Il aura fallu près de six années à The Avalanches pour mettre au point un premier album désopilant, Since I Left You, collision entre une… avalanche de samples pas piqués des hannetons et des influences pour le moins éclectiques, regroupant pêle-mêle rock psychédélique 60’s, hip hop et house. Robbie Chater et Darren Seltmann – portes paroles occasionnels de ce club des six australien complété par Tony Diblasi, Gordon McQuilten, Dj Dexter et James De La Cruz – dévoilent quelques-uns des secrets qui leur ont permis de réussir ce tour de passe-passe aussi ludique que tonique.

INTERVIEW Estelle Chardac
PARUTION magic n°50Darren : On peut dire que l’aventure Avalanches a débuté à partir du moment où Robbie et moi avons habité ensemble… Au fur et à mesure que notre amitié s’est construite, nous nous sommes mis à jouer de la guitare puis à composer des morceaux. À l’aide d’un vieil orgue et de quelques disques d’occasion, on a concocté un hybride de punk et de noise pour ensuite s’aventurer dans la pop expérimentale.

Robbie : Pendant presque deux ans, on a joué la carte de la scène à fond, sans envisager l’enregistrement. Ce n’est qu’après avoir arrêté de tourner que l’on est passé en studio. Et c’était reparti pour deux nouvelles années…

D : Des amis ont rejoint la mini-formation pour le live. À la base, on est plus une bande de copains qu’un groupe de musiciens. D’ailleurs, quiconque voulait jouer avec nous pouvait s’incruster…

C’était un cercle ouvert, en somme.

R : Exactement, et ça le reste encore aujourd’hui jusqu’à un certain point. Il suffit qu’une rencontre se déroule bien, en tournée par exemple, pour que l’on invite cette personne à collaborer.

D : Tiens d’ailleurs, tu sais chanter ? (Rires.)

Non.

R : Pas grave ! (Rires.)

Plus sérieusement, vous envisagez certaines collaborations dans un futur proche ?

D : On a travaillé à plusieurs reprises avec The Syncopators, un big band de jazz de Melbourne, et l’on attend des nouvelles de Van Dyke Parks. Il doit réécrire les paroles de Since I Left You et chanter sur une version inédite. En réalité, il n’arrête pas d’en parler, mais il n’a pas l’air trop pressé de concrétiser cette histoire… (Sourire.) Il adore l’album en tout cas. Mais, sur les disques, on essaye de rester entre nous. On préfère que ces collaborations restent ponctuelles.

Vous avez récemment remixé Badly Drawn Boy et les Manic Street Preachers.

L’univers de Badly Drawn Boy nous est plutôt familier, ce qui a facilité considérablement la tâche. L’autre avantage, c’est que personne ne nous a imposé de remixer tel ou tel titre. C’est nous qui avons décidé de revisiter The Shining, un morceau que l’on trouve très spécial. Quant aux Manics, on aimait beaucoup celui qu’ils nous proposaient (ndlr : So Why So Sad).

R : On se sent assez proche de l’attitude générale, et scénique en particulier, de Badly Drawn Boy. De son côté peu professionnel et amusant. Un peu comme nous… Il nous a appelés pour nous dire qu’il aimait beaucoup le remix. Ça fait plaisir, c’est un peu comme si…

D : C’était notre pote ! (Rires.)

 

En chantant

Sur votre album, vous utilisez les samples plus que de raison : la notion de groupe est un peu sabordée, non ?

R : Possible… Mais la basse, les claviers et le chant participent tout de même au processus de l’écriture. Avant de commencer un morceau, on discute en général du sentiment qui le traverse. C’est ça le fil conducteur initial. Et c’est seulement après que l’on va chercher les petits bouts de disques dont on a besoin.

D : Forcément, comme l’on vient d’un background de Dj’s, on est assez habile pour créer des collages, réunir des sons.

Comment choisissez-vous vos samples en général ?

