Avec trois fantastiques maxis réalisés en 1997, plus tard regroupés sur The Three Ep’s, THE BETA BAND parvenait à conjuguer, à l’aise, les termes “arty”, réussi, lo fi, au futur de l’indicatif. Éclectisme, liberté de ton et d’esprit : ces quatre Anglais faisaient preuve de grande classe. Une image que viendra écorner un premier album éponyme en forme de ratage autoproclamé. Aujourd’hui, l’histoire donne raison à ces doux dingues car Hot Shots II s’avère être un album à leur (dé)mesure.

ARTICLE Estelle Chardac
PARUTION magic n°53À première vue, on pourrait croire que rien n’a changé du côté de The Beta Band. Un indice : qui d’autres aurait pu avoir l’idée saugrenue de baptiser son album Hot Shots II, clin d’œil à l’inénarrable parodie potache de Rambo sortie en 1993 ? Quand on connaît l’humour décalé qui fait la saveur des textes de ces Londoniens et leur affection pour les travestissements – leur hilarante panoplie de Mexicains de bandes dessinées circa Los Amigos Del Beta Bandidos –, l’identité “betabandesque” semble intacte. Et pourtant, la bande des quatre a bien changé depuis ses débuts discographiques en 1997.

Normal, après tout, pour un groupe qui n’a cessé d’élargir son cercle de fans, récoltant même les voix d’Arthur Baker ou celle plus improbable de John Cusack, co-scénariste de High Fidelity, (mauvaise) adaptation du roman de chevet de Nick Hornby. Aujourd’hui, cette popularité inattendue les mène même tout droit en première partie de la tournée américaine de Radiohead. Parallèlement, le groupe s’est donné les moyens de son ambition avec ce nouvel album : des singles potentiels en veux-tu en voilà, une production bien carrossée, une volonté affirmée de jouer le jeu de la promotion… Nos allumés auraient-ils rangé leur panoplie de doux punks au placard ? Non, bien évidemment. Ils manifestent juste une volonté croissante de faire valoir leur disque de la meilleure façon qui soit.

 

Musique moderne

Pourtant, au début de l’année 2001, tout ne s’est pas engagé sous les meilleurs auspices. Squares utilisant le même sample – Daydream de Gunter Kallman Choir – que I Monster, duo qui truste le sommet des charts britanniques, le morceau se retrouve de facto privé de sortie au Royaume-Uni. Ce mauvais coup du sort laisse un goût amer dans la bouche de Steve Mason : “Radio 1 a refusé de passer la chanson, et l’on a donc dû se trouver un autre single, Broke en l’occurrence. Au début, on s’est dit :  ‘Qu’ils aillent se faire foutre, on le sort quand même’ Mais on s’est ravisé parce que l’on ne voulait pas que cela desserve l’album. C’est un sale coup, mais il faut bien avancer”. Telle ténacité peut surprendre de la part d’un combo qui, il y a peu, s’effaçait timidement derrière sa musique. Rassurons les esprits choqués : les Beta Band ne se sont pas fait pousser des dents longues, ils ont simplement adapté leur mode de fonctionnement à certaines nécessités. Parce que, selon l’expression consacrée, ils le valent bien.

Nonchalant et nerveux, drôle et sérieux, faussement je-m’en-foutiste et pourtant lumineux, Hot Shots II dégage un sentiment de plénitude, qui balaye d’un vulgaire revers de main le côté bancal de son prédécesseur. Si le groupe a pris des rides, c’est pour ne plus s’éparpiller dans toutes les directions (lo fi, hip hop, rock…) et mieux se recentrer sur son aspect pop. Car une fois n’est pas coutume, seul ce terme colle à ce disque référencé, incroyablement accessible et pourtant sans concession. Tout comme le look de Steve qui rappelle celui de certains rappeurs circa 1990 : bijoux dorés et rutilants, veste Teddy bleue brillante, cheveux rasés parcourus de motifs sibyllins. Attablés dans un pub perdu à l’extérieur de Londres, Mason et son mutique batteur Robin Jones, soit la moitié du Beta Band nouveau, s’expriment avec confiance et bagout, adjectifs qu’on leur aurait mal prêté voilà encore quelques années. “On voudrait changer la face de la musique moderne”. Tout un programme.À la sortie de The Beta Band, vous avez ouvertement critiqué ce disque. Considérez-vous dès lors Hot Shots II comme un véritable premier album ?

