Débordé de tous côtés par plus méritant, Pulp, plus accrocheur, Supergrass, plus opportuniste, Blur, ou plus consensuel, Oasis, Suede est redevenu un groupe comme les autres. Ou Presque. Car avec un leader de la trempe de Brett Anderson, ce groupe reste l’un des plus brillants représentants de la pop anglaise. Après avoir digéré l’échec commercial de Dog Man Star, intégré le petit Richard Oakes, recruté Neil Codling aux claviers et porté par un Coming Up revanchard, Simon, Matt et Brett n’ont jamais paru si affûté. Retour sur un parcours en dents de scie. A pas chassés, le sourire aux lèvres.

INTERVIEW Philippe Jugé
PARUTION magic n°10

Coming Up

Matt : Nous sommes très excités par la sortie de Coming Up. Tu comprends, nous attendons ce moment depuis Noël ! Au bout d’un moment, l’attente est vraiment frustrante. Depuis Dog Man Star, on nous juge juste sur les concerts ou sur les différents événements qui sont survenus ces derniers mois…

Brett : Chaque album est le point de départ d’une nouvelle aventure, surtout depuis qu’il faut attendre deux ans entre chaque disque pour des raisons commerciales… Avec Coming Up, nous n’avons pas le sentiment de repartir de zéro. Nous avons juste vécu une période de transition un peu longue… Intégrer deux nouveaux membres et établir de nouvelles relations de travail n’est jamais rapide. Mais je crois que le prochain disque suivra de près celui-là. Nous avons écrit et enregistré les trois derniers morceaux en quelques jours seulement. C’est la preuve que l’alchimie fonctionne, qu’il y a de nouveau osmose.

Ed Buller

B. : Nous avons décidé de travailler pour la troisième fois avec Ed Buller parce qu’il est le producteur le moins cher que nous connaissons… (Sourire.) Au début, nous avons songé à prendre quelqu’un d’autre mais cela aurait encore retardé le projet. C’est difficile de tomber sur la bonne personne puis ensuite d’établir une relation et des rapports suffisamment sains pour travailler efficacement. On s’entend plutôt bien avec Ed. Il n’a pas son pareil pour faire décoller un morceau et son style nous convient. Cependant, pour le mixage, nous avons tenu à faire appel à un nouveau technicien, histoire de changer de formule.

M. : En studio, Ed fait presque partie du groupe. Il n’est pas du style à rester planter derrière la console sans mettre son grain de sel, il n’hésite jamais à proposer des idées ou même à jouer du clavier, même si l’arrivée de Neil a limité ces interventions.

B. : Attention, sa présence à nos côtés pour la troisième fois ne signifie pas que notre relation est aussi harmonieuse qu’on le pense. Nous nous engueulons fréquemment mais nos rapports sont francs. Nous sommes souvent sur la même longueur d’onde mais lorsque nos avis divergent, il respecte nos choix sans arrière-pensée.

Trash

M. : Trash est le dernier morceau que nous ayons composé et d’entrée, il s’est imposé comme le single le plus évident même s’il n’est pas très représentatif du reste de l’album. Le rôle d’un premier single n’est pas de résumer le disque mais de passer sur un maximum de radios, non ? (Sourire.) Pour les autres morceaux, le travail de Richard s’est porté sur les textures, les ambiances. Celui-là est plus immédiat. C’est ainsi. Le prochain extrait, Beautiful Ones, sera plus représentatif.

B. : Je ne suis pas d’accord. Trash ne dépareille pas sur Coming Up. C’est une bonne entrée en matière. Et je suis particulièrement satisfait des faces B qui explorent une facette plus introspective, plus mélancolique mais sans sonner trop mélo.

M. : D’ailleurs, l’idée d’une compilation revient assez souvent dans nos discussions en ce moment. Et le succès de Killing Of A Flash Boy en concert n’y est pas étranger. Le projet verra peut-être le jour avant la fin de l’année prochaine ou tout début 98.

