Ariel Pink. Photo by Sasha Eisenman.

S’il y a une constante chez Ariel Rosenberg depuis ses débuts, c’est bien la réticence à parler de son œuvre. Cet éternel romantique, qui fait de sa discographie hors norme sa propre essence, n’aime guère gloser sur son art. Pourtant, on revient avec lui sur huit épisodes marquants de son parcours à l’occasion de la parution du tout neuf pom pom.

INTERVIEW Xavier Mazure
PARUTION magic n°187

HOUSE ARREST/LOVER BOY ( 2002)

Ariel Pink : L’ordre de parution de mes disques est anarchique. House Arrest et Lover Boy forment ma première sortie officielle, mais ce sont respectivement mes cinquième et sixième albums sous le nom d’Ariel Pink’s Haunted Graffiti. Ils ont été réédités distinctement quelques années plus tard chez Paw Tracks et Gloriette Records, mais ont été initialement publiés en double CD chez mes potes de Ballbearings Pinatas. Les copains qui tenaient ce label, Jeff Eliassen et Andrew Epstein, étaient – comme beaucoup de mes amis – étudiants en école de musique et au California Institute Of The Arts. Ils ont été parmi les premiers à apprécier mes chansons alors que je n’étais pas étudiant dans leur discipline – et j’étais conscient que je ne serais jamais autorisé à l’étudier comme eux. Ils ont adopté mes disques et les ont fait écouter à leurs professeurs, les ont mis en valeur et ont fait en sorte que d’autres musiciens jouent mes compositions. C’étaient vraiment des chics types, qui faisaient tout ça gratuitement en plus. Ces gars avec qui je traînais avaient leurs propres groupes, la plupart étant très expérimentaux, des trucs de jazz très nerd . Ils en connaissaient un rayon sur la musique contemporaine du XXe siècle, la théorie de la composition et tout un tas d’autres trucs musicaux qui m’ennuient terriblement. Alors j’étais très flatté de leur intérêt pour ma pomme.

Mon ami John Maus, qui joue avec moi sur le titre Loverboy était tout aussi érudit et m’a toujours encouragé. Dès que j’ai été signé chez Paw Tracks, j’ai repris contact avec John pour qu’il m’accompagne autour du monde et puisse faire connaître sa propre musique. Je suis également fier de lui et de son talent. On était pourtant radicalement différents, un peu comme Danny DeVito et Schwarzy dans le film Twins (1988). À l’époque, c’était quelqu’un de profondément chrétien, en colère contre le monde, mais extrêmement sincère et amical. John fut aussi mon tout premier fan. Il a énormément nourri mon ego et m’a considérablement aidé dans mon développement narcissique. (Sourire.) À cette période, je faisais plein de petits boulots. J’ai travaillé chez un disquaire qui a fini par me virer. J’ai ensuite enseigné comme professeur d’arts dans l’école élémentaire où j’allais quand j’étais petit. Le soir, j’allais suivre des cours pour devenir ingénieur du son. Dès que j’avais un moment, je m’isolais pour travailler sur mon petit 8-pistes à cassette et enregistrer House Arrest et Lover Boy (je n’avais accès ni à Pro Tools ni à un ordinateur). Lover Boy est certainement mon effort le plus ambitieux accompli pendant cette période, et ce en réaction à House Arrest qui contenait des chansons plus pop et plus concises. Il marque aussi le début d’une série de collaborations avec R. Stevie Moore et Matt Fishbeck (ndlr. leader d’Holy Shit).

WORN COPY (2003)

À l’époque de Worn Copy, j’avais toujours une approche éminemment romantique de l’art et de l’existence. Je voulais faire mes disques sans aucun désir de récompense. Je me disais que c’était mon but ultime, ma mission dans la vie. Moins j’étais connu, plus je me rapprochais de mon objectif. (Rires.) Pour faire une comparaison, Worn Copy est pour moi l’équivalent d’A Wizard, A True Star (1973) de Todd Rundgren : un enregistrement non commercial et très expérimental. Worn Copy est largement inspiré par mon pote B. J’ai essayé de mettre les pieds dans sa “phonographie”. C’est aussi la première fois que j’utilisais une pédale Wah-Wah. Certains sons électroniques étaient alors très nouveaux pour moi. Il y a également des idées plus classiques et des genres identifiables, quelques touches de funk et de Motown. Avec du recul et de l’ironie, je pourrais qualifier ce disque de proto-chillwave. (Rires.) La réédition de Worn Copy en 2005 marqua la fin de ma collaboration très heureuse avec Paw Tracks, entamée avec The Doldrums. Quand Paw Tracks m’a proposé de sortir un nouvel essai, je leur ai demandé de me filer un vrai contrat et de m’avancer de l’argent pour enregistrer. Malheureusement, le label a refusé. Même si officiellement Paw Tracks n’est plus, la structure continue de presser mes disques et m’assure ainsi quelques revenus.

