De La Fossette à Remué, des Mariages Chinois à L’Homme à Trois Mains Et Les Créatures, Dominique A et Philippe Katerine se sont en sept ans frayé leur propre chemin dans le vaste domaine dit de la chanson française. L’un avec sa voix androgyne et sa colère rentrée, l’autre avec ses micro-chansons et son caractère imprévisible. En livrant cette année des albums difficiles sinon suicidaires, les deux anciens chanteurs des Linda ont choisi de faire marche arrière et préféré “prendre la porte de Clichy à celle de Saint-Cloud”. Par peur du succès qu’ils avaient enfin tutoyé et de la notoriété qui briserait leur anonymat. Retour complice à Nantes, ville où ils ont enregistré leurs premiers disques, sur deux carrières aux trajectoires parallèles.

ARTICLE Franck Vergeade
PARUTION magic n°34Drôle d’endroit pour une rencontre ? Bien sûr que non. Mais tellement évident qu’aucun journal ne les a réunis in situ depuis leurs débuts fracassants en 1992, l’année déjà si lointaine de La Fossette et des Mariages Chinois. Nantes, son château des ducs de Bretagne, ses Canaris et… son quai de la fosse, que les Nantais ont prosaïquement rebaptisé le… “quai de la fesse”, rapport aux prostituées qui peuplent les nombreux bars de nuit à cet endroit. C’est dans cette ville à la douceur océane, située au fond de l’estuaire de la Loire et sixième au dernier hit-parade du recensement de l’Insee, que Dominique Ané et Philippe Blanchard – nés tous deux l’année des pavés, à deux mois d’intervalle (“Tu me dois le respect !”, s’exclame Dominique), l’un en Seine-et-Marne, l’autre en Vendée – ont passé leur diplôme de l’École des Beaux-Arts. Avant de devenir objecteur de conscience. Ce n’est pourtant pas là qu’ils se sont rencontrés.

“La toute première fois, c’était à Pouzauges, en Vendée”, se souvient Philippe Katerine. “Dominique jouait en solo avec son synthétiseur. C’est mon beau-frère qui organisait le concert et moi, j’étais au bar à servir les bières. J’avais tellement été épaté par le concert que j’avais voulu rencontrer l’individu. De toute façon, je n’avais pas le choix, il était tout le temps au bar (Rires.)”. “C’était en janvier 1991, un mois avant que Le Disque Sourd ne sorte”, précise Dominique A. “Enfin, sortir est un bien grand mot puisque les cent cinquante 33 tours ont été distribués sous le manteau. On sentait un embryon d’intérêt autour de nous deux. Ce soir-là, Philippe m’avait proposé de chanter sur son chef-d’œuvre, Petite Ville De Campagne, qui, comme chacun sait, reste sa meilleure chanson. (Rires.) J’avais fait une prise voix, qu’il n’a finalement pas conservé pour Les Mariages Chinois”. De là, naîtront une belle amitié et un fameux groupe, Les Linda. Les quelques détenteurs de la cassette-compilation Heol Daou savent de quoi il en retournait. Deux chanteurs débutants qui duettisent naïvement sur Le Vent Nous Porte Où Il Veut et Sur Les Routes De France. Depuis, les deux hommes n’ont jamais rechanté ensemble. “Peut-être qu’un jour viendra”, se risquent-ils alors en chœur.