S : En fait, c’est surtout la compilation The Three Ep’s que l’on considère comme notre premier album, vu que The Beta Band était effectivement un ratage total. Je crois qu’on pourrait parler de Hot Shots II comme d’un troisième disque… triomphant !

Qu’avez-vous réussi dans celui-ci que vous aviez raté dans le précédent ?

Pendant l’enregistrement de The Beta Band, on avait une idée très vague de ce à quoi l’on voulait qu’il ressemble. Et puis, l’ambiance générale était assez confuse et chaotique. Cette fois, nous avons bien réussi à retranscrire le son que nous avions en tête.

Ton expérience solo en tant que King Biscuit Time s’est-elle révélée profitable pour l’élaboration de Hot Shots II ?

King Biscuit Time m’a certainement redonné confiance, surtout dans ma capacité à écrire de bonnes chansons. Et quand je suis revenu à The Beta Band, je me suis senti à nouveau sûr de mon talent.

Et comment le reste du groupe a-t-il vécu cette escapade ? Elle les a rendus furax ! (Rires.)

R : Cela nous a aussi aidés, je pense, à prendre du recul par rapport à ce nouvel album. On s’est senti déchargé de la pression que Steve avait pu nous mettre sur le dos auparavant.

S : J’avais tendance à vouloir tout contrôler. C’est parce que j’ai toujours écris la majorité des morceaux et que j’ai une idée très précise de la façon dont je veux qu’ils sonnent. Avant, si quelqu’un les percevait autrement, les conflits étaient inévitables… Du coup, l’espace accordé aux autres membres était assez restreint jusqu’ici. Et c’est ce qui a causé l’échec de l’album précédent : je ne laissais personne respirer. Mais là, je me suis senti bien plus tranquille. Et au final, le résultat est meilleur alors que l’intégralité du groupe a participé à toutes les chansons. Cette nouvelle formule est donc la bonne.

On peut dire que Hot Shots II suit une seule ligne directrice alors que le précédent prônait plutôt l’éparpillement…

(À l’unisson.) Tout à fait !

S : C’est à cause du temps que l’on a passé sur les démos.

R : Il n’y a pas eu d’excès de bagage cette fois. Tout morceau a eu droit à son lot d’attention. Suffisamment pour que l’on n’ait pas de regret après coup.

C’est pourquoi avez-vous mis deux ans à le finaliser ?

On a aussi passé beaucoup de temps en tournée, une année environ. Ça nous a tués. En août dernier, après six mois de vacances, nous avons travaillé les démos dans un petit studio. Tous les quatre, libérés de toute pression, sans ingénieur du son : les conditions étaient réunies pour que l’on puisse œuvrer à notre rythme et à notre guise. Ensuite, lors de l’enregistrement, on a pu travailler les titres dont on était sûr et développer les passages qui restaient flous. Rien n’a été laissé au hasard…

Mais vous avez quand même travaillé avec un producteur.

S : Oui, lors de l’étape suivante, on a bénéficié des services de C-Swing, qui s’est occupé de pas mal de projets r’n’b en Angleterre (ndlr : notamment Jamelia et Beverley Knight). Il en avait marre d’être cantonné à un seul genre. Le timing était parfait. (Sourire.)

Pourquoi parfait ? Ce genre de musique vous plaît ?