THE DOLDRUMS ( 2004)

Cet album a donc été le premier à recevoir une certaine attention grâce à Paw Tracks, le fameux label d’Animal Collective qui l’éditait. Je l’ai enregistré entre 1999 et 2000. Avant cela, je n’avais boutiqué qu’un seul disque, Underground. À ce moment-là, j’avais l’intention de faire un truc totalement en dehors des modes et de l’époque, une œuvre pour mes amis – et pourvu que le moins de personnes puissent la comprendre. J’essayais d’expérimenter, de trouver de nouvelles approches sonores. J’étais étudiant au California Institute Of The Arts, et à la fin de l’année universitaire, il y avait une exposition dans une galerie où nous devions montrer nos travaux. Je n’aimais plus du tout l’art à l’époque car j’étais un rebelle. Je préférais occuper tout mon temps à faire de la musique. Alors à la fin de l’année, j’ai décidé de ne pas montrer une seule œuvre d’art et de transformer la galerie en une sorte de magasin de disques qui vendrait uniquement mon album, le tout accompagné d’une petite station d’écoute. The Doldrums a longtemps été l’un de mes LP préférés. Je ne ressens plus forcément la même chose à son égard aujourd’hui car mon état d’esprit a beaucoup changé. Je l’apprécie toujours mais j’aimerais presque pouvoir le remodeler de A à Z. Si je devais la définir, la musique de The Doldrums représente pour moi la perversion de la tristesse et des émotions. Je souhaitais sortir l’album le plus horriblement triste et solitaire de tous les temps. Et surtout, je voulais que cela ne ressemble pas à une blague. Quelque part, les gens n’ont pas compris comment le recevoir. Aujourd’hui, j’arrive à comprendre ce qui a cloché. The Doldrums a même rendu heureux certains auditeurs ! Au final, il m’a aussi rendu très heureux. (Sourire.)JTNDaWZyYW1lJTIwc2Nyb2xsaW5nJTNEJTIybm8lMjIlMjBmcmFtZWJvcmRlciUzRCUyMjAlMjIlMjBhbGxvd1RyYW5zcGFyZW5jeSUzRCUyMnRydWUlMjIlMjBzcmMlM0QlMjJodHRwJTNBJTJGJTJGd3d3LmRlZXplci5jb20lMkZwbHVnaW5zJTJGcGxheWVyJTNGZm9ybWF0JTNEY2xhc3NpYyUyNmF1dG9wbGF5JTNEZmFsc2UlMjZwbGF5bGlzdCUzRHRydWUlMjZ3aWR0aCUzRDcwMCUyNmhlaWdodCUzRDM1MCUyNmNvbG9yJTNEMDBhMWViJTI2bGF5b3V0JTNEJTI2c2l6ZSUzRG1lZGl1bSUyNnR5cGUlM0RhbGJ1bSUyNmlkJTNENzk3MjYxMCUyNnRpdGxlJTNEJTI2YXBwX2lkJTNEMSUyMiUyMHdpZHRoJTNEJTIyOTAwJTIyJTIwaGVpZ2h0JTNEJTIyMzUwJTIyJTNFJTNDJTJGaWZyYW1lJTNF

UNDERGROUND ( 2007)

Bien qu’il ne soit sorti qu’en 2007 chez Vinyl International, Underground est mon premier véritable album. Du moins, c’est le premier composé sous le nom d’Ariel Pink’s Haunted Graffiti. J’ai commencé à l’enregistrer quand j’avais dix ans avec mon ami Brian Judah, avant même de savoir comment m’y prendre. À partir de quatorze ans, je n’ai jamais lâché mon petit multipiste à cassette. Je me souviens assez bien de mes motivations premières de tout jeune musicien. J’avais un fantasme de revanche sur le monde, je voulais être aimé, ou en tout cas être accepté. L’idée n’était pas de choper des filles ! Évidemment, elles m’intéressaient beaucoup, mais je me sentais artiste et je cherchais avant tout à accomplir un travail artistique. Pour être honnête, j’ai réalisé il y a seulement trois ans qu’une part de moi-même, en tant qu’artiste, entretenait quand même ce désir d’être aimé par les filles. J’ai pourtant vécu des expériences précoces qui me destinaient à devenir un vrai obsédé sexuel, même si ce n’est pas comparable avec ce que peuvent vivre les Français dans le domaine. (Rires.) Les chansons d’Underground ont été enregistrées en 1998 et 1999. Elles sont basées sur les guitares et la pop sixties. On sent notamment l’influence de The Shaggs. C’est probablement l’une des plus pop de mes tentatives.