Au rayon “documents”, on peut ajouter deux autres incunables. “Oh mon Dieu ! Un des trente exemplaires de Boulba, s’étrangle Dominique. “Cela dit, tu aurais pu sortir pire, comme le 45 tours Éphémérides. Enfin… Depuis cette cassette-là, qui date d’octobre 90, j’ai l’impression qu’il n’y a pas eu vraiment de rupture. D’ailleurs, Vivement Dimanche, Trombes D’Eau et L’Un Dans L’Autre figurent sur La Fossette, et je les revendique toujours. Quant à Every Day’s Not Like Sunday ou Le Marin De Gilbratar, qui sont des chansons plus saturées, elles ne dépareilleraient pas sur le dernier album. Cette cassette a vraiment tout déclenché”. En un mot, il résumerait son parcours d’“idéal”. Au tour de Philippe. “Fais voir les chansons qu’il y avait sur ce flexi, Les Leçons Particulières. (Il commence à chanter.) ‘Une leçon d’anatomie…’ Par rapport à cette période, c’est une lente évolution. J’y vois moins une continuité. Je dirais simplement que ce que je fais aujourd’hui est mieux qu’hier”. En un mot, lui résumerait son parcours de “boulimique”. Au Carrefour Des Explications, comme chanterait le Nantais Yann Savel. L’interview peut commencer.Quand vous avez éclos à l’hiver 92, vous avez été immédiatement étiquetés “chanteurs provinciaux et nantais”. Pourtant, ni l’un ni l’autre n’est né à Nantes…

Dominique : La province, j’en étais tellement été imprégné que j’aurais bien voulu m’en dégager un petit peu. Mais c’était impossible. On était tellement deux ploucs à la base, aussi benêt l’un que l’autre, qu’on ne pouvait pas venir de Paris. Nantes, c’était un point de chute comme un autre. Mais j’aime bien être considéré comme Nantais, de m’être créé une origine ici. En revanche, je ne me sens pas du tout attaché à cette ville. Ce sont plutôt des liens amicaux qui me relient à Nantes aujourd’hui.

Philippe : Moi, je suis Vendéen, et j’y tiens beaucoup. Ici, je n’ai aucune attache. D’ailleurs, ce n’est pas une ville qui me fascine outre mesure. Je m’y sens bien parce que j’y ai des amis. Moi, je suis plutôt attiré par la mer. D’être à soixante ou soixante-dix kilomètres de la mer me rassure. En Vendée, c’était pareil. J’habitais à Chantonnay, à peu près à la même distance du bord de mer. Avec la possibilité d’être sur le sable dès que possible. C’est pour cette raison qu’à Paris, je ne suis pas bien.

D. : Pourtant, c’est bien toi qui as parlé de la forme d’une ville ? (Rires.) Moi, j’aime bien du côté de la cathédrale Saint-Pierre, de la rue du Maréchal Joffre et des bords de l’Erdre. Par contre, je n’aime pas du tout la lumière de Nantes, surtout en été. C’est une lumière blanche, très agressive, ça manque terriblement d’ombre ici. De toute façon, en dessous de la Loire, il n’y a plus personne. Je me sens plutôt du Nord. Pour moi, Nantes c’est l’extrême point méridional au-delà duquel je peux imaginer vivre. Ici, pour moi, c’est la Côte d’Azur de la France, très exactement situé entre Monaco et Vintimille. (Rires.)

P. : C’est aussi très éclaté, avec plein de quartiers. Les gens se retrouvent selon leurs affinités. En tout cas, il y a une colonie vendéenne assez impressionnante. On dit d’ailleurs que Nantes est la capitale de la Vendée.

Nantes, c’est aussi à quelques kilomètres de Vertou, la commune où se trouve le Garage Hermétique, le studio dans lequel vous avez chacun débuté.

D. : J’ai une anecdote à propos de ce studio. Tout le monde connaît Nicolas et Pimprenelle, de Bonne Nuit Les Petits. Eh bien, le propriétaire du Garage, c’est Nicolas. Sa tante était productrice de l’émission, et elle a baptisé le personnage de Nicolas suite à la naissance de son neveu. Mis à part ça, c’est là-bas que j’ai mixé La Fossette.

P. : Et moi, j’y ai mixé Les Mariages Chinois et enregistré L’Éducation Anglaise. Pour “l’école bébête”, c’est quand même pas mal d’avoir été enregistré par Nicolas de Bonne Nuit Les Petits.

D. : Tout ça pour te dire l’influence néfaste qu’a eu cet individu, Nicolas Moreau, sur nos musiques respectives. (Rires.)

