Plus ample, plus souple, plus riche, aussi dru : Sloy a vécu une mutation profonde, comme une seconde naissance musicale. Normal, ce troisième album du trio, Electrelite, parle exclusivement de spermatozoïdes.

ARTICLE Philippe Richard
PARUTION magic n°23Je me rappelle d’une vieille planche du dessinateur Vuillemin. Une troupe de spermatozoïdes furieusement excités rivalisaient de vantardise : “Je vais être David Bowie”, plastronnait l’un. “Et moi Mick Jagger”, frimait un autre. Dernier dessin : un affreux suant et moite éjacule sur un tas de vaisselle sale encombrant l’évier.

Voilà qui résume sobrement (l’affreux en moins et avec un final plus heureux) le thème d’Electrelite, troisième opus de Sloy. L’album qu’on attendait du trio de Béziers installé à Rennes, depuis un Planet Of Tubes, un chouia trop proche de leurs excellents débuts.

“La vie avant la vie. On est d’abord né dans le père puis dans la mère”, commente Armand Gonzalez (ndlr : “et l’ovule, t’en fais quoi ?” pourrait objecter un chœur de féministes). “J’aime tout ce qui a trait au corps humain, toute la machinerie. Je voulais faire un album à thème depuis longtemps. J’ai dû attendre pour me sentir prêt. Le thème se trouvait déjà dans Chocolate Sperm, sur Planet Of Tubes. Cette idée de la loterie. On a tous gagné au loto, en fait. Mais je parle aussi de ceux qui ont eu moins de chance”.

Electricité

Pour Armand, nous sommes tous des Electrelite, l’élite électrique, le fruit des spermatozoïdes les plus dynamiques, dotés des mitochondries les plus productrices d’énergie. Une nouvelle fois, donc, après Plug et Planet Of Tubes, une métaphore électrique : “La force du mot électrique me passionne. La passion est électrique, l’excitation est électrique”. Malgré cette profession de foi, Armand Gonzalez et Virginie Peitavi vivent dans un petit coin bien tranquille. A une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Rennes, il faut faire un bon kilomètre sur un petit chemin entouré de deux hautes haies de maïs pour trouver leur maison. Une vieille ferme qu’ils ont partiellement rénovée et où ils ont monté leur propre studio. L’électricité ? Les derniers fermiers en activité ne l’utilisaient même pas. Le couple a gardé quelques poules pour les œufs et la couleur locale et a quelque peu modernisé le lieu. Cyril Bilbeaud, le troisième compère, vit à proximité du centre de Rennes. Tous trois sont assis autour de la table de mixage de ce fameux studio qui a radicalement changé la vie et la musique du trio, alors que les premiers accords de Seedman percutent les enceintes.

“C’est effectivement le morceau le plus ancien de l’album”, explique Armand. “On l’a composé au début de l’été 97. On avait juste fini le studio et on commençait à chercher de nouvelles sonorités. On avait envie de casser quelque chose dans notre musique. Je me rappelle de discussions avec notre sonorisateur qui nous a lui aussi poussés à changer assez radicalement. Si tu changes de couleur, tu ne passes pas du rouge clair au rouge foncé, il faut que tu prennes du vert. Mais tu hésites, tu as peur de changer. Ça fait maintenant sept-huit ans qu’on joue ensemble. On avait vraiment besoin d’un studio à la maison, de pouvoir commencer à travailler le matin en chaussons. Paradoxalement, ça renforce la spontanéité”.

Ça a été facile, cette remise en question ?

Oh non. On a dû trouver un terrain d’entente. Il y a eu des moments… tendus. On ne veut pas que quelqu’un ait un pouvoir suprême dans le groupe. Il faut donc se faire confiance et se convaincre mutuellement. On a même été au bord du split à la fin de l’année 97. Heureusement, depuis le début, on s’accorde du temps. Les gens qu’on admire le plus ne sont pas des jeunes. Ce sont des gens qui ont pris le temps de maîtriser leur art, d’avancer à leur rythme sans vouloir être des “cadors” dès le début. C’est souvent par manque de patience que les groupes splittent. On a enregistré les deux premiers albums avec Steve Albini. Il nous a beaucoup appris, mais on ne pouvait plus se contenter d’enregistrer en prises live en six jours. C’est trop court pour produire un album. Mais je connais peu de gens capables de faire un disque de qualité en six jours.

