Dandysme, alcool, cinéma, mélodies, violons, ténébreux. Ainsi pourrait-on résumer le monde mystérieux de Jack, ce groupe anglais qui pourrait bien être le mieux placer pour détrôner, un beau jour, Pulp. A la veille de la sortie de The Jazz Age, deuxième album habité, classieux et désespérément pop, Anthony, chanteur-leader-compositeur, explique la complexité d’être un véritable artiste. Mais, malgré toutes les difficultés rencontrées, sûr que l’homme réussira bientôt l’exploit de faire d’un prénom un nom.

INTERVIEW Christophe Basterra
PARUTION magic n°21Votre premier album, Pionneers Soundtrack est sorti il y a plus de deux ans aujourd’hui : vous pensiez attendre aussi longtemps avant la réalisation de The Jazz Age ?

Tu sais, dès qu’un écrivain, un chanteur ou un compositeur sort de sa chambre, il sera obligé d’accepter les compromis. Ces nouvelles chansons étaient prêtes depuis longtemps mais notre label a commis quelques erreurs. Alors, on a voulu en changer… Puis, nous avons décidé de rester. Voilà, aujourd’hui, va sortir The Jazz Age et il n’y a rien à dire. C’est comme ça, c’est la vie. Et avant même de le savoir, tu as déjà trente ans… (Sourire.).

Tu as déjà pensé à tout laisser tomber, à ne plus faire de la musique que pour toi même ?

Je compose des chansons depuis l’âge de douze ou treize ans, pas forcément d’excellentes chansons mais j’ai toujours passé mon temps à écrire et écrire encore. J’ai une image assez simple pour résumer mon parcours : lorsque tu plonges dans une piscine, tu vas commencer à nager sous l’eau mais personne ne peut te voir. Puis, tu remontes à la surface et là, tu deviens visible…(Sourire.) Quand tes chansons sortent sur disque, les gens savent enfin que tu fais ce que tu n’as jamais arrêté de faire. J’aimerais commencer à enregistrer le troisième album de Jack dès la fin de l’été mais je sais bien qu’on ne me laissera pas faire.

C’est entre autre pour cela que tu as enregistré l’an passé l’album Jacques avec Momus ?

Oui, exactement. Mais, avec un peu de recul, je m’aperçois que c’était une erreur. En fait, le disque n’était pas terminé. Je n’aurais dû faire qu’un single. Certaines chansons étaient excellentes mais nous n’avons pu leur rendre justice car nous n’avons eu qu’une semaine pour les enregistrer. Si tu prends un morceau comme 3AM sur le nouveau Jack, un titre que j’ai composé seul, je ne pense pas qu’il aurait sonné de la même manière sur le disque de Jacques. Et ne pas rendre justice à tes chansons est horrible : c’est un peu comme tuer ton enfant, ne pas lui laisser une chance de vivre. Ce disque a sans doute été une erreur, mais ce n’est pas grave. Ma mère accepte toujours de me parler. (Sourire.)

Sur The Jazz Age, vous semblez avoir pu concrétiser les idées que vous aviez eu sur votre premier album…

Lorsqu’il s’agit d’enregistrer un premier album, tu es déjà content de te retrouver dans cette position, rien d’autre ne compte. Tu es excité, comme un môme à qui l’on offre un jouet. Maintenant, je suis satisfait de The Jazz Age mais peut-être pas autant que j’aurais aimé l’être. La plus grosse critique que je pourrais lui faire est qu’il ne me surprend pas assez. J’aurais aimé avoir encore plus de temps pour pouvoir tenter quelques expérimentations. De toute façon, je ne suis jamais heureux… Heureux, c’est un mot étrange dont je ne connais pas la signification… Je sais juste comment l’épeler. Maintenant, que les choses restent claires : je suis fier des chansons qui sont sur ce disque…

 

Réaliste

Il y a peu, vous avez réalisé un single vinyle sur le label espagnol Elefant avec, en pochette, une photo extraite de A Bout De Souffle, le film de Jean-Luc Godard. Chez Jack, le cinéma semble tenir une place primordiale…

Oui, c’est vrai. C’était aussi une façon d’illustrer la chanson Cinematic, dont une nouvelle version se trouve The Jazz Age. Le morceau exprime juste l’idée de vivre ta vie comme si tu étais dans un film et je trouvais que cette photo illustrait particulièrement bien cette image…

En tant que chanteur, tu penses que ta vie a un côté cinématographique ?