P. : En fait, “l’école bébête” a été une appellation qui n’a même pas dépassé les limites de la rédaction de Libération.

D. : J’en ai quand même entendu parler plusieurs fois. Et l’on m’en parle encore aujourd’hui.

P. : Ah bon ?

D. : Il suffit de réécouter les disques pour se faire une petite idée de l’histoire. Effectivement, quand tu entends chanter de cette façon-là deux grands benêts de vingt-trois ans, il y a quand même des appellations qui peuvent sembler légitimes. Mais, à l’époque, je ne comprenais pas du tout pourquoi Bayon disait ça.

P. : C’est vrai qu’avec du recul, je comprends mieux. Mais j’aurais préféré un adjectif différent, comme “idiot”.

D. : C’est vrai que “bébête” est très dévalorisant. On peut difficilement imaginer pire. Mais, à partir de là, on avait peut-être réussi notre coup. Plus qu’à être valorisé, on cherchait à être conforté dans nos complexes et nos inhibitions. Donc, merci Bayon !

 

Fuite en arrière

En publiant ces deux albums, vous aviez quand même conscience de déclencher quelque chose en France ?

Oh oui ! Une pléiade de cassettes mal enregistrées… Mais c’est le vieux principe des musiques rock. C’est-à-dire des gens qui se ramènent en disant : “Voilà ce que je fais et tout le monde peut en faire autant”. Ce n’est pas très neuf. C’est juste la forme qui varie. Je dirais que c’est l’esprit du punk, mais… “bébête”. (Rires.) Nous, on n’a jamais dit qu’on faisait de la chanson minimaliste. Moi, j’étais persuadé de faire du rock pur et dur, dans l’esprit de celui que j’aimais. Encore aujourd’hui, je suis persuadé de faire des disques rock. Parce que le rock est avant tout une musique qui est censée provoquer une réaction très forte. Du rejet ou de l’adhésion. Pour moi, c’est une répétition de l’histoire, avec une forme différente. En sachant aussi la portée limitée que cela a eu. On parle quand même d’un pays qui a cinq côtés, pas d’autre chose.

P. : Moi, je dirais que c’est l’histoire de l’arrivée de l’électricité pour les guitares. Dans notre cas, ça correspond à l’arrivée du quatre-pistes. Une véritable aubaine ! Dès lors, on a pu envisager de faire un disque avec cinq mille francs, dans sa chambre et sans batteur, sans techniciens, sans les aléas auxquels on est aujourd’hui confrontés et qu’on ne supporte pas quand on est complexé et rougissant, comme je l’étais à l’époque. Après nous, le quatre-pistes s’est démocratisé. Les gens se sont dits : “Puisque eux l’ont fait, on peut en faire autant”.

D. : Et puis non.

P. : Et puis non, merde ! (Rires.)

Justement, après ces premiers albums, vous avez suivi des trajectoires parallèles. L’un dans la chanson et l’autre dans l’easy listening.

D. : Au-delà des différences de forme, on a effectivement un parcours similaire. On se suit vraiment de très très près. D’ailleurs, tu fais écouter nos disques à un mec de quarante ans qui n’aime pas ce genre de musique, il va y trouver de gros points communs : “Voilà, c’est deux tapettes qui ne savent pas chanter”. De toute façon, sur la manière de faire, on est les mêmes. Au début, on était deux fans de rock new wave qui enregistraient seuls sur un quatre-pistes. On sort un album zombie et nombriliste. On découvre le début de la notoriété. Avec le deuxième album, on veut dépasser ça, mais sans se trahir. Résultat ? On se retrouve le cul entre deux chaises. Troisième disque, on y va : on veut que les gens nous écoutent, on met beaucoup d’énergie, on ne refuse plus et l’on s’expose. On ne fait plus “un pas en avant, deux pas en arrière”.

Et ça marche : cent mille exemplaires pour La Mémoire Neuve, cinquante mille pour Mes Mauvaises Fréquentations

D. : Quatrième album, boum patatras ! On remet les pendules à zéro et l’on fait les zouaves. On joue avec notre semblant de notoriété. Finalement, on s’est retrouvé face aux mêmes contradictions à peu près en même temps. Même si on a des façons de réagir et des envies musicales différentes, j’ai toujours été surpris de voir à quel point on était en parallèle.Mais pourquoi cette même volonté de faire marche arrière ?