Richard Oakes

B. : Je suis très satisfait de mon partenariat avec Richard. Notre collaboration est très flexible. Les chansons ne viennent jamais de la même façon car notre méthode est plus variée. Ce n’est plus la confrontation de deux approches, de deux personnalités mais un vrai échange autour d’un riff, d’une mélodie, d’un accord ou d’un refrain. Et sur les chansons que j’ai composées seul, il s’est mis à leur service en en saisissant parfaitement la teneur. Il est très disponible, très discipliné, il ne cherche jamais à se mettre excessivement en valeur… Il est très prolifique mais son jeu, ses goûts, ses influences débouchent parfois sur des morceaux qui ne conviennent pas au Suede d’aujourd’hui. Mais ça ne le dérange pas, il les garde pour plus tard ou pour lui ou cherche à les faire évoluer. Il a compris que ce qui était bon pour le groupe était bon pour lui. Peu de musiciens doués ont cette humilité… Nous avons seulement écarté trois ou quatre chansons dans leur intégralité, nous le corrigeons sur des petits détails, des arrangements, des notes superflues, toutes ces petites choses qui donnent la couleur d’un album.

Neil Codling

B. : Je ne peux pas vraiment parler de ma relation avec Neil, c’est encore trop tôt. Nous n’avons écrit que deux morceaux ensemble pour le moment mais je crois que cela va fonctionner. Comme Richard, il a une bonne approche du groupe. Attention, que les choses soient claires, je ne les considère pas comme des remplaçants ou des musiciens de session. Tous les deux sont membres à part entière de Suede mais c’est vrai que lorsque l’on arrive dans un groupe comme le nôtre, qui a un passé, un style, il faut s’y intégrer et se conformer à certaines exigences.

Richard + Neil = Bernard

B. : Depuis deux ans, l’histoire de Suede ne tourne qu’autour de la rupture Anderson/Butler. Tout le monde a voulu y mettre son grain de sel : “Tu aurais dû faire ci, ne pas faire cela, réagir ainsi, pas comme cela”… C’est très, très fatigant. Une fois pour toutes, Bernard est un musicien… talentueux mais nos routes se sont séparées et nous n’avons pas cherché à le remplacer poste pour poste. C’est toujours difficile de remplacer un membre important et aussi doué dans un groupe. Immédiatement, dans notre esprit, son départ signifiait que Suede changerait de dynamique. Nous cherchions quelqu’un et nous avons trouvé deux personnes, c’est tant mieux, non ?

New Generation

B. : Beaucoup ont vu ce maxi comme une sorte de passage de témoin entre Bernard et Richard. D’un côté New Generation signé Butler/Anderson, de l’autre Together et Bentswood Boys signés Oakes/Anderson… Et puis le titre s’y prêtait mais c’est une coïncidence… Dans mon esprit pourtant, ce maxi est intimement lié à Dog Man Star, ce n’est pas une transition. Together est la première chanson que j’ai composée avec Richard. J’adore ce morceau qui, je crois, est très bon. D’ailleurs je voulais qu’il figure sur le nouvel album. Nous en avons réenregistré une version que je voulais ajouter en bonus. Et puis finalement, ça ne s’est pas fait. Dommage… Comme nous savions que ce ne serait qu’une face B, nous l’avons enregistré à la va-vite, sans lui donner le relief qu’elle méritait.

Petite annonce

M. : Tout le monde s’est étonné du procédé de la petite annonce pour recruter un guitariste. Bien sûr, nous aurions pu engager un nom connu, une pointure mais cela ne nous intéressait pas. Nous voulions quelqu’un qui fasse la démarche de venir à nous sans être attiré par l’aura du groupe, sa célébrité, l’argent, les voyages… Alors, c’est sûr, la démarche était risquée mais devant une telle situation, c’était la meilleure solution. A force d’essayer de limiter les risques, beaucoup de groupes végètent dans une sorte de consensus mou. Deux ans après, nous ne regrettons rien et les faits nous ont donné raison : le groupe existe encore et mieux encore, vient d’enregistrer un excellent album.

