Photo par Lewis Evans
Photo par Lewis Evans

Geese : « tendu, fort et très vivant »

Avec "Getting Killed", les New-Yorkais de Geese confirment tout le bien que Magic pensait déjà d’eux. Un troisième album débordant de rythmes déments, portés par la voix de Cameron Winter, plus élastique que jamais. Le désormais quatuor — l’un des guitaristes ayant quitté le groupe fin 2023 —, bande de copains d’enfance nés après 2000, s’aventure vers de nouveaux territoires rock, neuf ans après sa formation. Le batteur Max Bassin, dont le groove structure l’album, a répondu aux questions de Magic.

Le communiqué de presse français nous apprend que vous êtes en mission pour devenir « le prochain gros groupe de rock américain »… C’est vrai, ça ?

Tout à fait… On essaie de combler les lacunes dans ce domaine. Pour sauver le rock’n’roll, tu vois ?

Tu penses que le rock est devenu chiant ?

Oui, vraiment. Tout est trop poli, peu de gens veulent prendre des risques ; ils se disent : si j’en prends, je ne vais pas pouvoir monétiser mon art. C’est débile, parce que tu finis par jouer ce que tu penses que les gens vont aimer. Et parfois, ça se voit.

Sur Getting Killed, vous semblez enfin avoir trouvé votre son, une sorte de chaos contrôlé… Comment en êtes-vous arrivés là ?

Oui, ça nous ressemble beaucoup plus, en tant que groupe. À nos débuts, tout le monde nous a pris pour un groupe qui reproduisait ce qui se faisait dans les années 1970. Nous avons un peu voulu mettre ça à distance, faire quelque chose de plus moderne, de différent, tout en gardant le même feeling que notre précédent album 3D Country (2023), avec la même énergie. C’est vraiment plaisant d’essayer d’aller encore plus loin, vers ce qu’on pense être une limite… La dernière chose qu’on veut, c’est se répéter, sortir des trucs qui se ressemblent. Bon, c’était un peu le chaos dans le studio parce qu’on a dû faire tout ça assez rapidement. Là où 3D Country sonne impeccable – tout le monde joue nickel, tout est là où il doit être… sur Getting Killed, on essaie de s’éloigner de ça : quelque chose de live, de vivant, où tu peux vraiment entendre les différentes couches.

Ce nouvel album, le troisième de Geese, sort seulement deux ans après 3D Country, quatre ans après Projector. Vous avez travaillé très vite…

Oui, on avait ces nouvelles chansons qu’on a essayé de bosser autant que possible, qui allaient dans la bonne direction, une nouvelle direction d’ailleurs. Ça nous semblait être le bon moment pour sortir quelque chose de nouveau. On a pas mal changé en deux ans, on a grandi donc cet album représente encore mieux qui nous sommes, à ce moment de notre vie.

Vous êtes amis depuis le lycée… Comment te sens-tu par rapport à ça ?

Avec certains, on se connaît depuis encore plus longtemps ! Depuis l’enfance. Ça paraît presque étrange de voir tout le monde grandir et en même temps c’est cool de voir comment on a évolué en tant que musiciens et en tant que personnes. Ça explique en grande partie la fabrication de cet album ; tout ce temps loin de la maison, tous ensemble, clairement, on se connaît tous encore un peu mieux désormais.

Penses-tu que vous auriez pu faire cet album au moment où vous vous êtes rencontrés ?

Non. On a voulu ressembler aux groupes qui nous influençaient, à l’idée qu’on avait de ce qui pouvait marcher. On s’est beaucoup pris la tête. Alors que là, on joue purement à l’instinct. Nous sommes rentrés en studio sans avoir un plan.

Comment le premier album solo de Cameron Winter, paru en décembre dernier, a-t-il influencé ce que vous faites au sein de Geese ?

