Après avoir tutoyé une beauté presque ultime sur ses deux précédents albums, Hood ne craint plus de livrer sa musique à la sensualité et la chaleur. Au contact de la lumière, le délibérément mal nommé Cold House est d’une merveilleuse sérénité qui voit progressivement fondre chez le duo du Yorkshire toute structure restrictive, pour s’évaporer comme par magie de son carcan et voguer vers la luxuriance.

INTERVIEW Julien Welter
PARUTION magic n°56La nouvelle avait de quoi provoquer l’enthousiasme. Hood, deux ans après avoir réussi un disque aussi magnifique que démembré et retenu avec The Cycles Of Days And Seasons, aurait aujourd’hui achevé un nouvel album – le cinquième depuis Cable Linear Transmission en 1994 – tout aussi saisissant, mais en exposant cette fois à la lumière de mélodies parfois alertes et au caractère très entier de beats warpiens la même beauté en clair-obscur de leur univers délavé. Le ton désenchanté de ces natifs des terres britanniques dévastées du West Yorkshire pouvait-il s’en accommoder ? Chris et Richard Adams, cerveaux bicéphales de Hood, sont sans doute trop près de l’exploit pour s’en convaincre déjà, prudents et calfeutrés derrière un look anglais aussi peu démonstratif et dénué d’artifice que l’est leur musique (poils roux, teint diaphane et vêtements imperméables bien coupés). Les deux musiciens réservés sauront pourtant se montrer aussi loquaces et déniaisés que leur musique s’avère riche, naturellement touffue et très évocatrice à l’auditeur.

À l’écoute de Cold House, on a l’impression que vous vouliez vraiment éviter de donner un jumeau à l’album précédent ?

Chris : C’est très dangereux d’essayer de répéter ce que tu as déjà réalisé, car la tentation ­­de le faire existe toujours, et c’est assez naturel comme instinct. La plupart des enregistrements que nous avons réalisés juste après The Cycles Of Days And Seasons creusaient la même voie, et je ne pense pas que ce soit très intéressant pour l’auditeur, et a fortiori pour nous, d’entendre encore et encore cette même production.

RICHARD : Avec plusieurs Lp’s à ton actif, tu atteins un stade où le public cesse de s’intéresser à ton travail s’il a le sentiment de pouvoir l’appréhender de manière trop nette.

C : Un certain nombre de groupes sont très à l’aise dans l’exercice qui consiste à creuser le même sillon, mais moi, je sais que je n’irai jamais fouiller dans leur production ultérieure si je suis certain de savoir déjà ce que j’y trouverai. En tant que membre d’un groupe, tu te rends compte que tu n’auras sans doute pas l’opportunité de publier tant de disques que ça dans ta carrière et d’exposer ainsi le fruit de ta personnalité, c’est pour cela qu’il faut s’obliger à explorer différentes idées dès que possible.

Il faut voir cet album comme une réaction à son prédécesseur ?

On peut dire ça, mais ce n’est toutefois pas une réaction que l’on peut qualifier d’extrême, comme on peut en avoir juste après avoir achevé un disque. À ce moment-là, tu vas effectivement enregistrer soit quelque chose dans la stricte continuation, puisque tu es encore un tant soit peu dedans, soit au contraire travailler sur quelque chose de totalement différent, en pensant très précisément à ce disque qui est encore dans ton esprit, afin d’en réaliser l’exact opposé. Pour Cold House, il s’est passé suffisamment de temps suite à la sortie de The Cycles… pour que nous arrivions à un point d’équilibre, à un entre-deux qui ne peut s’obtenir qu’avec le temps. L’expérimentation nous a donné de nouvelles idées, mais pas de façon aussi extrême. Il ne s’agissait pas d’annihiler tout ce que nous avions fait précédemment, ça n’a jamais été notre but. C’est une réaction, oui, mais elle implique aussi une forme de continuation.