R : On commence par éviter de sampler les disques qui nous tiennent à cœur, comme les Beach Boys ou Marvin Gaye. On se contente de les adorer, de les écouter et de s’en influencer parfois. Notre matière première, c’est plutôt les vieux disques à un franc, ceux que l’on déniche dans les boutiques de soldes. À part Holiday de Madonna, bien sûr… (Rires.) Bizarrement, on n’a pas eu trop de mal pour obtenir les droits de cette chanson. Après avoir écouté notre morceau (ndlr : Stay Another Season), je pense qu’elle a compris que l’utilisation du sample n’était pas vraiment abusive.

D : En fait, on a fait la pire des choses qui soient : on a attendu d’avoir mixé et terminé l’album avant de nous occuper des droits. Et tout cela très naïvement parce qu’on n’aurait jamais cru que ce disque pourrait intéresser tant de gens à travers le monde !  On aurait pu limiter les problèmes mais bon… (Sourire.) L’opération entière nous aura pris six mois.

Vous avez également utilisé beaucoup d’extraits de films…

R : Quand tu aimes la musique, tu aimes le cinéma aussi, non ? Pour certains morceaux, les films ont effectivement eu une influence énorme. En particulier les vieux westerns. On les regardait tout le temps en rentrant de l’école, c’est ce qu’évoque Frontier Psychiatrist et son côté épique. Il y a aussi beaucoup de Hollywood Or Bust de Jerry Lewis dans notre musique…

D : C’est celui où il traverse les États-Unis dans une voiture pour se rendre à Hollywood. En chantant, évidemment… Cela fait toujours chaud au cœur de regarder ce genre de films. (Rires.)Le plus surprenant au final, c’est que votre album reste cohérent. Votre son est facilement identifiable, malgré tous ces emprunts…

R : Le plus important, c’est surtout que le disque ait une vie à lui, qu’il flotte en dehors du temps. (Sourire.) Il n’y a pas de règles, mais à chaque fois qu’on discute entre nous de ce à quoi devrait ressembler un “grand” disque, ou de ce que l’on doit absolument éviter, on est tous plutôt d’accord. Et le résultat vient assez naturellement et logiquement, au final.

D : Il faut être conscient de l’atmosphère que tu désires créer dès le départ et contrôler ainsi ton album.

R : En tout cas, les samples ne doivent jamais guider les morceaux. Il ne faut pas que la technologie dicte ses règles dans la composition.

D : Même si c’est tentant et drôle de faire sonner le disque de façon étrange, il ne faut pas abuser de la technologie. Faire un album comme le nôtre, c’est superposer plusieurs couches les unes sur les autres. Mais si nous en avions trop fait, il aurait pu ressembler à une production trop actuelle. À la fin de l’enregistrement, on a été obligé d’aérer un peu le résultat parce que c’était vraiment trop lourd, il se passait trop de choses dans le même morceau. On est assez admiratif de la production des albums des années soixante où le son est “plein”, à l’opposé de la pop abstraite d’aujourd’hui.

Avec tous ces “montages”, ce ne doit pas être évident pour vous de jouer live : comment abordez-vous la scène ?

Ne t’inquiète pas : de façon très détachée… (Rires.)

R : Nous tentons de mettre l’aspect festif de nos morceaux en avant. Cela ne sonne pas exactement comme le disque, c’est moins… subtil. En fait, on ressemble un peu à un groupe de rock. Ou plutôt à un groupe de soirée étudiante. (Rires.)

D : On aime transmettre de l’énergie, une envie de se désinhiber et de faire un peu n’importe quoi. The Avalanches, en live, c’est fort, bruyant et excitant. On s’inspire de groupes comme The Fall ou des formations hip hop. Dan chante un peu. Il crie, surtout. (Rires.) James et Gordon jouent du clavier et Dexter s’occupe des platines. Tony chante aussi. En fait, on s’échange tour à tour les instruments.

Et qui fait le Bez de la bande ?

Tout le monde ! (Rires.)

R : Tony et James dansent vraiment très bien. L’aspect visuel importe énormément pour le live, surtout en ce qui concerne notre façon ludique de l’aborder. Mais on n’a pas de plan défini à l’avance, on essaye de laisser une grande part de spontanéité à nos apparitions scéniques.

Vous pensez que vos morceaux peuvent s’imposer sur les dancefloors ?

J’ai l’impression que la plupart des disques de dance sonnent creux.

