Yard Act (Where's My Utopia?) bannière
© Phoebe Fox

Yard Act sera vendredi 5 avril sur la scène du Cabaret Sauvage pour défendre son "Where’s My Utopia?" récemment paru. Yard Act sera ce soir sur la scène du Cabaret Sauvage (Paris, XIXe) pour défendre son Where’s My Utopia? récemment paru. Philippe Mathé avait discuté avec son chanteur James Smith, quelques jours avant la tournée européenne d’un groupe qui grandit vite et surprend. Entretien inédit.

En 2022, Yard Act se révélait, avec son premier album The Overload, comme le chroniqueur idéal des années Boris Johnson, mêlant à la perfection un son post-punk dans l’air du temps et un certain sens de l’ironie. Une formule gagnante que le groupe s’échine à fuir aujourd’hui sur Where’s My Utopia?. Si James Smith, le chanteur du groupe de Leeds, continue de manier le sarcasme, il s’est adouci avec la naissance de son premier enfant. Cette envie de se détendre s’entend sur ce deuxième album surprenant. Tout n’est pas rose, loin de là, mais Yard Act a décidé d’en prendre son parti et d’ouvrir sa musique à tous les vents. Un cocktail réjouissant qui en a peut-être désarçonné certains – mais pas Cillian Murphy ou Elton John qui comptent parmi les fans les plus prestigieux du groupe. On en a parlé en février avec James Smith, qui rongeait son frein à Leeds avant de repartir en tournée. De ça mais aussi de réchauffement climatique, de santé mentale et de hits…

Le son de Yard Act a changé sur ce deuxième album. Moins post-punk, plus dansant. C’est parce que vous aviez un peu plus confiance en vous ou tout simplement plus d’argent pour faire le disque ?

Un peu des deux, je suppose. Quand tu démarres un groupe, tu ne sais pas vraiment ce que ça va donner. Même si nous avions tous un peu d’expérience, même si nous avions joué dans d’autres groupes auparavant, personne ne pouvait prédire ce que donnerait Yard Act. Et puis le succès de notre premier album The Overload (2022) nous a empêchés de faire le point sur ce que nous voulions vraiment. Pour ce deuxième album, notre label nous a encouragés à ne pas nous répéter et nous en a donné les moyens. Nous avons pu ajouter sur nos chansons une section de cordes et retranscrire le plus fidèlement ce que nous avions en tête. Bien sûr, nous avons plus confiance en nous-mêmes. Même si j’ai l’impression que les gens vont aimer ce disque, on peut aussi perdre une partie de notre public. Mais je suis prêt à renoncer au succès commercial pour faire quelque chose de plus aventureux. Une musique qui ne nous enferme pas dans des cases.

Vous parlez de succès commercial. Un des singles de l’album s’intitule We Make Hits. C’est ça, le nouvel objectif de Yard Act : sortir des tubes ?

Évidemment, il y a de l’ironie à parler d’écrire des tubes quand nous n’en faisons pas. L’idée comique et cynique qu’il faut un succès pour survivre. Mais est-ce que le plus important, ce n’est pas ce sentiment d’euphorie que l’on ressent quand on écrit une chanson qui nous plaît vraiment ? Quand nous travaillons avec Ryan [Needham, le bassiste, ndlr] sur un morceau et que nous sentons que nous touchons au but. C’est de ça dont parle We Make Hits. Quand tu tentes d’attraper un point flou à l’horizon et que tu y parviens. Alors tu as un tube. Juste dans ta tête, mais un tube quand même !

C’est de ça dont parle We Make Hits. Quand tu tentes d’attraper un point flou à l’horizon et que tu y parviens. Alors tu as un tube. Juste dans ta tête, mais un tube quand même !

James Smith

À la première écoute, ce disque désarçonne. Au point de se demander où est le vrai Yard Act. Est-ce dans l’ironie tendue de The Overload ? Ou dans le côté plus dansant de Where’s My Utopia?

Je suppose que le vrai Yard Act est là où nous en sommes maintenant ! Ce dernier album me semble plus sincère. Je le trouve meilleur au niveau du son et des paroles. Il représente plus la diversité de nos goûts musicaux. Il est moins cynique aussi. Une chanson comme We Make Hits a été influencé par la french touch, Daft Punk, Justice, par des groupes comme Parcels aussi. Mais nos influences sont tellement multiples… C’est un vrai mélimélo : ça va de Sophie Ellis-Bextor à Glen Campbell en passant par The White Stripes et Manu Dibango. Je pense aussi à ce morceau de KW Griff et Pork Chop, Bring in the Katz, que notre morceau Down by the Stream évoque. On ne choisit pas une influence en essayant de l’imiter. On se nourrit de tout ça. Il y a des parties du premier morceau de l’album, An Illusion, qui s’inspire des bandes originales de Pocahontas et Charlie et la Chocolaterie. Et puis Remi [Kabaka Jr. de Gorillaz, qui a produit l’album, ndlr] a apporté aussi des tonnes de disques, pas mal de disco des années 1980, des remixes signés Arthur Baker. Mais nous n’étions pas là à tout décortiquer pour faire un album disco. Nous nous sommes juste laissés imprégner plus ou moins consciemment par cette musique que nous écoutions au moment d’enregistrer l’album.

