© Dough Seymour

En tournée française, du 24 mars au 5 avril, en partenariat avec Magic, Lloyd Cole est à la tête d’une discographie singulière, où le sublime par l'épure a pris le dessus sur des expérimentations pas toujours maîtrisées. En 2018, à l'occasion de sa précédente tournée européenne, Magic consacrait un guide d'écoute à son œuvre riche et d’une sincérité absolue.

Alerte : grand songwriter en approche ! Lloyd Cole sera de passage en France pour une série de neuf dates entre le 24 mars et le 5 avril. Une tournée aux côtés de Neil Clark, ex-guitariste de ses Commotions, qui verra le Britannique piocher dans l’ensemble de son répertoire, de Rattlesnakes (1984) à son dernier album en date, Guesswork, paru à l’été 2019. Avant de (re)découvrir sur scène la majesté d’un Margo’s Waltz ou, plus près de nous, les nuances d’un Remains, retour sur sa discographie avec le guide d’écoute que Magic lui avait consacré en 2018.

Détail des concerts et liens vers les billetteries :


Article initialement paru dans le numéro 211 de Magic


Songwriter incontournable de la pop anglo-saxonne depuis bientôt quarante ans, Lloyd Cole poursuit une carrière parfois déroutante, souvent passionnante mais bien trop discrète. Depuis toujours, le Britannique est en quête, en solo ou en groupe, d’une certaine idée de l’Amérique, parfois fantasmée, parfois bien réelle. Celle d’un âge d’or, celle d’avant le 11 Septembre.

LE CHEZ-D’ŒUVRE DES COMMOTIONS

Rattlesnakes (1984)

Certains disques font figure d’intrus à leur époque et ne disposent pas d’héritier pour poursuivre leur cause. Ils ont une place à part. Quand Rattlesnakes, le premier disque du jeune groupe Lloyd Cole And The Commotions, formé par le chanteur joufflu et son copain d’université Blair Cowan, sort en 1984, il est une anomalie. On y entend le romantisme lettré d’un Européen en quête de lui-même. Délestant la naïveté pop d’une folk à la Aztec Camera, les Commotions suggèrent plus qu’ils n’affirment. Rattlesnakes, et son single flamboyant Forest Fire, est considéré à juste titre comme le chef-d’œuvre insurpassable des Commotions. Le groupe ne retrouvera pas cette évidence du classique instantané avec les deux disques suivants, Easy Pieces (1985) et Mainstream (1987), sortis sans doute dans l’empressement. Le duo se sépare en 1989. 

DE L’INFLUENCE DES LIEUX ET DE LA GÉOGRAPHIE

Lloyd Cole (1990)

Lloyd Cole s’installe en 1989 dans la plus européenne des villes américaines, New York. D’une Amérique «cliché» à celle des possibles, Lloyd Cole joue avec les codes de la chanson populaire américaine, là Dylan, ici Bacharach. Il n’en finit pas de malaxer ses obsessions pour le nouveau continent. Sous son regard distancié d’Européen, la mégalopole l’éloigne de la zone de confort dans laquelle il s’était installé avec les Commotions. Avec le guitariste Robert Quine et des vétérans de la scène new-yorkaise comme Fred Maher à la production – l’homme est à peine sorti de l’enregistrement du New York de Lou Reed (1989) – il entame sa mutation : un ton plus rêche et un chant plus spontané, moins maniéré. Ce disque, celui d’un esthète sensuel et raffiné, est un hommage à la scène new-yorkaise et fait un grand écart entre un blues spleenétique et le groove de T-Rex. Lloyd Cole devait être l’album de la conquête du continent nord-américain. Il ne tiendra pas son pari. La France, sa terre d’élection depuis les Commotions, s’enthousiasme, elle.

PARADOXAL ET MAGNIFIQUE

Don’t Get Weird on Me Babe (1991)

Aussi étrange que cela puisse paraître, Don’t Get Weird on Me Babe, le plus ambitieux des disques américains de Lloyd Cole, est né d’une indécision. Accompagné des mêmes musiciens, Lloyd Cole a composé des titres résolument rock, dans la même veine que son premier album solo. Blair Cowan, l’ancien clavier des Commotions, lui fait écouter des démos au son plus orchestral, très proche de Glenn Campbell ou de Scott Walker.  Et si l’on scindait ce disque en deux faces, l’une rock et l’autre avec des instruments à cordes ? Si Lloyd Cole avait tranché uniquement pour le second versant, Don’t Get Weird on Me Babe  aurait été le chef-d’œuvre historique que l’on perçoit dans Margo’s Waltz, un de ses meilleurs titres. Côté violons, il a appris de sa collaboration avec Anne Dudley d’Art Noise sur Rattlesnakes et Easy Pieces. La face B de Don’t Get Weird on Me Babe fait les plus belles propositions entre musique légère et clair obscur inquiétant. On y entend les échos d’un Burt Bacharach. Un disque de paradoxes, ambitieux et brillant.