Le r’n’b, comme le hip hop, a une énorme influence sur The Beta Band. Quant à C-Swing, on l’a choisi parce qu’on voulait qu’il nous aide à canaliser nos envies pour les emmener dans la bonne direction, en poussant le son des basse et batterie, par exemple. Et puis, il travaille sur des disques actuels et la modernité est l’un des aspects qui nous tenait particulièrement à cœur. On ne voulait surtout pas d’un producteur bloqué sur les Beach Boys ou les Beatles. Ces groupes appartiennent au passé, alors que la musique actuelle peut être excitante et novatrice…

Gros bras

Vous êtes toujours enthousiastes au sujet de The Beta Band ?

Oui. Cet album a ravivé notre flamme, en quelque sorte, ainsi que notre passion pour notre musique, et pour la musique en général.

R : Surtout en ce moment, avec tous ces nouveaux rythmes. On vit une période comparable à celle où la jungle est arrivée. Je me souviens de m’être dit à l’époque que c’était la musique dont j’avais toujours rêvé. “Mon dieu, ces beats…” (Rires.) Aujourd’hui, c’est dans le r’n’b que cela se passe.

Justement, le format de certains de vos morceaux est parfois assez grand public. Cette approche était voulue ?

S : Tout à fait. On a visé le format pop parce que nous étions las de ces longs morceaux qui étaient devenus en quelque sorte notre marque de fabrique. Il était temps que l’on s’autocensure.

R : Et puis pop ne doit pas forcément vouloir dire mielleux.

À chansons courtes, titres courts…

S : Quand on faisait les démos, j’essayais de résumer l’idée du morceau en un seul mot. Mais je ne pense pas que l’on ait trop réfléchi aux titres…

Même à celui de l’album ?

Ah si, celui-là, on y a longtemps pensé ! (Rires.) Je me souviens d’avoir rêvé d’une voix qui scandait ces mots en boucle : “Only hot shots in this song”. (ndlr : “Que des gros bras dans cette chanson”). Originellement, je devais écrire un morceau autour de cette phrase Cette expression, “gros bras”, me fait rigoler, surtout quand tu parles de The Beta Band. (Sourire.) Comme c’est une formule très américaine, tu penses tout de suite à des types musclés, armés de gros flingues et, en fait, en concert, tu te retrouves devant quatre mecs chétifs qui chantent “dryyyy the raaaiin” d’une voix nasillarde. (Rires.) Le décalage est plutôt rigolo.

Dans quelle mesure avez-vous changé depuis l’album précédent ?

S : Nous sommes venus à bout de notre malaise à l’encontre de l’industrie du disque et nous avons perdu en naïveté. Auparavant, on pensait qu’il suffisait de faire de la bonne musique pour enjamber les obstacles que le business pouvait placer sur ton chemin. Du coup, on évitait consciencieusement les interviews… D’ailleurs, nous ne sommes toujours pas très forts question promotion. Malheureusement, la théorie ne s’est pas vérifiée. Aujourd’hui, on est fier de cet album et l’on se sent prêt à le porter à bout de bras. Voilà, la fosse aux lions nous attend… Ce serait du gâchis si ce disque n’intéressait qu’une poignée de gens. Si notre musique peut entrer dans les charts, sur MTV ou les radios, et offrir une alternative à tous les prototypes stériles habituels, le milieu musical sera certainement plus respirable. Plus de variété, et de compétition aussi, ça ne fait pas de mal.

Vous avez déclaré que personne, à part vous, ne peut savoir ce que vous valez. Alors, justement : aujourd’hui, que valez-vous ?

Cela ne sert à rien d’expliquer aux gens ce que tu as envie de faire, parce que, soit ils le comprennent instantanément, soit ils passent à côté, un point c’est tout. En plus, cela enlève beaucoup de charme et de pouvoir attractif au groupe et, surtout, à sa musique. Imagine qu’un type nous voie d’une certaine façon et qu’il tombe sur une interview où l’on déclare justement : “Non, non, on n’est pas du tout comme ça”. Eh bien, ce type va aller voir ailleurs ! Nous, on veut que tout le monde puisse fantasmer librement sur The Beta Band.

Un autre long format ?