D. : Je dirais plutôt fuite en avant. Et même en arrière. (Rires.)

P. : Moi, en enregistrant tout seul L’Homme À Trois Mains, j’ai l’impression de refaire mon premier disque.

D. : En plus mauvais. (Rires.)

P. : Non, je dirais plutôt le contraire.

D. : Et comme tu ne savais pas comment le refaire plus mauvais, tu l’as fait plus long. (Rires.)

En tout cas, vous avez chacun voulu fuir le succès, surtout toi Dominique.

D. : Je ne suis pas d’accord. J’ai simplement essayé de faire en sorte que Remué soit le plus accessible possible par rapport à mes envies musicales. Quelle que soit la noirceur du propos, la forme doit rester attrayante. Et quand des gens viennent me complimenter pour mon dernier disque, je le prends au premier degré. Je n’ai pas de mépris par rapport aux acheteurs de mes disques. Simplement, quand tu fais ce métier-là, il y a une quête d’affection voire d’amour, pour employer des grands mots. Or, je ne tiens pas à ce que cet amour-là soit bradé. Mais il n’y a pas cette volonté de tout casser, à tout prix. À la sortie de Remué, j’ai peut-être eu le tort de trop mettre les points sur les i. Mais je ne perçois pas la radicalité aussi fortement que les gens la perçoivent. Je ne sais pas pourquoi j’en parle si longtemps. ça doit vraiment me tracasser.

P. : C’est marrant, parce que je ne perçois pas du tout cette fermeture. D’ailleurs, je me retrouve davantage dans Remué que dans La Mémoire Neuve. J’ai au contraire l’impression d’une ouverture.

D. : Je vais donc être moins méchant que je ne le pensais. (Rires.)

P. : Avec Les Créatures Et L’Homme À Trois Mains, je n’ai pas voulu provoquer de rejet. ça s’est fait naturellement. J’ai voulu m’amuser avec ce que j’avais écrit, et le mettre en forme musicalement d’une manière cohérente. On veut toujours enregistrer le disque de ses rêves. Je voulais en tout cas m’en donner les moyens.

L’intention, c’était de se mettre à nu comme sur la pochette ?

P. : C’était de laisser aller une sensualité.

D. : Tu appelles ça de la sensualité ?! (Rires.)

P. : C’était de laisser parler mon corps, quoi. Ce qui s’approche d’une éjaculation. (Rires.) C’est un acte assez bref, en général.

Mais pourquoi un double album ?

D. : Pour que l’acte soit un peu plus long. (Rires.)

P. : Parce que j’en avais plein les testicules. (Rires.) J’étais chargé à bloc, comme on dit. ça se situe vraiment à ce niveau-là. J’ai toujours eu ce côté nombriliste. Faire chanter les filles, c’est aussi une façon de se regarder. C’est même pire, parce que c’est un miroir flatteur. Alors que là, c’est un miroir posé devant moi, mais en pleine lumière. Sans prétexte, sans chanteuses, sans maquillage. Histoire de me retrouver dans la solitude dans laquelle j’étais à ce moment-là, et qui me convenait d’ailleurs.

D. : Quand il y a un don dans les chansons qui est aussi fort, on est loin du nombrilisme à l’anglaise. C’est même le contraire. ça relève du don de soi.

P. : En donnant quelque chose d’aussi important pour moi, j’espère attirer le public le plus nombreux possible.

 

