Highway Hypnosis
Sneaks
Differ-Ant

Sneaks comble le fossé entre underground punk et tubes hip-hop

Eva Moolchan, alias Sneaks, publie ce vendredi "Highway Hypnosis", un troisième album toujours aussi bref et intense, coup de cœur de la rédaction dans le dernier numéro de Magic.

Hip-hop dépouillé, post-punk désossé, mantras pop : après Gymnastics, premier album de quatorze minutes, puis It’s a Myth, dix-huit minutes, et avec des chansons de deux minutes en moyenne, on peut dire que la marque de fabrique d’Eva Moolchan, alias Sneaks, est bien la brièveté. On prendra donc plaisir à se répandre en mots, et en éloges, sur le troisième album de cette (ex ?) étudiante du Baltimore’s Maryland Institute College of Art, qui a fourbi ses premières armes post-punk dans les groupes Young Trynas ou Shit Stains, avant de devenir l’égérie d’une micro-scène de l’axe Baltimore – Washington (comprenant Priests, Flasher, Downtown Boys) dont elle se distingue par sa sorte, totalement idiosyncrasique, de hip-hop-post-punk, entre ESG et Princess Nokia, riot grrrl et Aaliyah.

Une boite à rythme, une basse et un micro ont suffi à Sneaks pour imposer en deux albums son écriture lapidaire, mélodique et légère, son minimalisme DIY ouvrant des espaces où peuvent se lover l’imaginaire de l’auditeur, et son corps dansant. Enregistré à New York en 2017, ce troisième album Highway Hypnosis, coproduit par Carlos Hernandez (d’Ava Luna), Tony Seltzer (Princess Nokia) et Eva elle-même, enrichit quelque peu le spectre sonore de la musicienne, comblant le fossé entre underground punk et tubes hip-hop. Rejoignant la résistance menée par les féministes queer afro-américaines (Tirzah, Abra, Hasley, Tommy Genesis), l’album délaisse quelque peu le combo basse-batterie post-punk, sinon sur un And we’re off où elle entonne d’une voix fatiguée : «And we’re pumped up / And we’re set off now»(«Et nous sommes gonflés à bloc / Et c’est parti maintenant»), comme un rappel ironique de ses origines.

Sinon, beats de TR-808, percussions concrètes, petits grésillements, bleeps et souffles électriques dissonants parcourent ces 13 titres toujours surprenants, usant de la brièveté comme source de frustration, de contre-pieds, d’épiphanies. Parlée-chantée, murmurée, superposée en contrepoints mélodiques, tour à tour rêveuse ou nerveuse, la voix de Sneaks se fait motif rythmique, s’alignant sur les breaks, faisant rimer «some» et «Samsung» (sur Addis, quasi dub), s’éloignant en ad-libs stéréophoniques (les petits «Yeah» ponctuant Cinammon, délicieuse dérive ambient rappelant Kate NV), ou en délicats mélismes naturels (sans auto-tune). Évoquant le trouble sexuel qui traverse une piste de danse (The Way it Goes), invitant à abandonner nos croyances et tout recommencer («Remove your beliefs and start again» sur le très dark et onirique Beliefs), Sneaks déploie son discours politique, en suggestions (hypnotiques) davantage qu’en revendications, par une poésie subliminale et concrète. La concrétion, la matière, bref une pensée matérialiste est bien au cœur politique cet album, invitant à «changer les diamants en verre de vin» («So you take a diamond turn it into glass wine» sur Cinammon), car, finalement, à quoi peut bien vous servir un diamant ?

A découvrir aussi

/Sortie • 11 avril 2024

UTO, Clarissa Connelly, girl in red… : la playlist et le cahier critique du 12 avril 2024

/Sortie • 4 avril 2024

Bonnie Banane, Vampire Weekend, The Libertines… : la playlist et le cahier critique du 5 avril 2024

/Sortie • 28 mars 2024

Magic : le cahier critique du 29 mars 2024