B. : On accorde d’une façon générale trop d’importance au guitariste. D’un côté, c’est normal s’il compose mais de l’autre, il faut aussi un bon batteur ou un bon bassiste. Ceci dit, la méthode qui a marché pour nous, aurait-elle marché pour, disons, The Smiths ? Richard a parfaitement endossé le rôle, il est naturellement doué, il apprend vite et il est ambitieux. C’est l’homme qu’il nous fallait.

M. : Tu vois, pour Neil, nous avons fonctionné différemment et ça marche aussi. C’est le cousin de Simon. Il nous suit depuis le début, venait aux concerts et “s’arrangeait” toujours pour oublier un journal ou son sac lorsqu’il venait aux répétitions… (Sourire.) On a fini par l’engager…

Peter Saville

B. : Dès nos débuts, il s’est signalé à notre attention. Il semblait intéressé pour travailler sur nos pochettes. Je l’ai rencontré et nous avons sympathisé. C’est vraiment un chic type et il est devenu l’un de nos meilleurs amis. Du coup, nous lui avons demandé de travailler sur Coming Up.

M. : Il prend son travail très au sérieux. Parfois trop. Il ne laisse rien au hasard et peut passer des heures sur le détail d’une ombre qui ne lui convient pas.

B. : Deux ou trois personnes nous ont fait le reproche d’une pochette trop connotée 70’s. Un comble lorsque l’on sait que tout a été fait par ordinateur ! Moi, je la trouve très futuriste, presque avant-gardiste, et résolument moderne.

David Bowie

B. : Dès que l’on fait du rock avec un peu d’allure, on est catalogué glam… Nous nous inscrivons dans une veine plutôt classique, les comparaisons avec Bowie sont donc flatteuses… Et puis je ne m’en cache pas, je suis un grand fan de David Bowie.

Couverture Vox

B. : (Gêné.) Je ne me souviens pas de cette couverture… Tu sais, je ne lis pas tout… La seule chose dont je me souvienne, c’est que nous ne travaillerons plus jamais ensemble. C’est sûr. Le groupe est reparti sur de bonnes bases et n’a jamais aussi bien fonctionné qu’aujourd’hui. Je me moque de ce que Bernard fait. Il n’a pas besoin de nous et nous n’avons plus besoin de lui. Oui, après le départ de Bernard, nous avons évoqué la possibilité de dissoudre le groupe… Dans ce genre de cas de figure, c’est juste l’une des options possibles… Mais je ne crois pas que c’était la meilleure solution. J’ai toujours pensé que ce groupe avait quelque chose de plus donc nous avons décidé de continuer.

Suede : les sauveurs ?

B. : Je crois sincèrement que notre groupe a sauvé la pop-music anglaise à une époque où on ne jurait que par les USA. Regarde, entre les Stones Roses et nous, il n’y a rien eu. Plus modestement, la seule chose que nous ayons faite, c’est d’écrire des chansons. Notre premier album est le premier classique des années 90. Il a remis l’industrie musicale anglaise dans la bonne direction. Et puis regarde, il n’y a plus de groupes aujourd’hui dont les membres se baladent en short et avec des dreadlocks, non ?… (Sourire.) En 91, 92, ils étaient encore nombreux… Mais nous refusons d’être associés à ce qu’on appelle la brit-pop.

M. : Nous n’avons rien en commun avec Oasis, The Bluetones ou Supergrass. Ce terme ne définit qu’une réalité géographique. Rien de plus.

Rivalité Blur/Oasis

M. : C’est un bon moyen de vendre des disques, non ? Les jeunes loups du marketing moderne rivalisent d’audace pour faire vendre.

B. : Attends, la méthode n’est pas nouvelle, l’histoire de la musique est jalonnée de coups montés comme celui-là. Honnêtement, je ne voudrais pas Suede soit pris dans un tel engrenage mais cela ne me dérangerait pas que l’un de nos disques sortent en même temps qu’un Blur, qu’un Oasis ou un Pulp.