D : De toute manière, notre disque ne peut pas être joué très fort parce qu’il s’y passe un peu trop de choses. Il est trop… rempli ! (Rires.)

Vous avez de quelconques regrets lorsque vous réécoutez le disque ?

R : Oui. J’ai l’impression que quelques morceaux ne sont parfois que des ébauches de ce qu’ils auraient pu être. Les diverses composantes s’accordent bien, mais l’ensemble reste parfois un peu approximatif … Notre but originel pour l’album, c’était d’arriver à ne composer que des pop songs, et, en ce sens, nous avons échoué. Même si certaines chansons, comme Since I Left You, fonctionnent parfaitement et montrent que l’on peut y arriver sans problème… (Sourire.)

Parfois, on peut avoir l’impression que vous avez voulu mettre tout ce que vous connaissiez et aimiez dans ce premier album.

Hum… Tout est arrivé très vite, on a exploité une centaine d’idées à la fois. L’inspiration et l’excitation aidant, on a évidemment eu tendance à tout jeter dedans, en vrac. L’enregistrement a donc nécessité un dur et laborieux travail de tri. En sortant du studio, on avait à l’origine deux heures de bandes sur les bras. (Sourire.) Finalement, on a réduit le tout à une heure et beaucoup de morceaux sont restés sur le carreau. Mais je ne pense pas qu’on les utilisera dans le futur parce que, avec de la chance, on va continuer à progresser. Bien plus grand… Et logiquement, ils ne devraient pas trouver leur place sur les disques suivants.

Arbre généalogique

Votre nom, c’est une référence au morceau de Leonard Cohen ?

Non, non. Ce nom ne désigne rien de très… spectaculaire. Son atout principal, c’est qu’il sonne bien en français. (Sourire.) Il existait quand même un groupe de surf rock dans les années 50 nommé The Avalanches. Plutôt rigolo, d’ailleurs. Bien évidemment, leur disque avait pour titre Ski-Surfing. Depuis nos débuts, nous avons souvent changé de nom, on trouvait ça drôle. Mais nos choix n’étaient pas très raisonnables en général. On a dû se fixer ensuite sur celui-ci pour ne plus en changer…

Comment avez-vous fait votre éducation musicale ?

Tout simplement : on a passé en revue les magasins d’occasions les plus pourries ! Sincèrement, c’est une bonne façon de s’éduquer musicalement. (Rires.) Une fois que tu commences à t’acheter des disques, ils t’emmènent vers d’autres horizons et tu peux remonter très loin comme ça, vers les années trente ou quarante. Parfois, grâce à un nom de producteur, à un label, à des influences citées par un artiste, tu achètes des disques de groupes dont tu ignores presque tout… C’est un processus interminable.

D : La démarche ressemble à celle d’un arbre généalogique…

Votre éloignement et votre insularité vous ont-ils lésé ? 

R : Non, bien au contraire ! Car, dans ce cas, tu as tendance à développer ton imagination. Et là, le reste du monde semble tellement fantastique ! En plus d’imaginer les pays visuellement, on avait tendance à les envisager de façon sonore… C’est ce sentiment qu’on a tenté de retranscrire dans notre musique. Et l’on voulait aussi oublier le sentiment d’infériorité des Australiens par rapport aux Américains, au niveau musical tout du moins.

D : On est parti du constat qu’il fallait oublier AC/DC, même si on les apprécie beaucoup, pour créer quelque chose de véritablement original.

R : Aujourd’hui, les Australiens semblent très fiers de nous. Enfin, seulement depuis qu’on arbore un tampon “approuvé par l’Étranger”. (Rires.) On a quand même pas mal galéré avant…

Finalement, votre point fort c’est votre éclectisme, que vous aviez dévoilé sur une cassette où vous n’hésitiez pas à mixer De La Soul avec The Smiths…

(Rires.)

Les Smiths, c’était un peu pour choquer les gens…

D : Surtout les gens qui se trouvent “cools”… (Rires.)

R : C’est bien de danser sur Cindy Lauper et de ne pas réfléchir au fait que c’est soi-disant trop tard pour le faire ! On écoute des tonnes de mauvaises choses. Mais notre talent, c’est de les métamorphoser en quelque chose de bien après les avoir écoutées.

Un autre long format ?