The Wake – Testament (Best Of)


Un crachin dense inonde les façades victoriennes et la cathédrale Saint-Mungo se dresse, grise, au beau milieu d’un frimas pas possible. Quelques minutes passent et un filet de soleil vient faire briller l’ardoise et les pavés. Nous sommes à Glasgow, au mois d’avril. Une petite silhouette presse le pas, il vient de se libérer de certaines obligations. Avec un groupe fameux pourtant, mais peu importe, Caesar a trouvé sa voix. Bye bye la guitare avec Altered Images, ce sera désormais la musique avec The Wake. Les années 80 démarrent à peine et le vacarme d’une jeunesse se fait entendre. Ça tonne et ça vient de cette mocheté de ville qu’est Manchester. Nouvelle vague. Caesar monte son propre label (Scan 45) et dépense des fonds de poches pas franchement pleines. En 1982, le single On Our Honeymoon voit le jour, merveilleuse petite mélancolie pressée par une ligne de basse métronomique. Une mélodie naît entre deux averses. Parmi le personnel, il y a de futures icônes. Du moins, il y en a une : Bobby Gillespie. La future anguille de Primal Scream occupe les claviers avant de prendre poste à la basse. Une jeune femme au minois farouche et à la peau de lait s’occupera des synthétiseurs cold-wave dorénavant. Elle s’appelle Carolyn Allen.

Rob Gretton écoute tout cela de son bureau mancunien et veut faire de The Wake un maître inégalé dans l’art des singles. Factory Records signe le groupe avec empressement. James Kay se fend d’une pochette épurée et définitive, The Wake sort l’album Harmony (1982). La formation fait des bouts de tournée avec un cousin encombrant, New Order. On apprend pas mal sur la route. Peu de temps passe et tout ce petit monde enregistre une lumineuse Peel Session. C’est là que l’on peut entendre une première fois Here Comes Everybody, ce dub vertigineux et magistral. Bobby Gillespie quitte The Wake, mais peu importe, Caesar sait s’entourer de précieux invités, et pour le faramineux single Talk About The Past édité en 1984, Vini Reilly (The Durutti Column) joue du piano. Mais les ventes, il n’y en a pas. Rien. Tony Wilson, patron de Factory, regarde avec flegme ce désert économique. Plus tard, il s’interrogera vaguement en précisant que ce foutu groupe avait peut-être besoin d’un manager. Bien vu, Tony. The Wake s’acoquine donc sévère avec l’échec et cette terrible désillusion va paradoxalement le mener vers le disque idéal : Here Comes Everybody (1985). Les emmerdes, ça fait parfois son chef-d’œuvre. Demandez à Robert Smith lorsqu’il a accouché de Pornography (1982) avec The Cure s’il voyait la vie en rose ! C’est en somme le type de disque qui sublime tout le merdier notoire qui constitue parfois nos troubles existences. Ouf ! Dans ce classique – renseignez-vous auprès d’une bonne partie de l’écurie Captured Tracks si cette bible mélodique n’est pas un incontournable pour tous musiciens pop –, on retrouve ce qui forge l’identité de The Wake.

Aux suaves hérétiques qui ne connaissent pas ce rubis et ne jurent que par Wild Nothing et autres Craft Spells, on susurre : le dormeur doit se réveiller, hein ! Here Comes Everybody ne s’éteindra jamais et servira de refuge pour plusieurs générations, c’est dit. Melancholy Man et O Pamela, en têtes de gondole, restent des évidences sans la moindre ride. Bien sûr la critique se lessivera dans des comparaisons sans grand intérêt avec New Order. C’est comme ça, on passe souvent à côté de l’évidence. La mystique ne prend pas, Factory dérive et les disques restent dans les cartons. Vague parfum de renfermé. Caesar veut foutre les synthés au feu, tout le monde s’énerve un peu, et la musique va être plus sèche. C’est le temps du single Of The Matter, toujours en 1985. En pleine influence Mark E. Smith (The Fall), The Wake se cherche après avoir enregistré son testament. Ce n’est pas là leur plus grande inspiration. Il faut changer, conjurer le sort. La formation va alors rejoindre un autre label mythique : Sarah Records. La cerise sur le gâteau, les connaisseurs comprendront. Ce seront de belles années et parfois des années de silence. The Wake apportera de jolies chansons pour Sarah avant que celle-ci mette la clef sous la porte. Encore un fantôme. Voilà la beauté de ce Testament. On peut écouter l’ensemble de ces quinze titres comme des témoignages, fragiles et intenses, sur ce qu’a été la musique au début des années 80 et 90. Factory et Sarah campant des personnages mythiques et troublants, muses dévouées pour une formation qui ne l’était pas moins.

Théâtre de toutes les grandeurs et compromissions, The Wake reste ce groupe qui a réussi à serrer contre lui la silhouette émouvante de la mélancolie. On parcourt tous ces morceaux comme si on se baladait dans le vieux cimetière victorien de Glasgow, entre quatre averses, en avril et avec la perfide illusion que le soleil ne tardera pas à pointer son nez. C’est ça The Wake, une certaine promesse. L’attente d’une lumière. Caesar n’a jamais quitté cette espérance, et il n’y a qu’à le voir frapper les accords sur Talk About The Past pour s’en convaincre. Testament porte sur ce qui s’est passé, refoutant au goût du jour les regrets et les désillusions avec deux grands labels suicidés. C’est magnifique et pas mortuaire pour un sou. C’est le plaisir d’emprunter le chemin du souvenir qui importe, un peu comme le plaisir jubilatoire que prenait Proust à faire ressusciter les défunts. Oraison sous l’averse, aussitôt trempée par le soleil. Testament clôt un large chapitre, forcément le plus tumultueux et imposant, mais The Wake est tout de même encore bien là. Il faut écouter A Light Far Out, ce joli titre à rallonge qui travaille toujours au corps la nostalgie. Présence actuelle d’un groupe qui n’était qu’un spectre durant sa jeunesse, c’est là le moindre des paradoxes. À l’époque de leur hype, les mecs de The Drums mettaient en avant cette principale source d’inspiration. On se souvient également de discussions autour de Joy Division et New Order où l’on se permettait ce snobisme, celui de se référer à un groupe qui leur était contemporain et que personne ne connaissait. The Wake. Espérons aujourd’hui mettre ce snobisme six pieds sous terre, et que tout le monde connaîtra The Wake sur le bout des doigts.

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