Après le succès de The Overload vous avez dû ressentir un peu de pression en pensant à la suite. Et puis vous avez beaucoup tourné… Comment s’est passé l’enregistrement ?

Nous nous sommes lentement précipités pendant dix-huit mois ! Il y a un sentiment d’urgence dans toutes les chansons que nous avons enregistrées. Nous n’avons pas passé notre temps à peser le pour et le contre et je pense que c’est aussi bien comme ça. Chaque idée de départ est née pendant que nous étions en tournée, dans le tour bus ou dans une chambre d’hôtel. Nous avions toutes ces idées que nous avons pris le temps de travailler pendant plusieurs sessions d’enregistrement. L’album a été enregistré dans cinq studios différents, six si l’on compte notre bus de tournée.

Dix-huit mois, ça peut sembler laborieux…

C’est juste que nous n’avons jamais cessé d’écrire. Nous ne voulions pas nous reposer sur nos lauriers. Ça va être la même chose pour le prochain disque. Nous semons des graines et nous voyons ensuite ce qui germe. Il n’y pas de plan ou de vision. Nous essayons d’attraper une mélodie et de la laisser grandir. C’est notre processus d’écriture et d’enregistrement.

Yard Act (Where's My Utopia?) 2
© Phoebe Fox

La pochette de Where’s Mu Utopia? semble réunir toutes les angoisses de l’époque alors que la musique est plus joyeuse que sur votre précédent disque. Votre message c’est : le monde s’écroule, dansons maintenant ?

C’est plus d’essayer de trouver une paix intérieure. Posez la question dans la rue, personne ne viendra défendre la guerre, la pauvreté, les préjugés. Pourtant, ça existe à une échelle tellement écrasante et on a l’impression que la situation s’aggrave un peu plus chaque jour. Mais si nous ne voulons pas de ça, pourquoi c’est ainsi ? Parce que cela échappe à notre contrôle. Alors il faut réfléchir à ce que l’on peut faire face à ce monde qui va mal et essayer d’y trouver de la beauté. C’est de ça dont parle l’album. Et si j’écris là-dessus, ce n’est pas tant pour moi que pour mon fils. Je redoute son futur. Je peux lui tenir la main quand il traverse la route et m’assurer qu’il mange à sa faim mais je ne peux pas faire du monde un endroit plus sûr pour lui…

Quel âge a-t-il ?

Il va bientôt avoir 3 ans. Mais j’ai déjà l’impression de l’abandonner, qu’il glisse entre mes doigts. Il n’était pas né au moment du premier album, ce qui est peut-être la raison pour laquelle je permettais alors de porter des jugements et de blâmer les gens. Aujourd’hui, je me rends compte que ça ne sert à rien, on ne sait pas ce que chacun traverse…

C’est la raison pour laquelle vous êtes moins cynique ?

Oh je le suis toujours, mais davantage envers moi-même. J’étais déjà comme ça sur le premier album. Je n’ai pas non plus eu une révélation. Je suis souvent assez dur envers moi-même mais j’ai appris à vivre avec ça. Je me ménage comme j’ai appris à ménager les autres. Cela rend la vie plus facile.

Je suis toujours cynique, mais davantage envers moi-même

James Smith

La pochette du disque, ce dessin presque enfantin, évoque très directement le réchauffement climatique. C’est quelque chose qui vous préoccupe ? Dont vous voulez parler dans vos chansons ?

Comment ne pas être préoccupé ? Les faits sont connus. Il y a un consensus général ; les experts, les scientifiques nous ont répété à maintes reprises la direction vers laquelle nous allons, ce que nous devons faire pour l’éviter… Et les dirigeants mondiaux ne font rien pour changer les choses. Et moi, je continue de prendre l’avion pour partir en tournée. Nous avons tous accepté le réchauffement climatique mais nous ne le prenons pas vraiment au sérieux. C’est comme une cause bénigne de désespoir. Mais écrire des chansons ou un album sur le réchauffement climatique, ça risquerait vite de devenir ennuyant, non ? Qu’est-ce que ça apporterait de plus ? Les faits sont connus, comme je le disais…

N’est-ce pas aussi le rôle des chansons d’alerter, de participer à la prise de conscience ?

Oui, je suis tout à fait d’accord et je pense que ce disque le fait de manière subversive. Le réchauffement climatique est en arrière-plan, il n’est pas le sujet central. Je ne suis pas là pour le marteler comme le font les actualités. Chaque fois que j’y pense, ça me trouble. Je me demande si je fais ma part. Tout le monde pense qu’il fait sa part et cela ne suffit pas. Enfin, si l’album suscitait ce genre de conversations, ce serait positif.