Il n’y a plus une, mais deux voix désormais. La seconde, qui est très nasale, revêt une texture bien différente de la première…

C’est moi qui chante d’habitude. Sur ce disque, j’alterne les parties vocales avec Dose One, le chanteur de clouddead. C’est un groupe américain de rap avant-gardiste. Ils sont signés sur un label de hip hop lo-fi nommé Anticon. On était intrigué par leur production, et l’on est entré en contact avec eux, tout simplement. On correspondait, on s’échangeait des disques… Et il s’est avéré qu’on partageait un feeling mutuel. On s’est rendu compte que le style vocal des disques de clouddead était incroyable, et qu’on pourrait tenter quelque chose, dans le genre : “On fait la musique et vous venez poser les voix”. Et puis, cela s’est mélangé. Dès le moment où l’on s’est intéressé à eux, cela a aussi impliqué d’aller se confronter à leur musique.

Autosatisfaction

L’aspect général du disque est en tout cas plus agile, moins contemplatif que les autres : vouliez-vous insuffler une forme d’énergie à vos compositions ?

­Je crois. Il y a tellement de groupes qui se complaisent dans une forme d’autosatisfaction, de la manière dont ils sonnent et de leur approche musicale. Je ne dirais pas qu’il y a une agressivité évidente à l’encontre de ça sur Cold House, mais je pense que c’est justement le moins “autosatisfait” de nos albums, celui qui combat le plus ce phénomène, en réaction à toutes ces formations à guitares qui proposent vraiment des trucs navrants sur scène, à force de statisme.

R : Sur nos disques précédents, on avait vraiment tiré sur la corde des sons abstraits. La façon dont on a produit les voix sur ce disque a été faite de manière délibérément agile, oui. Nous voulions chanter de manière plus présente, ne plus donner cette impression de chantonner pour nous-mêmes, de marmotter littéralement, qui était récurrente sur les deux derniers albums, jusqu’à en devenir une marque de fabrique. (Rires.)

Vous avez intitulé l’une de vos nouvelles compositions Enemy Of Time. Trouvez-vous que le monde de la musique est toujours aussi englué dans des questions de mode ?

C : Je comprends que tu prennes ce titre comme ça, mais il ne le faut pas. C’est plutôt que beaucoup des thèmes propres à notre musique sont en fait révélateurs de l’idée du temps qui passe.

R : Effectivement, beaucoup de groupes sont incapables de se dépêtrer de l’idée de genre et de période et tiennent même à se présenter de cette façon. Si tu fais ça, tu te claquemures. Heureusement, nous parvenons à éviter de ce genre de stratification, car si tu calques la vie de ton groupe sur celle d’un style musical, il risque de ne durer que le temps où ce style sera en vogue. On réagit vivement à ça et l’on fait beaucoup d’efforts pour veiller à ne pas être associés à un genre particulier.

On peut s’affranchir d’un genre musical précis, en ayant notamment recours à l’improvisation, mais cela ne va-t-il pas nier l’aspect mélodique ?

C : C’est très important de ne jamais perdre le souci mélodique. Tu communiques énormément par le biais de la mélodie, c’est en général ce sur quoi se base la musique. Il y a des exceptions bien sûr, j’aime moi-même des choses complètement amélodiques, de l’antimusique en quelque sorte. C’est en définitive une combinaison. D’une part, il y a le souci de garder des idées musicales perceptibles immédiatement aux gens, comme les mélodies et le chant. Dès que cela est acquis, se révèle d’autre part la liberté d’introduire certaines idées nouvelles. De cette façon, tu évites d’aliéner tes auditeurs. Forcément, si tu vas trop loin, les gens seront incapables de l’appréhender, de trouver un angle d’approche pour aborder ta musique. Nous ne voulons pas qu’ils risquent de ne rien en retirer. Avec une structure mélodique, cela permet d’emmener l’auditeur et d’aller plus loin en sa compagnie. On n’est pas du genre à vouloir brimer l’aspect mélodique et les sources de beautés que peut générer l’improvisation.