Cyril : Longtemps, on a cru qu’enregistrer live permettrait de retrouver la puissance du concert. C’est évidemment une erreur. Là, en travaillant de manière beaucoup plus poussée, en discutant, on a beaucoup appris sur nous-mêmes et sur notre musique. On a passé une année à expérimenter.

Vous avez tout de même enregistré dans un studio professionnel ?

A. : Oui, de nouveau au Black Box. En trois sessions d’une semaine, avec Peter Deimel, l’associé de Ian Burgess. C’est un aussi bon ingénieur qu’Albini. On se connaît depuis quatre ans, on va très souvent les voir, au moins tous les mois.

 

Femme

Les Sloy sont visiblement sortis plus forts de cette période de mutation, psychiquement et physiquement. Cyril a gagné en assurance, Armand en charisme et Virginie, de jeune fille, est devenue femme. Electrelite est sans doute leur meilleur album. Ou tout au moins, celui qui restitue l’excitation qu’on avait connue à l’écoute de leurs premiers titres. La musique est moins fracturée, plus groovy, plus mélodique, plus ambitieuse surtout, avec des arrangements que leur précédente méthode d’enregistrement les empêchait même d’envisager. Par moments, par moments seulement, la voix se rapproche de celle de David Yow (ndlr : Jesus Lizard), une référence qui agace légèrement le groupe.

“On est un peu passé à autre chose. Mais à un moment, ado, Jesus Lizard était le groupe que je cherchais. On a beaucoup écouté de new wave quand on était adolescent et parfois, il manquait ce côté un peu viril. Pour moi, Jesus Lizard, c’est de la new wave rock’n roll. Pas étonnant que la new wave revienne. Tu as besoin de dix ans pour digérer des choses. Dans dix ans, il y aura sans doute un revival grunge avec de nouvelles données qui le rendront de nouveau intéressant”. Et Virginie reprend : “Au début, Cyril était plus éclectique, mais très branché ska. Petit à petit, on s’est mis à écouter d’autres styles de musique. Mais ce que tu as écouté ado, tu le gardes toute ta vie. On considère que ce qu’on joue, c’est de la new wave groovy. Disconnected Elite, peut-être le titre le plus new wave, avec, c’est vrai une basse proche de l’esprit de Devo. Ceux qui pensent qu’on est proche de Jesus Lizard ou Shellac seront surpris. Devo (ndlr : dont Sloy reprenait Jocko Homo sur scène) était également pour nous un vrai groupe de new wave”.

Vous utilisez des sons de guitare assez étonnants sur cet album ?

V. : On est parti en vacances aux USA pour acheter d’autres instruments, pour changer de sonorité. On avait les mêmes depuis le début. J’ai également acheté une guitare, puisqu’en fait, j’en joue sur plusieurs morceaux.

A. : J’ai ramené entre autres une guitare suédoise qui s’adapte bien au son de mon jeu avec les plaques et les disquettes. Ça le rend moins brouillon. No Way Out! incruste cette technique dans notre son. Ça a l’air simple mais on a mis quatre mois à trouver la bonne rythmique. J’ai toujours aimé ces sons métalliques. En démontant une reverb à ressort, tu vois que c’est fait d’un son qui passe dans le ressort qui tremble. Si tu arrives à faire trembler les cordes, elles vont réagir. J’ai essayé avec des ressorts mais ça ne marchait pas, je suis donc passé aux plaques. Le fait que ce soit du métal sur du métal, ça interagit avec l’aimant et ça amplifie un son. En plus, je tape les cordes avec d’autres cordes, ce qui renforce le côté métallique. Ensuite, il faut trouver des accordages personnels. Je n’en suis qu’au début. Avec les disquettes, que je passe entre les cordes, j’utilise aussi des accordages particuliers et je m’en sers en slide.