BEFORE TODAY (2010)

Après l’épisode Paw Tracks, j’ai passé trois années à essayer de créer un groupe dans l’espoir de retenir l’attention d’un vrai label qui pourrait me permettre d’aller en studio. J’en ai profité pour sortir de petites éditions de mes efforts précédents sur différentes maisons de disques. Mais je n’ai pas beaucoup enregistré dans ce laps de temps. Je vivais une panne d’inspiration et je me suis concentré sur l’apprentissage de la musique au sens technique du terme, les concerts, etc. J’ai finalement obtenu ce que je cherchais avec ce contrat providentiel chez 4AD. Tout a été très vite après la signature, et je suis encore très fier de Before Today. Je le considère comme un disque à part, le premier d’une nouvelle série. Son côté parfois soul s’inscrit dans la lignée de ce que j’avais mis en chantier de façon expérimentale sur Worn Copy. Il y a une idée un peu nostalgique derrière cet intitulé, et aussi dans la musique. Avec ce jeu de mots bêta : Be for today, être là pour aujourd’hui, pour maintenant. Ce fut amusant de constater que des médias comme Pitchfork (ndlr. ou magic !) étaient béats d’admiration après m’avoir attribué pendant des années des notes de 5 (et des poussières) sur 10 ! Ça m’a bien fait rire. Soudain, je m’attendais presque à être reconnu à tous les coins de rue. Au lieu de ça, aucune thune, et rien qui arrive, à part des problèmes légaux… Si je n’obtiens plus aucune bonne critique pendant le restant de mes jours, je crois que je n’en serai pas moins heureux.JTNDaWZyYW1lJTIwc2Nyb2xsaW5nJTNEJTIybm8lMjIlMjBmcmFtZWJvcmRlciUzRCUyMjAlMjIlMjBhbGxvd1RyYW5zcGFyZW5jeSUzRCUyMnRydWUlMjIlMjBzcmMlM0QlMjJodHRwJTNBJTJGJTJGd3d3LmRlZXplci5jb20lMkZwbHVnaW5zJTJGcGxheWVyJTNGZm9ybWF0JTNEY2xhc3NpYyUyNmF1dG9wbGF5JTNEZmFsc2UlMjZwbGF5bGlzdCUzRHRydWUlMjZ3aWR0aCUzRDcwMCUyNmhlaWdodCUzRDM1MCUyNmNvbG9yJTNEMDA5M2ViJTI2bGF5b3V0JTNEJTI2c2l6ZSUzRG1lZGl1bSUyNnR5cGUlM0RhbGJ1bSUyNmlkJTNENTQyMzQ3JTI2dGl0bGUlM0QlMjZhcHBfaWQlM0QxJTIyJTIwd2lkdGglM0QlMjI5MDAlMjIlMjBoZWlnaHQlM0QlMjIzNTAlMjIlM0UlM0MlMkZpZnJhbWUlM0U=

MATURE THEMES (2012)

C’est assez difficile pour moi d’en parler. Cet album, plus encore que le précédent, a bénéficié d’une promo assez désastreuse. Après l’avoir viré, mon batteur Aaron Sperske a porté plainte contre moi en espérant toucher le jackpot. Les batteurs se font toujours virer pourtant, la belle affaire ! Je sais pas moi… Ses avocats devaient s’imaginer, en visant les chroniques de Pitchfork, que j’étais le nouveau Kanye West. Ils ont dû se dire : Ce type a de l’argent, on n’a qu’à lui prendre !Manque de bol, j’étais pauvre, tant pis pour eux. Aux États-Unis, et plus particulièrement dans ce bourbier de Beverly Hills, il faut toujours avoir un avocat avec soi. Bref, j’ai ressenti énormément de pression. Tout cela a pourri ma vie pendant plus d’un an.JTNDaWZyYW1lJTIwc2Nyb2xsaW5nJTNEJTIybm8lMjIlMjBmcmFtZWJvcmRlciUzRCUyMjAlMjIlMjBhbGxvd1RyYW5zcGFyZW5jeSUzRCUyMnRydWUlMjIlMjBzcmMlM0QlMjJodHRwJTNBJTJGJTJGd3d3LmRlZXplci5jb20lMkZwbHVnaW5zJTJGcGxheWVyJTNGZm9ybWF0JTNEY2xhc3NpYyUyNmF1dG9wbGF5JTNEZmFsc2UlMjZwbGF5bGlzdCUzRHRydWUlMjZ3aWR0aCUzRDcwMCUyNmhlaWdodCUzRDM1MCUyNmNvbG9yJTNEMDA4NWViJTI2bGF5b3V0JTNEJTI2c2l6ZSUzRG1lZGl1bSUyNnR5cGUlM0RhbGJ1bSUyNmlkJTNENTMxNDY3MSUyNnRpdGxlJTNEJTI2YXBwX2lkJTNEMSUyMiUyMHdpZHRoJTNEJTIyOTAwJTIyJTIwaGVpZ2h0JTNEJTIyMzUwJTIyJTNFJTNDJTJGaWZyYW1lJTNF