Dog Man Star

B. : Je ne sais pas pourquoi ce disque n’a pas eu le succès qu’il méritait… Bien sûr, on peut attribuer ce semi-échec au départ de notre guitariste… Le disque en a souffert, c’est sûr, mais ce n’est certainement pas la seule explication. Je crois que Dog Man Star était trop difficile d’accès, pas assez commercial. C’est presque un concept album dans la façon dont il est construit… Et puis souviens-toi, nous avons sorti We Are The Pigs en premier single, un morceau pas vraiment commercial et au titre peu flatteur… (Sourire.) Ceci dit, ce n’est pas un échec commercial. Nous en avons tout de même vendu 300 000 exemplaires en Angleterre et nous avons doublé nos ventes par rapport au premier album dans plusieurs pays d’Europe dont le Danemark, la Hollande, l’Espagne et… la Suède.

M. : L’essentiel, c’est que les rapports avec Nude soient toujours excellents. Saul Galpern, le boss, est toujours notre premier fan. Comme au tout début lorsqu’il s’est penché, le premier, sur le groupe.

Image sophistiquée

B. : Tout groupe quoiqu’il fasse a une image. On a beaucoup parlé de l’absence d’image chez Nirvana mais c’est un groupe qui avait une identité très forte en raison de la personnalité de Kurt. Même Oasis ou Supergrass ont une image. Porter un t-shirt, un K.Way ou un costume n’est jamais innocent. Alors, c’est vrai, l’image sophistiquée de Suede ne colle peut-être plus à l’air du temps… Nous en sommes très conscients mais nous nous sommes toujours habillés de la sorte. Au début, je rigolais lorsque l’on insistait sur notre attitude, lorsque les gens écrivaient que notre look était étudié alors que c’était notre façon d’être dans la vie de tous les jours. Nous ne sommes pas aussi attirés par la mode qu’on le pense. J’entends dire à droite ou à gauche qu’il n’y a plus de glamour, ni de star dans le rock d’aujourd’hui mais c’est faux. Jarvis, ce n’est pas une star peut-être ?

USA

B. : Les USA ne sont pas dans nos priorités dans les prochains mois. Nous avons bien mieux à faire en Europe. Nous ne sommes pas prêts à tourner pendant un an… Nous considérons plus important de satisfaire le public européen. Et je ne veux pas entendre parler d’ambitions revues à la baisse ! Dans notre position, nous devons faire des choix. Les USA en ont subi les conséquences. Et cela n’a rien à voir avec les supposés déboires que nous y avons rencontrés. J’ai lu partout que notre tournée avec les Cranberries en 93 avait été un cauchemar. C’est complètement faux. Tous les soirs, nous jouions devant 1000 à 2000 personnes et l’accueil qu’on nous y a réservé était vraiment chaleureux. Même si cette tournée a profité aux Cranberries, je garde d’excellents souvenirs de cette campagne. Mon seul problème avec les USA, c’est ce changement de nom pour des problèmes idiots de droit. London Suede, je ne m’y fais pas.

The Boo Radleys

B. : Je crois que ce sera une bonne affiche cette tournée Suede/Boo Radleys. Je crois que ce sont des gens sympathiques même si nous ne les connaissons pas beaucoup. Nous ne sommes nullement animés par un esprit de compétition particulier. Que ce soit avec n’importe qui en première partie, nous essayons toujours de donner le meilleur de nous-mêmes. Pour les rivalités, il faudra repasser.

1ère couverture

M. : Nous n’avons jamais regretté cette couverture de Melody Maker. A l’époque, nous tournions avec des groupes comme Resque ou Divine Comedy première mouture dans des petites salles et devant des assistances pour le moins clairsemées… Tout groupe complètement inconnu rêve à de tels débuts même si, du coup, la barre est placée très haute. Mais je ne crois pas que cela ait changé grand-chose. Musicalement s’entend. Et on ne le répètera jamais assez, seules les chansons et la musique comptent. Pour le reste…

Un autre long format ?