Lèche-cul

À la terrasse du café Les Mathurins, situé du bon côté du quai de la fosse, la bière coule à flot. “Il faut nous suivre, hein !”, lance Dominique A à notre photographe au moment de commander un cinquième demi. Après la Gold – “Pour être plus près des étoiles”, plaisante-t-il –, la Carlsbrau fait l’unanimité autour de la table. “Et toi, tu n’as plus rien à dire ?”, demande-t-il à Philippe. “Je bois, mais je suis un peu sec. (Rires.)”.  En une phrase, Katerine a parfaitement résumé cette première heure et demie d’entretien. Aussi sérieux et réservé que Dominique est blagueur et bavard – quand celui-ci ne monopolise pas tout simplement la parole, “par goût pour les interviews”. Pourtant, quelques minutes plus tard, devant l’objectif, les rôles seront complètement inversés. Côté sud Loire, sur le site en friche des anciens chantiers Dubigeon, fermés depuis 1987, c’est Philippe qui incite Dominique à se décontracter, à se laisser aller. Entre deux poses, les crises de fou de rire témoignent de la réelle complicité qui unit les deux hommes. “On a des similitudes tellement incroyables que j’ai toujours trouvé ça assez troublant”, confesse Dominique. “Par exemple, pour la pochette de Remué, j’avais également pensé poser à poil. J’avais même soumis l’idée à Lithium. Mais l’envie m’est passée. Je m’expose beaucoup moins que Philippe. Lui, c’est quelqu’un qui n’a pas d’amour-propre. D’ailleurs, regarde, il ne se défend même pas. (Rires.)”. “Non, mais j’ai subi des humiliations”, répond sobrement Philippe. “Bon, je vais reprendre une bière”.

Si vous aviez un seul album à retenir de l’autre, lequel choisiriez-vous ?

D. : Sans hésiter, l’un des deux derniers. Musicalement, ce serait Les Créatures, pour sa générosité, ses tentatives et son adéquation avec ce qu’il raconte. Il y a des textes qui me touchent vachement, comme “j’ai trente ans et je suis un enfant”. Sur le propos lui-même, je préfère peut-être L’Homme À Trois Mains, parce qu’il est beaucoup plus exposé. On sent quelqu’un qui va au-devant des problèmes. C’est quand même pas évident de chanter ça, par rapport à ta famille, à tes amis. Tu ne le reconnais pas le petit Philippe. Et moi, je dis : “Bravo, monsieur Katerine !” Pour ma part, je n’aurais pas osé. Il faut vraiment avoir du courage.

P. : Je vais paraître lèche-cul, moi aussi. Pourtant, je n’ai pas reçu de coup de fil de Lithium ce matin. (Rires.) Mais, incontestablement, je préfère Remué. Et de loin. Parce qu’il y a à la fois un classicisme dans l’écriture et des libertés musicales. Et ce point d’intersection entre ces deux pôles m’emballe vraiment.

À l’inverse, que n’aimez-vous pas l’un chez l’autre ?

D. : Il y a un arrangement de cuivre sur Je Vous Emmerde qui me fait penser à Eddy Mitchell. (Rires.) En même temps, c’est pas mal. Non, ce que j’aime moins chez Philippe, ce sont des chansons comme Jean-François (ndlr : sur L’Éducation Anglaise), ce côté bal des débutants de “l’école bébête”. Ce n’est pas ce que je connais de lui, ni ce que j’ai vu de lui sur scène. ça me fait chier, quoi.

P. : C’est une question à laquelle je n’ai jamais pensé. Éventuellement, ce serait, parfois…

D. : Mais, vas-y, lâche-toi.

P. : Je trouve, sur certaines anciennes chansons, une petite complaisance mélodique et harmonique. Par exemple, des atmosphères qui ne se régénèrent pas, par un changement d’accord ou une évolution harmonique.

D. : Ce qu’on a appelé le minimalisme.

P. : C’est un peu ça, oui.

Justement, comment vous situez-vous dans ce que les médias ont appelé “la nouvelle vague française” ?

D. : Comme des papes.

P. : Ou des pères.

D. : Tout le monde parle de “nouvelle chanson française”, mais j’aimerais bien connaître les noms. Ce n’est quand même pas le tsunami. Peut-être a-t-on eu la chance d’être les plus vieux pour arriver les premiers. Il reste cette appellation non contrôlée qui a pu aider certaines personnes. Mais, ces chanteurs-là, comme Miossec ou Mathieu Boogaerts, auraient fait leur disque sans nous et vice-versa. Ils n’avaient pas besoin d’un Blanchard ou d’un Ané pour y arriver. D’ailleurs, je nous vois comme les nouveaux Thiéfaine, en marge de la musique dominante.