Ne pas séparer écriture mélodique et expérimentale vous est-il naturel ? Ce n’est après tout pas très évident de mixer deux formes aussi antinomiques…

C’est effectivement dur de réussir à ce que ce postulat n’apparaisse pas fabriqué, artificiel ou laborieux. Car ça peut arriver :  nous avions trouvé des textures sonores que l’on trouvait incroyables, mais elles n’apportaient rien à une quelconque structure mélodique, impossible d’en faire une chanson. Et vice-versa : on avait des compositions mélodiques qu’on aimait beaucoup, mais on a été incapable de faire en sorte qu’elle se “coagule” à un matériau plus expérimental. Les deux éléments filent en général dans deux directions opposées, c’est incontestable.

R : Nous ne voulions pas, par exemple, d’un background électronique qui produirait ses expérimentations de son côté. On voulait qu’il y ait une complète symbiose. Il vaut mieux se dire que la confrontation des deux va donner quelque chose d’intéressant et de neuf : ça, c’est déjà un bon départ, mais c’est très dur de faire la balance. J’espère que les compositions du nouvel album ne donnent pas cette impression de rafistolage !Cette sorte d’alchimie est difficile à expliquer, mais aussi à appliquer à un travail d’écriture…

Si tu t’installes dans le dessein de composer et que tu planifies scrupuleusement ta méthode, tu seras déçu par le résultat qui risque de ne ressembler… qu’à ce que tu as imaginé. Ou même d’être moins bon.

R : Il y a beaucoup plus de plaisir et de possibilités à poursuivre une recherche quand on choisit de se laisser surprendre par les accidents du studio et du temps. Il faut plutôt enregistrer avec des idées basiques, et avec une “sorte” de méthode plutôt qu’une méthode rigide.

Tenter de mettre une forme sur une composition improvisée, c’est un combat perpétuel, non ?

C : Oui, c’est le bien le problème ! (Rires.)

 

Symbiose

Pourquoi avoir choisi de baptiser cet album Cold House, un titre dont l’aspect très sombre, est plus dans la mouvance de vos Lp’s précédents ?

Je crois que c’est un intitulé qui se prête à ce disque d’une manière plus esthétique qu’intellectuelle.

­R : Je pense qu’il y a quelque chose de fondamentalement glacé vis-à-vis de la musique électronique en général. Les beats se prêtent plus directement à des climats froids.

C : C’est effectivement un titre qui pourrait laisser penser que c’est un disque très austère, dans la continuation des précédents. Les auditeurs seront donc d’autant plus surpris quand ils l’écouteront, mais pour ça, il faut faire l’effort de s’y plonger. (Sourire.) Cela sélectionne les candidats. (Sourire.)

Mais l’austérité n’implique pas toujours une dimension sombre.

C’est d’autant plus vrai que, désormais, notre musique est… moins sombre.

­R : Un album comme Rustic Houses And Forlorn Valleys (ndlr : sorti en 1998) était très redevable à ce que la musique peut avoir de sombre. Depuis, le groupe a indubitablement changé.

Sur le disque, on peut entendre des phrases telles que “you need to be cast away to find your way”

C : C’est sur l’album, ça ? (Rires.)

­R : Ce genre de dicton populaire comme “on ne peut pas être perdu si l’on ne sait pas où l’on va” fait partie des idées reçues : devoir traverser les abysses pour se trouver ! (Rires.) C’est une idée qui est dans l’esprit de tout le monde, mais il faut plutôt la voir de manière ironique quand on le chante. Nous ne sommes pas des musiciens sacrificiels !

Cold House sonne résolument comme très positif par rapport à vos objectifs, mais pourquoi les paroles ne suivent-elles pas la même voie ?

Chris se demande souvent comment on peut accoucher de paroles aussi déprimantes… Peut-être qu’on évoque par ce biais tous les aspects négatifs de notre vie, afin de se purger, les virer de là et être, par la suite, heureux le reste du temps ?

C : Beaucoup de gens sont la plupart du temps d’une humeur sombre et, de façon instinctive, il est avéré que l’on communique plus aisément avec des paroles dont le contexte général est lui aussi un peu désenchanté. Je crois qu’on est capable ainsi de toucher davantage le public. Avec des paroles gaies, on pense plus facilement que l’on se fout de toi. Ce n’est pas très sensible en tout cas, ce serait même très inconvenant, surtout avec tous ces déprimés ! (Rires.)

Un autre long format ?