Non, certainement pas parce que je suis chanteur en tout cas… Je ne me réveille pas chaque matin en me disant : “Fais bien attention à ce que tu fais, tu es le chanteur de Jack”. (Rires.) Malgré ce que l’on pourrait croire, je suis plutôt pauvre, je n’ai même pas de quoi payer l’électricité.… Alors, ce qui me force à regarder la vie de manière cinématographique, c’est le fait d’être obligé d’acheter les bières les moins chères, de penser que, quelque part, il y a une fête une grandiose à laquelle je ne suis pas convié. Mes films favoris sont plutôt issus du cinéma “réaliste”, j’aime beaucoup des réalisateurs comme Mike Leigh. Et ce que je préfère dans ces films sont les scènes les plus ordinaires. Dans Saturday Night, Sunday Morning, mon long-métrage favori, mon passage préféré est sans doute celui où tu vois l’acteur principal en train de se raser. Je trouve ce moment d’une incroyable beauté. Et il montre la beauté d’une situation des plus ordinaires. En fait, tout peut être intéressant, en fonction de l’angle dont tu vois la chose. Et cette idée m’aide à vivre…

Et la boisson t’aide à vivre également ? Sur scène, tu es souvent saoul, toujours avec une bouteille de vin…

(Sourire.) C’est très simple : j’adore boire. Bien sûr, avant de monter sur scène, j’ai peur. Même si je suis conscient du fait que je ne vais pas subir une opération à cœur ouvert ou que je ne vais pas sauter en parachute dans l’Europe occupée de 1944. Maintenant, pourquoi ai-je peur ? Je ne sais pas… Peut-être parce que je suis très nerveux, peut-être pour une question d’ego. Boire m’aide à voir les choses comme elles sont réellement.

Pourquoi être nerveux alors que les gens viennent te voir pour ce que tu es, pour ce que tu fais…

Ah, mais je n’ai pas cette confiance. Ce n’est pas dans mon caractère d’arriver sur scène et de lancer : “Alors, vous êtes contents de me voir”. Bien sûr, je sais que les gens présents aiment mes textes, aiment la musique mais ça ne change rien. Sur scène, ils me voient aussi physiquement et je n’aime pas cette idée… Pour moi, l’image n’a rien à voir avec la musique. Mon image, en tout cas…

Chez Jack, il existe un côté très européen, très continental.

Oui, c’est vrai. Tu sais, parfois, tu as cette perception initiale d’un pays : tu descends pour la première de l’avion et, immédiatement, tu te sens bien, tu ressens quelque chose de familier. Maintenant, si je suis si attiré par l’Europe, je crois que cela vient du fait que je sois gallois… Au Pays De Galles, j’ai toujours ces discussions avec des gens qui ne me considèrent pas gallois parce que je ne parle pas cette langue et que, donc, je ne peux en comprendre la culture. C’est possible, peut-être ont-ils raison… Mais, d’un autre côté, je ne me sens pas anglais, non plus… Alors, en quelque sorte, j’ai dû chercher un refuge ailleurs et sans doute l’ai-je trouvé sur le continent.

Cadeau

Lorsque tu as quitté Cardiff pour Londres, c’était uniquement pour la musique ?

Oui. J’ai dû faire de nombreux sacrifices : j’étais pratiquement marié à l’époque, j’avais 20 ans…  Je passais mes journées à regarder la télé, je dépérissais. C’était plutôt triste. Il fallait que je me ressaisisse, que je me prenne en main. D’ailleurs, aujourd’hui,  j’ai la même impression. Une partie de moi-même espère que ce disque ne marchera pas pour que je puisse m’envoler. Mais, non… (Sourire.) Ce n’est qu’une toute petite partie de moi-même qui pense cela. Bien sûr que j’espère que ce disque aura du succès.

Vous êtes sept dans le groupe : il est facile de travailler avec autant de personnes, sans qu’aucune ne se sente frustrée. Ou, encore une fois, faut-il passer son temps à accepter des compromis ?

