Il faut s’appeler Tunng pour s’attaquer à un sujet aussi plombant que la mort et en faire un disque lumineux. Le sextet britannique a mené un travail quasi sociologique pour ce sixième album qui tombe finalement mieux qu’on n’aurait pu le penser. Sam Genders, l’un des leaders du groupe, raconte comment Tunng a mené à bien ce projet. Et c’est tout sauf d’un ennui mortel.

En pleine pandémie du coronavirus, le groupe britannique Tunng sort un album… sur la mort. Drôle de sens du timing. Alors que la litanie du nombre de décès dans les hôpitaux a repris, personne n’a forcément envie d’entendre des chansons « macabres ». Les onze morceaux de Dead Club sont très loin de l’être. Elles dégagent même un sentiment de sérénité, une lumière rassurante. Mais Sam Genders ne cache pas que le groupe s’est posé la question du bien-fondé de ce projet. « On a commencé à y réfléchir en 2018, bien avant que le coronavirus n’arrive. Au début de la pandémie, nous nous sommes demandé s’il était approprié de continuer à faire cet album. On en a parlé autour de nous et nous sommes arrivés à la conclusion qu’au contraire, c’était encore plus important de le faire. C’était le moment idéal pour parler de la mort. »

Sam Genders avoue que ce sujet l’a toujours passionné. Pas par intérêt morbide gratuit – Tunng joue du folk électronique, pas gothique – mais plus par questionnement philosophique. Il raconte avoir souvent éprouvé de l’anxiété, un sentiment de dépression dans sa vie quotidienne : « Quand ça vous arrive, vous réfléchissez au sens de la vie, si elle en a un, et forcément la mort en fait partie. C’est quelque chose que nous avons tous à affronter. J’ai grandi dans un milieu où l’on n’en parlait pas. Je pense que ça a plus d’inconvénients qu’autre chose. »

Un travail quasi sociologique

Dead Club n’est pas, pour autant, un disque nombriliste sur les angoisses existentielles des membres du groupe. Pour le mener à bien, Tunng a entrepris un travail d’enquête quasi-sociologique. À base de lectures, de rencontres, d’interviews avec des philosophes, des scientifiques, des médecins que le groupe a compilées dans des podcasts dont des bribes apparaissent sur l’album.

J’ai grandi dans un milieu où l’on n’en parlait pas [de la mort, ndlr]. Je pense que ça a plus d’inconvénients qu’autre chose.”

Sam Genders



La lecture d’un roman de l’écrivain anglais, Max Porter, La Douleur porte un costume de plumes (Grief is The Thing with Feathers) a été le déclencheur. Il est passé entre les mains de tous les membres du groupe. Son auteur a même écrit deux morceaux avec le groupe : « Nous avons tous adoré le livre. Max Porter y englobe tous les éléments qui composent le deuil. La tristesse noble, digne et mélancolique, mais aussi une vraie colère, de la panique et un amour viscéral. Pleins de choses différentes que l’on ressent viscéralement. »

Crédit : Lilias Buchanan


Quand il se lance dans un disque, Sam Genders ne fait pas les choses à moitié. Adepte des recherches, des concepts – il avait entre autres mis en musique sous le nom de Diagrams les textes d’une poétesse de 90 ans sur le magnifique Dorothy, et plus récemment écrit une chanson avec des intelligences artificielles –, il a beaucoup lu sur le sujet. En vrac, il cite, Le Manteau d’été de la mort (Death’s Summer Coat), de Brandy Schillace ; D’accord si tu n’es pas d’accord (It’s OK That You’re Not OK), de Megan Devine ; Nous sommes tous mortels : ce qui compte vraiment en fin de vie (Being Mortal : Medicine and What Matters in the End), du chirurgien américain Atul Gawande.

Il s’est aussi rendu, à Sheffield, dans un “Death Cafe” où se rencontrent pour discuter des malades en phase terminale ou des personnes récemment endeuillées. « J’étais très nerveux avant de m’y rendre, se souvient Sam Genders. Il y avait des personnes qui savaient qu’elles allaient mourir, d’autres qui accompagnaient des personnes en fin de vie, d’autre récemment endeuillées…. Ils ont tous voulu en savoir plus sur mon projet. Et cela a été comme un coup de pouce. Nous pouvions parler profondément et honnêtement d’un sujet qu’on évite d’habitude d’aborder. La discussion n’était ni triste ni maussade. Au contraire, c’était libérateur. »  

Qu’il évoque dans Eating your Dead une étrange coutume d’autochtones au Brésil, la toilette mortuaire en Suède (SDC, pour “Swedish Death Cleaning”) ou laisse Ibrahim Ag Alhabib de Tinariwen parler des traditions qui entourent la mort chez les Touaregs du Nord-Mali sur A Million Colours, Tunng confronte sur ce disque les différentes approches de la mort. « Ça me fascine. Il y a beaucoup de choses communes à toutes les cultures qui montrent une humanité commune. Et toutes ces différences qui relèvent plus du culturel. Comme l’idée chez nous de ne pas parler de la mort. »

C’est d’ailleurs le thème de Death is the New Sex, aux arpèges dansants, qui, non, ne parle pas de la petite mort mais bien du tabou qui entoure toujours la mort : « Il y a quelques années, le sexe était un sujet qu’on évitait dans les conversations, développe Sam Genders. Aujourd’hui, la plupart des gens sont bien plus à l’aise pour en parler. Il est tout à fait normal de discuter de la façon d’éviter, par exemple, une grossesse non désirée. Mais essayez d’évoquer dans une discussion les soins palliatifs. Tout de suite, cela devient plus compliqué. C’est en cela que la mort est le nouveau sexe ».

Avant tout un excellent album pop

La somme de lectures, de rencontres, d’expériences que Tunng a accumulées pour réaliser cet album aurait presque quelque chose d’intimidant. Et faire craindre que Dead Club ressemble à une thèse rébarbative sur un sujet ardu mise en musique. Mais le groupe ne joue pas les universitaires. Ses six membres restent des musiciens qui nous offrent, depuis une quinzaine d’albums, d’excellents albums à la fois pop et aventureux, imaginatifs et accessibles. Ici, c’est plus que jamais le cas. Même si, histoire de se compliquer un peu plus la tâche, Mike Lindsay a décidé de travailler sur une base harmonique commune : ré, mi, la, ré. En anglais : DEAD… « Elle revient tout au long du disque comme un fil conducteur, note Sam Genders. Dans un autre contexte, nous n’aurions pas choisi d’utiliser cette suite de notes. » Elles apportent peut-être un brin de mélancolie à certaines compositions mais il n’y a, au bout du compte, rien de lugubre à écouter le sautillant The Last Days, à se laisser bercer de Tsunami ou à se laisser émouvoir par le poignant Scared to Death.

Avec plus de piano que d’habitude et, toujours autant de bidouillages électroniques et de fulgurances mélodiques, Tunng délivre un nouvel album de haute volée, tout en douceur, plein d’intelligence et de sensibilité. En plus, comme l’avoue Sam Genders, son enregistrement leur a fait un bien fou : « Réaliser Dead Club a rendu ma vie meilleure. En tous cas, j’ai envie de beaucoup plus l’apprécier. » Il n’y a plus qu’à espérer que la thérapie fonctionne sur tous ceux qui se pencheront sur ce nouveau bijou signé Tunng. Finalement, il tombe à pic.

TUNNG – Tunng Presents… Dead Club
(FULL TIME HOBBY / PIAS)
Sortie le 06/11/2020

Un autre long format ?