POM POM (2014)

Il y a toujours eu méprise autour de l’enseigne Ariel Pink’s Haunted Graffiti. Je n’ai jamais été ou voulu être Ariel Pink. Ce n’est pas non plus un nom de scène que j’aurais emprunté ou un alter ego que j’aurais inventé. Lors de mes premiers enregistrements, je me plaisais à imaginer un personnage fictif nommé Ariel Pink, une sorte de directeur artistique qui présenterait mes disques. Mais par la suite, les journalistes, les tourneurs et les auditeurs ont commencé à m’appeler Ariel Pink, peut-être car Ariel Pink’s Haunted Graffiti était trop long à écrire ou à prononcer. Ensuite, j’ai laissé s’installer la confusion en répondant systématiquement sous le nom d’Ariel Pink. Ça me paraissait trop compliqué de rétablir la vérité, d’expliquer que je m’appelle en réalité Ariel Rosenberg. Le pseudonyme Ariel Pink avait été adopté par les gens en tant que leader d’un groupe nommé Haunted Graffiti. Il y a eu plein de confusions du genre, comme ces personnes qui me disent encore aujourd’hui : “J’adore ton album Haunted House alors qu’il s’agit bien de House Arrest. Pour pom pom, j’avais le projet d’écrire tout le disque avec mon idole Kim Fowley. Malheureusement, il est tombé très malade au moment de commencer notre collaboration. Aujourd’hui encore, il se bat contre la mort. Finalement, nous avons pu écrire deux titres dans sa chambre d’hôpital (ndlr. Plastic Raincoats In The Pig Parade et Jell-O). J’ai essayé de rassembler sur pom pom le plus d’amis possible. Par exemple, Jorge Elbrecht de Violens chante et joue de la guitare sur presque la moitié des extraits. Il a aussi coécrit le single Put Your Number In My Phone et c’est la voix de son amie Mariel que l’on peut entendre sur le message téléphonique. Parmi les invités, on peut aussi compter mon ami Don Bolles, le légendaire batteur de The Germs que je connais depuis que j’ai dix-huit ans (ndlr. ils ont remixé ensemble S.O.S. In Bel Air de Phoenix sous l’alias Ariel Pink’s Krystal Bamboo). Sans parler de Piper Kaplan de Puro Instinct, qui joue le rôle de la strip-teaseuse sur Black Ballerina. Le principal absent n’est autre que John Maus, mais il est présent dans l’esprit de pas mal de chansons. Vraiment, je me suis énormément amusé à faire ce disque. Et je pense que ça s’entend.JTNDaWZyYW1lJTIwc2Nyb2xsaW5nJTNEJTIybm8lMjIlMjBmcmFtZWJvcmRlciUzRCUyMjAlMjIlMjBhbGxvd1RyYW5zcGFyZW5jeSUzRCUyMnRydWUlMjIlMjBzcmMlM0QlMjJodHRwJTNBJTJGJTJGd3d3LmRlZXplci5jb20lMkZwbHVnaW5zJTJGcGxheWVyJTNGZm9ybWF0JTNEY2xhc3NpYyUyNmF1dG9wbGF5JTNEZmFsc2UlMjZwbGF5bGlzdCUzRHRydWUlMjZ3aWR0aCUzRDcwMCUyNmhlaWdodCUzRDM1MCUyNmNvbG9yJTNEMDA5M2ViJTI2bGF5b3V0JTNEJTI2c2l6ZSUzRG1lZGl1bSUyNnR5cGUlM0RhbGJ1bSUyNmlkJTNEOTA4ODUxMyUyNnRpdGxlJTNEJTI2YXBwX2lkJTNEMSUyMiUyMHdpZHRoJTNEJTIyOTAwJTIyJTIwaGVpZ2h0JTNEJTIyMzUwJTIyJTNFJTNDJTJGaWZyYW1lJTNF

Un autre long format ?