The Limiñanas par Julien Bourgeois, Paris, décembre 2017

Le cinquième album de The Limiñanas s’inscrit dans la lignée du son rock et des boucles rythmiques qui ont permis au duo de se placer sur la carte des groupes qui comptent en France. Centré autour de leurs souvenirs des années lycée et des drôles de personnage que Lionel et Marie Limiñana cotoyaient alors, Shadow People doit beaucoup à Anton Newcombe, qui a produit le disque à Berlin.

 

Quel est le propos de Shadow People ? Qui sont ces “gens de l’ombre” ?

Notre premier album avait un peu été fait de bric et de broc (Je ne suis pas Très Drogue, 2010), mais pour des tas de raisons différentes, je pense qu’il y a plus d’unité à partir du second (Crystal Anis, 2012) parce que nous avons pris l’habitude de scénariser nos disques. Celui-ci est blindé de références assez “perso”. Ici, c’est l’histoire d’un môme qui arrive dans un lycée des années 1980-90 et qui trouve sa place en se mélangeant dans les bandes qui circulent : les skins, les punks, les métalleux. Ce type de bandes a plus ou moins disparu, mais elles étaient visibles à cette époque à Perpignan. Des tas de mecs roulaient en scoot jusqu’en Angleterre pour alimenter tout le monde en pompes, notamment. Moi j’avais 12 ans quand mon frangin et ses potes m’ont ramené ma première paire de Creepers, que j’ai failli me faire braquer un million de fois d’ailleurs. Ce disque n’est réellement lisible et compréhensible que par nous et des gens de notre entourage. On écrit bien entendu pour le public mais notre façon de composer, d’enregistrer des disques, qui est un peu “cocooning”, a débouché sur ça. On a réfléchi le disque comme une BO de film avec une intro et une conclusion instrumentales. Pink Flamingos, que j’ai composé avec un de mes meilleurs potes de lycée, Guillaume, est une référence à un des groupes dans lesquels on jouait. “Marie” de Motorizatti Marie était la seule à avoir le permis. Elle avait une 2-chevaux dans laquelle on montait à huit ou neuf pour se trimballer aux répétitions, soirées, concerts… C’est blindé de références de ce type-là.

C’est votre disque le plus biographique ?

Ce n’est pas forcément biographique. On avait juste envie d’avoir une photographie de cette période-là. Ce n’est même pas nostalgique. Parce qu’il est aussi assez triste, plus dur et plus noir que les autres albums. C’était aussi une période d’adolescence ou de post-adolescence, une période assez glauque, où tu passes par plusieurs états.

Avez-vous réussi à identifier les raisons qui vous ont conduit à bâtir un album sur ces souvenirs ?

Non, parce que ce n’est pas quelque chose qu’on réfléchit à l’avance, en se disant : “On va faire un concept album”. Cela se produit au fur et à mesure du montage du disque. Quand on a expliqué ça à Anton Newcombe (NDLR, fondateur de The Brian Jonestown Massacre, qui a produit le disque dans son studio à Berlin), il était sur le cul.

Comment en est-il venu à produire Shadow People ?

Anton nous a invité à faire la première partie de The Brian Jonestown Massacre au Trianon (le 27 juin 2016) et à partir de là, il n’a fait que nous aider. C’est un mec d’un altruisme fou. Il nous a présenté à son tourneur, ce qui a tout changé pour nous. Il nous a créé un connexion avec le magazine Mojo en Angleterre, ce qui nous a ensuite mené jusqu’à un tribute à l’album Something Else des Kinks. On a repris un morceau qui s’appelle Two Sisters. Nous avons enregistré l’instrumental. On ne savait pas qui faire chanter dessus. C’était enfin l’occasion de faire quelque chose avec Anton. On était ébahis d’avoir sa voix sur notre musique mais il nous a dit : “La prochaine fois, on joue dans la même pièce. La correspondance, ça me gonfle”. Pour Shadow People, on savait où on allait, on a fait les rythmiques dans notre garage. Mais Anton a eu un break dans son planning fin 2016, nous aussi, et on s’est envolé à Berlin avec les bandes. Son ingénieur du son Andrea Wright a commencé à faire refaire les batteries de Marie. Anton était là, il écoutait et il faisait avancer les arrangements. Lui-même joue sur tous les morceaux. Il y avait zéro problème d’égo, on s’est entendu tout de suite… On a laissé le disque se faire. On n’a absolument rien contre le studio et un travail avec un producteur. C’est juste que l’occasion de s’était jamais présentée et qu’on n’avait pas forcément les moyens de le faire.

Quelle différence entre enregistrer à Berlin et à Cabestany ?

On n’a pas vu la ville ! Aéroport, taxi, studio tous les jours de 10 heure à 2 heure du mat’. Je pense que ça n’a pas aidé à égayer le disque. Il avait déjà une patte plus dure mais le finir à Berlin avec Anton a fini de lui donner cette couleur. Mais je suis incapable de vous dire dans quel quartier nous étions dans la ville.

Dans notre numéro 207, pour notre dossier “français langue pop”, on demande  à des tas d’artistes comment ils choisissent la langue dans laquelle ils écrivent, français ou anglais. C’est le moment d’apporter votre contribution…

J’ai du mal à répondre car on travaille d’abord sur la musique en général. Le français c’est très fragile, la frontière avec le ridicule ou le naze est très mince. On fait super gaffe à ça et on travaille beaucoup sur les textes en français. Il y a quelque chose de très prétentieux dans l’idée de s’attaquer à une pop en français après Dutronc et Gainsbourg. Quand on a vraiment envie de raconter une histoire cinématographique, c’est plutôt le français qui est choisi. Je n’ai pas le niveau d’anglais suffisant pour raconter une histoire. Mais jamais rien n’est prémédité dans ce groupe, tout se fait toujours au fur et à mesure et le choix de la langue obéit aussi à cette logique. Shadow People s’est fait comme ça.

Entretien : Cédric Rouquette
Photo : Julien Bourgeois

Un autre long format ?