Nous avons posté sur le réseau social à succès Facebook notre galerie de photos de la collection Été 2014 du festival malouin La Route Du Rock, mais nous pouvions aussi nous fier là-bas à ce bon vieux Gérôme Guibert, qui n'a pas manqué de faire travailler ses souvenirs à l'heure d'assister à la résurrection scénique de Slowdive le vendredi 15 août 2014, plus de vingt ans après ses débuts et dix ans jour pour jour après le spectacle de Mojave 3 exactement au même endroit.

Fête de la Vierge, un contexte approprié pour assister au retour en grâce de Slowdive dans sa pureté originelle. Pourtant, ce sont plutôt les images du centenaire de la première guerre mondiale que rappelle le site du Fort de Saint Père en ce second jour du festival. Vingt centimètres de boue à peu près partout, du parking au camping et des scènes jusqu’au bar. Résultante d’une première journée particulièrement pluvieuse où (d’après quelques amis présents) Real Estate a su tirer son épingle du jeu en début de soirée, avant le cataclysme et les trips Woodstock – plongeons dans la boue, etc. Heureusement pour tout le monde, il ne pleuvra pas ce vendredi, mais je décide tout de même de zapper Aquaserge sur la plage de Saint-Malo. Dommage d’un point musical puisque – aux dires des spectateurs présents – leur concert était très bon, mais bien m’en a pris d’un point de vue logistique puisque lorsqu’on arrive au Fort à 17h, il y a déjà une poignée de voitures dans le décor, et les embouteillages sur les chemins de terre menant au festival commencent à enfler. Heureusement, je suis en compagnie de mon pote Samuel du label nanto-malouin Strandflat, qui a l’habitude des dérapages contrôlés sur la neige islandaise et un pass pour le parking pro. Il me faudra néanmoins plus d’une demi-heure pour aller récupérer mon pass Magic à l’autre bout du site – autant vous dire que j’apprécie mes Dr. Martens. D’un autre côté, même si c’est particulièrement gratiné cette année, le public de la Bretagne Nord n’est pas particulièrement perturbé par ce genre d’ambiance, et les popeux sont équipés, il y a d’ailleurs une palanquée de festivaliers qui portent bien les grandes bottes en caoutchouc de rigueur, même avec mini-jupe ou bermudas. En plus, François Floret, le directeur du festival, a promis aux médias des travaux permettant de blinder le site contre la pluie pour l’an prochain… Alors.

En tant que rubriqueur sur l’actualité souterraine française pour la revue pop moderne, je commence par un petit tour au stand labels indés/fanzines français, l’un des points forts du festival depuis le début – reconnaissons-le. Comme chaque année, on y trouve pas mal d’artisans habitués des pages de notre magazine, de In My Bed à Another Record, sans compter Monopsone qui – comme vous le savez peut-être déjà – sortira bientôt le nouveau I Love You But I’ve Chosen Darkness. À peine le temps de boire une bière que Cheatahs commence à jouer, et ça sonne bien, très bien même, à peu près comme du My Bloody Valentine de 1987, punchy avec des boucles hypnotiques. Seul hic, les portes ne sont pas encore ouvertes pour la majorité du public à cause de l’état du chemin. Enfin bon, même si les déplacements sont ralentis dans la gadoue, l’ambiance prend peu à peu. Anna Calvi fait un concert honnête et Protomartyr propose une proto new-wave à la Gang Of Four assez intéressante (qui n’a cependant rien à voir avec leur bio qui les compare à la scène de Détroit de la fin des années 60). Plus tard, il y aura un show consciencieux et sans bavure de Portishead, certes, mais difficile de voir Geoff Barrow interpréter les tubes du premier album alors que quelques années auparavant, avec la sortie de Third (2008), il semblait tirer un trait sur son passé trip hop.