 

Incognito

Vous avez aussi en commun d’écrire pour d’autres. Que retirez-vous de ces diverses expériences ?

D. : ça m’apporte de ne travailler que la musique. C’est l’idée de se mettre au service d’une voix, de celle de Françoise en l’occurrence, mais il faut que ce soit quelqu’un que je connaisse vachement bien. Je ne peux pas imaginer faire ça pour X ou Y. J’ai aussi composé la musique du prochain film d’Antoine Desrosières, Banqueroute.

P. : Au départ, ça a commencé par un coup de fil du Japon : c’était une chanteuse, Kahimi Karie, qui me demandait une chanson. D’ailleurs, j’aurais bien aimé que cela devienne mon activité principale. ça permet de rencontrer d’autres musiciens, d’aller dans d’autres studios. De toute manière, je ne me suis jamais senti chanteur. Je préfère me glisser dans la peau d’un personnage.

Tu viens également d’enregistrer un album avec Anna Karina, dont tu prépares actuellement le spectacle. Était-ce un rêve de gosse ?

P. : Bien sûr, c’est mon actrice fétiche. Mais je n’y avais jamais pensé. J’ai d’abord cru à une plaisanterie. Pour moi, Anna Karina, c’est le pendant féminin de Jean-Pierre Léaud. Ses films ont déclenché mon envie d’écrire des chansons. Plus que des groupes ou des disques en particulier. Je me suis donc attelé à la tâche de manière un peu inconsciente, dans une espèce d’euphorie, qui dure toujours d’ailleurs. (Rires.)

Et Les Sœurs Winchester, c’était juste un coup ?

D. : Bien vu. (Rires.)

P. : C’était pour moi une nouvelle façon de travailler, en enregistrant live, avec des musiciens de jazz. Mais ce n’était pas juste un coup, c’était deux. (Rires.) Quand je l’ai fait, j’avais à l’esprit un film des années 60, Les Petites Marguerites de Véra Stilova.

D. : Ouais, tu t’en sors avec des références. Un nom de l’Europe de l’Est et le tour est joué. (Rires.)

Toi, Dominique, tu vas repartir en tournée avec ta nouvelle formation.

D. : Oui, avec Olivier Mellano de Miossec, le bassiste d’Emma et Sacha Toorop à la batterie. C’est presque un complément de tournée. On aurait pu s’arrêter avant, mais c’est l’histoire d’en remettre une couche. Parce qu’on tient une formule qui nous plaît vraiment, qui joue tout autant sur la musique que sur les lumières. Histoire de rompre avec le côté amateur et débridé d’avant. L’idée, c’est de “chauffer dans la noirceur”, comme ils disent au Québec.

C’est aussi l’occasion de pousser davantage ta voix. Par rapport à Philippe, tu es beaucoup plus chanteur que lui.

D. : Ah bah ! j’espère bien. (Rires.) Mes capacités vocales sont incomparablement plus grandes que les siennes, mais somme toute modestes. (Rires.) Il suffit d’écouter les cassettes des concerts. C’est souvent inécoutable. Je peux donner de la voix, mais je ne suis jamais très juste. Philippe a moins de coffre, mais chante plus juste.

P. : Chacun son truc. (Rires.) Les concerts, c’est plutôt accessoire pour moi. Pour l’instant, je n’en ai aucune envie. Mais je serai bientôt mis devant le fait accompli.

Comment envisagez-vous les prochaines années ? Du moins jusqu’au 8 décembre 2008 pour toi Philippe, date de ta mort programmée.

P. : Qu’est-ce que je peux écrire comme connerie ! (Rires.) Et, en plus, les enregistrer. Moi, je me vois continuer à écrire. Parce que je n’ai jamais écrit autant qu’aujourd’hui. ça en devient même obsessionnel, sans quoi je ne peux pas vivre. D’ailleurs, quand je n’arrive pas à traduire une idée de chanson, j’en deviens malade physiquement. Ce qui n’était pas le cas auparavant. En revanche, je veux pouvoir continuer à prendre le métro incognito.

Un autre long format ?