The Ascension
Sufjan Stevens
Asthmatic Kitty Records

The Ascension, la grande fuite en avant de Sufjan Stevens

Le huitième album de Sufjan Stevens, "The Ascension", paraît ce vendredi. Tout en s'inscrivant dans la continuité de "The Age of Adz", il va plus loin dans la démesure et nous invite, désabusé, à surmonter l'époque et ses travers.

The Ascension aura, avec le recul, le même statut que l’année 2020 au sein de la discographie de Sufjan Stevens. Un moment de rupture saturé d’intranquilité. Cet album de “pop luxuriant et éditorial”, selon ses propres mots, prend la forme “d’accusation d’un monde qui s’écroule autour de nous – et une carte pour s’en échapper”. Le résultat ? Quinze titres inégaux toujours frappés de ce sceau sufjanesque si particulier, entre fresques électroniques XXL (Make Me An Offer I Cannot Refuse), pop songs éthérées (Run Away With Me, Lamentations) et passionnants bidouillages de studios sous discrète influence du Autechre des années 1990 ou de Caribou. Ils procèdent d’un double mouvement : se rapprocher de l’époque, en adoptant certains de ses codes – clips chorégraphiés à gros budget, un certain standard de production lisse des musiques électroniques pop – et s’en éloigner. La fuir. Par le haut. 

Au milieu de tout ça, Video Game, “tube” synth pop assez court en bouche, donne à cet album des airs un peu méta et peut-être, aussi, un peu mytho. Autrement, pourquoi déclarer lors de la sortie du single que “c’est regrettable de vivre dans une société où la valeur des gens est quantifiée par des likes, des followers, des auditeurs et des vues” et inviter dans ce même clip Jalaiah Harmon, l’ado de 15 ans qui a créé la danse Renegade, phénomène sur Tik Tok et Fortnite, si ce n’est pour aussi s’assurer likes, followers, auditeurs et vues.

Et si, au long de ces 80 minutes, Sufjan n’évite ni la redite, ni l’emphase embarrassante (Tell Me You Love Me), ni quelques banalités (I Wanna Die Happy), il nous rappelle avec brio que le cantonner au statut de songwriter est depuis toujours réducteur. Son deuxième album, Enjoy your Rabbit, paru en 2001, n’était-il pas déjà un bazar de collages glitchés et de sons indus ? Aujourd’hui Sufjan semble se situer à la jonction de ses trois entités : le songwriter qui nous arrache des larmes depuis Michigan (2003), l’élégant compositeur (de The BQE à The Decalogue) et le laborantin de studio radical qui nous bluffa en 2010 avec l’exubérant, schizo et génial The Age of Adz.

Sans pour autant que la magie opère aussi puissamment, on retrouve un peu de tout cela aujourd’hui dans The Ascension, ce grand fatras d’électronique désabusée aussi mégalo que sincère. À 45 ans, Sufjan Stevens conclut son huitième album, le deuxième de l’année, quelques mois après Aporia, sur America, un titre écrit dès 2014 qui mélange les lointaines guitares réverbérées de Carrie & Lowell et l’expérimentation qui lui est chère. Il y scande : “Don’t do to me what you did to America”. Comme pour, au-delà de se réinscrire dans la lignée du fantasmé Fifty States Project, si celui-ci n’a jamais existé au-delà de l’argument promotionnel, nous confirmer le dialogue qu’il entretient constamment avec les États-Unis et les jours que nous vivons. 2020 méritait bien un disque comme The Ascension et cette belle invitation à se surmonter.

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