richard est donc ce parrain avisé d’une formation joyeusement imprévisible. Une ambivalence que l’on retrouve dans son travail en studio, où il aime concilier à la fois “le côté brut de sessions d’enregistrement rapidement exécutées et, une fois les artistes partis, le rôle de laborantin que l’on peut jouer avec cette matière”. L’expérience allant, celui qui affirmait en 2008 détester le terme “producteur” est aujourd’hui “plus à l’aise” avec cette appellation. “C’est une belle défaite”, avoue-t-il avec malice. Pour 2014, en plus de ses projets au service des autres (avec Damien Jurado encore, Lonnie Holley ou le chanteur de The Walkmen Hamilton Leithauser) et d’un éventuel recueil de ses peintures, dessins, photos et fanzines, Richard Swift travaille sur un nouveau disque de sa facture. Nul doute qu’un type aussi dégourdi saura y atténuer ses limites de chanteur pour mieux sublimer son talent de mélodiste et de fin limier du son. Les vachards en seront pour leurs frais.





Un autre long format ?