BACK TO BASICS

Love Story (1995)

Lloyd Cole s’est planté en 1993 avec Bad Vibes, plombé par une prétention technologique qui ne lui ressemble pas. Le retour à la simplicité est la seule alternative. La présence de Neil Clark (ex-Commotions) à la pedal steel, renvoie une fraîcheur digne de Rattlesnakes. Pourtant, les rapports sont tendus avec sa maison de disque Polygram, échaudée par le plantage de Bad Vibes, et qui doute des capacités de Lloyd Cole à sortir un album digne de son passé. L’artiste le clame haut et fort à l’époque : Love Story sera son John Wesley Harding. Comme Dylan, il souhaite se réinventer avec un retour à une folk acoustique. Pari tenu et réussi. Lloyd Cole est le plus précieux quand il se dépouille de l’accessoire. Love Story est maîtrisé de bout en bout. Mais ce sera le dernier disque de Lloyd Cole avec une major. Polydor abandonnera l’artiste pendant l’enregistrement de Smile If You Want To, le successeur de Love Story, plus tard exhumé dans le coffret Lloyd Cole In New York.

DE L’USAGE DU CONTRE-EMPLOI

Plastic Wood (2001)

Pendant cinq ans, Lloyd Cole a envie de jeter l’éponge. Il revient avec un surprenant disque instrumental et électronique en 2001 signé chez One Little Indian, Plastic Wood. Rien de surprenant quand on connaît la passion de Lloyd Cole pour Kraftwerk, Brian Eno ou Tangerine Dream. L’usage discret, durant les dernières sessions des Commotions, du synthétiseur Prophet VS et son fameux pré-réglage nommé Fripp/Eno, avait aussi laissé un indice. Cole se passionne pour la musique générative et accumule les machines. Il lit Electronic Music: Systems, Techniques, and Controls du compositeur Allen Strange. Épuisé par la pop et par ses échecs passés, Lloyd Cole ne souhaite plus utiliser sa voix ou une guitare. Plastic Wood en déroutera plus d’un avec ses articulations squelettiques qui évoquent Aphex Twin ou encore le Cluster de Sowieso (1976). Il collabore avec Hans-Joachim Roedelius pour Selected Studies Vol. 1, paru la même année. Même si ces disques restent mineurs dans la discographie de Lloyd Cole, on ne les résumera pas à des curiosités. Select Studies Volume 1, par exemple, recèle quelques trésors de deux érudits.

ÊTRE SOI

Music in a Foreign Language (2003)

C’est le chef-d’œuvre de sa carrière solo, un des préférés de Lloyd Cole lui-même, avec cette belle écriture sans pathos qui suit une idée directrice, une folk à l’os qui laisse de côté les productions grandiloquentes ou l’étonnant retour électro pratiqué avec Plastic Wood. Lloyd Cole s’est débarrassé des envies de collectif qui polluaient parfois ses disques passés. Music in a Foreign Language est un disque de l’intime, d’un homme revenu à l’essentiel, épaulé discrètement par Dave Derby des Negatives et son compagnon au sein des Commotions, Neil Clark. Sa reprise du People Ain’t No Good de Nick Cave & The Bad Seeds est le plus bel exemple d’une réappropriation réussie.

Lloyd Cole n’est jamais meilleur que quand il se débarrasse du poids trop lourd de Rattlesnakes, ce disque inaugural et parfait qui le suit comme la lame d’un couteau à double tranchant, comme une malédiction. Comment se réinventer quand on a écrit l’un des meilleurs disques des années 1980 ? Sans doute en acceptant de se confronter à soi, en laissant de côté des velléités accessoires. Ce qui rend Love Story et Music in a Foreign Language si attachants, c’est qu’ils se révèlent comme des disques simples, instantanés qui mettent en valeur l’une des plus belles écritures de la pop moderne. 

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