Folklore

Armand promet de me faire une petite démonstration un peu plus tard. En attendant, nous passons dans le jardin. Un soleil de début septembre chauffe doucement la couenne, les maïs de deux mètres de haut coupent l’enclave du monde extérieur. A la fois reposant et oppressant, finalement en accord avec la philosophie d’un groupe qui a vécu son histoire relativement isolé, groupé. Les longs mois passés à vivre à trois dans le van de concert en concert, plus souvent dans l’Ouest parce que les lieux pour y jouer y sont nombreux, ne sont pas si lointains. Sloy a gardé la même foi et surtout la même farouche volonté de contrôler tous les aspects de sa musique, de rester sourd ou tout au moins extrêmement circonspect face aux sirènes du show-bizz qui ont parfois sifflé à ses oreilles.

Vous avez racheté les bandes de votre premier album et vous financez vous-mêmes vos enregistrements…

A. :Oui. Pour nous, ça change tous les rapports avec les maisons de disques.

C. : Au début, quand on nous a dit qu’une maison de disques était propriétaire de ta musique si elle paie… Ça a toujours été inconcevable.

A. : Nous voulons être maîtres de notre musique. Si on change de distributeur, tous nos albums nous suivent. Plug, le premier, ne se trouve plus depuis cinq mois. On est obligé d’attendre la fin de la période d’exclusivité avec Roadrunner. Et si on ne rachète pas les bandes, vu que les Productions du Fer n’existent plus et que ce disque n’intéresse plus Roadrunner, il est fini à tout jamais. C’est fou. C’est vraiment ce qui nous fait réagir au quart de tour. On va le ressortir, distribuer le stock. Dans un second temps, on va sans doute ressortir les deux premiers albums ensemble.

C’est cet instinct très privé, très sacré de la musique qui vous fait refuser l’idée très à la mode d’éventuels remixes ?

C’est notre musique. Si on veut, on se remixe nous-mêmes. J’ai rarement entendu un remix supérieur au morceau initial. Dans notre dictionnaire à nous, un remix c’est garder 80% des éléments d’un morceau et les doser différemment. On a travaillé certains morceaux dans cet esprit.

Et la langue française ?

Pour moi, la voix reste un vrai instrument. Tu ne changes pas un instrument aussi facilement que ça. La langue est comme le réglage d’une peau de caisse claire : le son pourra sonner disco ou comme du Helmet. La musique nous a toujours plus fait vibrer que les textes. Quand je vais voir un concert de chant flamenco, je chope la chair de poule même si je ne comprends pas tout. C’est vrai qu’on est français, qu’on n’est même pas bilingues mais la musique qui nous a formés est anglo-saxonne. Si je décide un jour de faire du chant flamenco, je ne vais pas le faire en français. Le rock’n’roll est un folklore comme un autre, qui a pris une énorme dimension. On en joue une forme particulière.

Vous avez tout de même un invité : Olivier Mellano (ndlr : le violoniste de Miossec)…

On l’a rencontré lors d’un concert qu’on a donné avec Miossec. On se croisait souvent sans se connaître, mais on savait qu’un jour ou l’autre, il se passerait quelque chose. A la base, White Blood était chanté, je n’arrêtais pas de déblatérer, c’était affreux. En fait, c’est notre premier morceau instrumental.

En fait, le seul morceau qui ressemble vraiment au répertoire des deux autres albums est Surprised Inside The Black Hole.

Je crois qu’avec ce morceau, on est allé au bout de ce qu’on sait faire dans les changements de dynamique. Je ne crois pas qu’on refera un morceau comme celui-là. C’est une forme d’aboutissement. Maintenant, on passe à autre chose. Le son ajoute beaucoup de choses à cet album. C’est un disque mieux produit, mieux travaillé. Regarde PJ Harvey, son avant-dernier album, produit par Flood est considéré comme supérieur aux autres, mais si tu prends une guitare sèche, c’est exactement la même base de composition. Mais ça sonne différemment. Maintenant, on sait qu’on n’est pas complètement des manchots en studio, on va donc pouvoir intégrer des “données” qui n’ont rien à voir avec nos précédents enregistrements… Mais on n’a pas encore de nouveaux morceaux. C’est du domaine du bla-bla, ça va durer comme ça pendant quelques mois. On est un groupe qui se parle beaucoup. C’est un des trucs chez nous. On n’est pas d’excellents instrumentistes, alors on discute et, ainsi, on travaille l’imagination.

Un autre long format ?