Les seuls compromis qui puissent exister sont entre Matthew, l’un des guitaristes et moi-même puisque nous composons tout à deux. De toute façon, je n’ai jamais cru dans le fait qu’un groupe puisse être une entité démocratique. Ce n’est qu’une illusion. Sincèrement, je ne crois pas que la démocratie puisse servir la musique. Tout avis a certainement son intérêt mais ce n’est pas là l’important quand tu enregistres un disque. Le plus important doit être la chanson.

Et les autres membres de Jack en sont conscients ?

Je m’en moque… Qu’ils en soient conscients ou pas n’est pas l’important. J’espère juste qu’ils comprennent. Lorsque tu composes une chanson, tu es proche d’elle, tu sais mieux que quiconque ce dont elle a besoin. Certains morceaux sont sans doute plus importants pour moi que pour Georges, le clavier. Et il n’y a rien à ajouter…

Tu pourrais imaginer Jack dans une autre formation ?

Il faut que les choses soient bien claires : Jack, c’est Matthew et moi. Les autres membres le savent pertinemment. Mais ce n’est pas pour autant que je souhaite les voir partir ! Matthew et moi étions ensemble à Cardiff, nous avons composé certains des morceaux du premier album là-bas, alors que nous jouions dans un autre groupe.

 

Faveur

Il vous arrive souvent d’abandonner ou d’écarter des chansons ?

Nous sommes un groupe paresseux. Si une chanson ne fonctionne pas, on l’abandonne immédiatement. Il ne faut jamais forcer les choses. Pour moi, une chanson est comme un cadeau… Et tu ne te forces jamais à offrir un cadeau… Jamais je ne me forcerai à écrire une chanson, c’est impossible. De toute façon, je crois que le monde n’a pas besoin de nouvelles chansons… J’en ai besoin, moi, mais pas le monde.

Mais il y a bien un public pour Jack, qui attend ces chansons ?

Quand je parle du monde, je pense en termes de généralité. Il y a eu des artistes qui, au même titre que des penseurs, des scientifiques, ont influé sur l’évolution de la société. Certains, très peu, y sont parvenus : les Beatles, bien sûr, David Bowie, peut-être également… Mais, même un type comme Scott Walker n’a jamais eu cette dimension. Bien sûr, je crois, j’espère en tout cas, que pour certains individus, nos chansons peuvent avoir une certaine importance. Mais jamais elles ne changeront le monde, le court de l’histoire. Alors, comme je te le disais à l’instant, il y a trop de ce genre de chansons… (Sourire.) On avait prévu d’enregistrer un autre disque de Jacques mais, à la dernière minute, j’ai préféré annuler…

Tu aimerais multiplier ce genre de collaborations ?

Non, pas forcément. J’aimerais surtout pouvoir développer Jack mais vu le rythme imposé… C’est pour cela que je travaille avec Kirk Lake ou que j’ai composé un morceau pour Dot Allison (ndlr : ancienne chanteuse de One Dove qui sort en septembre son premier album solo). J’aime travailler, c’est tout. Un jour, je vais mourir. Voilà ce que les labels ou les managers ne semblent pas comprendre. Je ne vais pas vivre éternellement… C’est maintenant que je peux faire toutes ces choses.

Tu aimerais ne composer que pour les autres, rester dans l’ombre en quelque sorte ?

Non. Tout simplement parce que je crois que je peux chanter mes chansons mieux que quiconque. Voilà pourquoi je me suis mis à chanter : pas parce que j’ai une voix spéciale mais simplement parce que je trouvais que, plus jeune, ceux qui chantaient mes chansons me donnaient l’impression de ne rien comprendre à mes textes… Alors, j’ai préféré le faire moi-même.

Tu as toujours voulu composer ?

Dès l’âge de quatre ans. Mes parents m’ont fait une grande faveur dans le sens où ils ne m’ont ni empêcher, ni encourager dans cette voie. Et d’une certaine façon, ça m’a aidé car je n’ai eu aucune pression pour réussir. Mes parents ont toujours été cools, ils se sont toujours occupés de moi. Depuis que j’ai commencé à composer, personne n’a essayé de m’arrêter et personne ne m’arrêtera.

Et aujourd’hui, comment vois-tu l’avenir, ton avenir ?

Je ne sais pas ce qu’est le futur. Je ne sais pas si ça existe. Mes ambitions sont de payer le loyer, réussir le concert ce soir. Je dois vivre au jour le jour, j’y suis obligé. Je n’ai jamais rien planifié.

Un autre long format ?