La chanson qui clôt l’album, A Vineyard for the North [«Une vigne pour le Nord»], résume un peu l’ambivalence des sentiments qui traversent le disque. À la fois joyeux et tristes…

C’est tout à fait ce que je voulais exprimer. Cette dualité et, quand même, un espoir qui surgit à la fin. C’est amusant car c’est l’une des dernières chansons que nous avons écrites pour le disque. Vous ne savez jamais quand vous avez fini un disque avant d’avoir enregistré ce que vous pensez être la dernière chanson. C’est ce qui s’est passé avec ce morceau.

Votre premier album a été couronné de succès, particulièrement au Royaume-Uni. Vous comptez désormais des fans célèbres dont Elton John. Il a même joué avec vous sur une nouvelle version de 100% Endurance. Comment Sir Elton John a-t-il entendu parler de Yard Act ?

C’est un mordu de musique. Il a un compte ouvert chez le disquaire Rough Trade à Londres. Il a donné comme consigne aux disquaires de lui mettre de côté tout ce qui pourrait lui plaire et de le lui envoyer. C’est comme ça qu’il a écouté notre premier EP, avant même l’album, et qu’il nous a mentionnés dans une interview au Guardian. On ne pensait pas que ça irait plus loin. Et puis il nous a appelés et il est venu en studio pour enregistrer cette chanson. Quand nous l’avons rencontré, il n’arrêtait pas de nous parler de nouveaux groupes : Wet Leg, Nova Twins… Il nous a demandé ce qu’on écoutait, il a pris des notes, il est toujours avide de nouveautés musicales.

Vous venez de Leeds, une ville moins connue pour sa scène musicale que Manchester, Liverpool ou Londres. Est-ce qu’elle a eu une influence sur Yard Act ?

Une influence énorme, oui ! Aucun de nous n’est originaire de Leeds, nous avons tous déménagé ici et nous sommes restés à cause de la scène musicale. Il y a une vraie émulation, beaucoup d’entraide, des endroits où jouer et la vie est moins chère qu’ailleurs. Mes amis, ma femme… Je les ai tous rencontrés grâce à la scène musicale de Leeds. Je dois ma vie actuelle à Leeds et je pense que Ryan, Jay [Russell, le batteur, ndlr] et Sam [Shipstone, le guitariste, ndlr] te diraient la même chose. Le plus étrange avec Yard Act, c’est que nous nous sommes lancés juste avant le confinement, nous n’avons pas pu jouer localement et une fois les choses reparties, nous nous sommes retrouvés à tourner à travers tout le pays. Aujourd’hui, je me sens déconnecté de la scène locale. D’autant que quand je revenais à Leeds, j’avais un enfant en bas âge à la maison ! Je sais qu’il y a des groupes supers comme English Teacher. Avant, j’avais l’habitude d’aller voir quatre ou cinq concerts par semaine. Toute ma vie, je serai redevable à cette ville et à cette scène musicale mais je ne suis plus vraiment dans le coup. Je suis sûr qu’il y a à Leeds des centaines de groupes qui font leur truc sans se soucier de Yard Act. La scène de Leeds n’a peut-être jamais eu la renommée de celle de Manchester ou de Bristol. Mais les groupes ici n’ont pas forcément l’ambition de s’exporter. Peut-être parce qu’il y a tellement d’endroits où jouer que vous pouvez passer une année entière sans avoir à vous soucier de ce qu’il se passe ailleurs…

Yard Act a tourné bien au-delà de Leeds, à travers le monde entier. Et cela peut être épuisant. Il y a deux ans, vous avez préféré vous arrêter, faire une pause et annuler une partie de votre tournée. Ce n’est pas si fréquent dans le monde de la musique où l’on a tendance à battre le fer tant qu’il est chaud plutôt que de se soucier de la santé mentale des musiciens…

Comme dans d’autres professions. L’industrie musicale est un monde impitoyable, une escroquerie bizarre qui échappe à tout contrôle. Mais les choses changent, enfin je l’espère. Quand un groupe connaît une période faste, il faut en tirer parti. Ce n’est pas qu’une question d’argent. Quand on a l’opportunité d’élargir son public, de franchir un niveau, on ne veut pas la laisser passer. Personne ne sait comme la carrière du groupe, surtout s’il est débutant, peut évoluer six mois plus tard. Personne ne veut annuler des concerts et décevoir des spectateurs qui ont acheté leur billet, parfois fait de la route pour venir. Personne ne veut décevoir ceux qui ont investi dans votre groupe, qui croient en vous. Mais heureusement, à un moment, il y a aussi quelqu’un pour vous dire qu’il y a peut-être dans la vie des choses plus importantes que de faire un concert. Alors, il faut prendre la décision difficile mais nécessaire de lever le pied. Le public peut l’entendre et même soutenir le groupe. Parce que personne ne décide d’annuler un concert de gaieté de cœur.

Yard Act sera en concert le vendredi 5 avril au Cabaret Sauvage (Paris, XIXe). Infos & tickets par ici.

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