Concentrons-nous plutôt sur Slowdive, véritable résurrection de l’année 2014. Même si peu de gens s’en rappellent, le groupe nous fait l’honneur de revenir dix ans jour pour jour après le concert que Mojave 3 donnait à la Route du Rock le 15 août 2004. À l’époque, Neil Halstead ouvrait avec sa formation post-Slowdive sur la même scène en milieu d’après-midi, sous une pluie fine et discrète et un arc-en-ciel naissant. Un moment fort en émotion, mélancolique à souhait, dont j’ai d’ailleurs pu partager la nostalgie avec Neil en personne, discutant avec lui après le concert autour d’un verre, alors qu’il errait seul au bar VIP. Pour les fans, à l’époque, une légère déception provenait pourtant de l’absence de Rachel Goswell, pour les raisons un peu dramatiques qu’elle dévoilait au lectorat de magic il y a quelques mois. Finalement, l’infortune est réparée dix ans plus tard avec ce come-back de Slowdive. À la Hibernatus, comme My Bloody Valentine en 2009, on a l’impression que le groupe a été congelé au début des années 90 et qu’il nous revient aussi en forme qu’à l’époque. De surcroît, dans le cas de Slowdive, l’entente entre les musiciens est bonne et cela se ressent.

On sait que les reformations réussies sont celles qui choisissent un angle d’attaque et évitent la compilation best-of avec les titres commerciaux. Pas de problème avec Slowdive car la bande n’a jamais vraiment percé au-delà du public indé, sa musique étant tout de même bien atypique pour l’époque. Cela n’a pas empêché le quintette de faire des choix drastiques pour cette série de concerts improbables en 2014. L’accent est en fait porté sur deux moments : les débuts chez Creation en 1990-1991, à l’époque des premiers EP ; et le second album, Souvlaki, où apparaît Brian Eno en 1993, une époque où Slowdive délaisse la charte graphique de l’indie anglaise, s’extirpe de la “scene that celebrates itself et connaît un succès d’estime aux Etats-Unis. Le concert commence donc par un choix radical qui met illico une claque au public de la Route du Rock : sont enchaînés les deux premiers titres du single inaugural sorti chez Création en 1990, Slowdive et Avalyn. On sent la plupart des spectateurs subjugués. Il est vrai que l’audience est assez mélomane et domestiquée ces dernières années par Mogwai ou Godspeed You! Black Emperor. Par ailleurs, l’heure crépusculaire est précisément la meilleure. Si les Bretons ne sont plus trop nets en fin de soirée, à 21h10, ils sont prêts à suivre les bons groupes dans leurs trips, même lorsqu’ils sont assez hermétiques.

Slowdive débute tranquillement avec son riff de guitare caractéristique et la beauté mélodique du chant masculin/féminin, mais sur la seconde partie du morceau, les couches de guitares se superposent et le savant mélange d’agression sonore et d’atmosphère planante typique du groupe prend corps, faisant décoller le Fort au-delà du mur du son. La basse de Nick Chaplin est énorme, et l’intro d’Avalyn, avec le jeu en accords étiqueté shoegaze, est démente. En bonus, Rachel Goswell se révèle hyper charismatique. Elle est tout sourire, en pleine communication avec la foule et porte une magnifique robe à paillettes sombre. Elle est tout simplement heureuse d’être là. C’est comme si ces quarantenaires perdaient vingt ans lorsqu’ils jouent. Le public est assommé et embarqué, et Catch The Breeze finit cette première période avec trois guitares mi-delay/mi-distorsion (Rachel en a récupéré une au passage).

Ce concert de Slowdive fut un petit miracle de bout en bout. Une fois l’ambiance posée, même les titres les plus singuliers comme Souvlaki Space Station passent impeccablement, enchaînés avec les joyaux que sont Machine Gun ou Alison. Ce qui change par rapport aux enregistrements originaux, ce n’est pas le son mais l’interprétation. Les musiciens, avec l’expérience, modulent davantage les ambiances et jouent avec plus de feeling, de manière moins métronomique – le tempo respire, il est plus humain. On comprend alors à quel point Slowdive a pu influencer tant d’artistes ces vingt dernières années, des scènes electro et post-rock de Montréal jusqu’au black metal écolo d’Alcest et Wolves In The Throne Room. Sans qu’on l’ait compris à l’époque, le shoegaze allait s’installer durablement dans le paysage, passant d’adjectif qu’on pouvait un peu péjorativement accoler à des termes plus nobles comme “pop” ou “folk” à un véritable genre musical aux multiples ramifications. En fin de set, She Calls et ses descentes de toms rappellent également les racines cold wave du groupe. Avec, au-delà de la matrice Cocteau Twins, les évocations de The Cure période trilogie noire, Siouxsie & The Banshees en mode post-punk et la dernière incarnation de Joy Division, celle de Closer (1980).



Un autre long format ?