Pour le songwriting, c’est une bouffée d’air frais : on a compris que maintenant, notre manière de traiter les chansons de Geese, c’est de faire l’opposé absolu de ce que fait Cameron en solo. C’est-à-dire aller à l’essentiel, droit au but. En résumé : tendu, fort, et très vivant. Sur la forme, ça nous a fait évoluer concernant la manière dont on travaille en studio. Cameron a passé pas mal de temps à réfléchir sur la manière d’enregistrer son travail solo de manière optimale, donc il avait une idée assez précise de la manière de faire un album rapidement. Le revers de la médaille, c’est que le producteur de notre album, Kenny Beats, et lui se sont beaucoup disputés à propos de la manière de faire certaines choses. Kenny est particulier, tout comme Cameron. Parfois, ils trouvaient un bon terrain d’entente, parfois pas du tout ! Où mettre une reverb, par exemple. Cameron est devenu pointilleux alors que Kenny aime les choses pas prises de tête. Geese et Kenny, c’est un peu comme l’huile et l’eau… Il y a des trucs sur lesquels on ne sera jamais d’accord.

Pourquoi êtes-vous allés chercher Kenny Beats à l’origine ?

On l’a rencontré au Texas, lorsqu’on a joué à Austin City Limits. Il est venu nous dire bonjour, il avait vu quelques-uns de nos concerts et il était très intéressé à l’idée de bosser avec nous. À ce moment-là, nous cherchions un producteur et il nous paraissait être la meilleure personne pour remplir ce rôle. Nous avions les mêmes envies. C’est vrai que pour moi, c’était d’abord un producteur de hip-hop, mais il a fait un travail de dingue avec Idles [il a produit leur dernier album Tangk, ndlr]. C’est un super producteur. On voulait ce même feeling sur la rythmique, la batterie, qu’il fasse ses trucs de magicien de studio. Il n’y a qu’à écouter la manière dont il traite la voix de Joe [Talbot, le chanteur d’Idles, ndlr] par rapport à celle de Cameron, c’est super intéressant. On voulait ce truc d’attraction/répulsion, où tout semble très chaotique… Et puis il allait voir les choses d’un autre angle. Tout le travail de rythmique, c’est très nouveau pour nous, on n’enregistre pas nos disques avec ces intrications très complexes dès le début. Là, c’était vraiment le cœur du processus. Kenny a une banque de sons et de samples énormes, il est très fort pour les couper et les assembler de manière très intéressante. Il n’y a qu’à écouter Long Island City Here I Come. Cameron fait quelques accords de piano et lui, il devient fou avec ses ajouts rythmiques.

Comment ça se traduit dans votre façon de jouer ensemble ?

Il y a plein de samples, ça me permet de jouer autour. Sur 100 Horses, par exemple, on s’est dit : concentrons-nous à fond sur le feeling rythmique. Et pourtant, ça sonne très spontané !

Il y a une urgence qui se dégage de votre musique, qui colle parfaitement à l’époque.

Clairement ! C’est le bordel partout. Je suis parti des États-Unis pour venir à Paris voir ma famille, je laisse toute cette agitation là-bas, et en arrivant je vois les gens tout bloquer ! Je suis très content d’avoir vu ça, c’est une éruption de plein de choses… Parfois, on croit qu’on est les plus mal lotis aux USA, mais en fait partout où tu vas, c’est pareil. Du coup, avec Geese, tout ce qu’on fait, on se dit qu’on doit le faire le plus vite possible.

Parle-moi de la pochette de l’album, sur laquelle on voit une silhouette tenir dans sa main droite une trompette, et pointer un revolver au spectateur.

Il s’agit d’une image prise par le photographe Mark Sommerfeld, qui a fait la plupart de nos photos de presse ainsi que toutes les pochettes des singles. L’affiche de la tournée, avec Emily [la guitariste, ndlr] qui tient une épée, c’est lui aussi. L’idée pour la pochette de Getting Killed, c’était quelque chose de très audacieux et provocateur. On avait une image bien spécifique en tête. C’est encore Emily qui figure sur la photo, avec le soleil qui aveugle le spectateur, le dessin de ses cheveux bouclés… ça nous semblait être le cliché parfait.