Troubadour chouchou de l’internationale lo-fi, Smog tente avec The Doctor Came At Dawn  l’abandon de l’esthétique quatre-pistes-chambre-à-coucher en même temps qu’il entame en solo une nouvelle phase dans la carrière du groupe. Causerie avec Bill Callahan autour de ce nouvel album magistral et déjà indétrônable.

ARTICLE Joseph Ghosn
PARUTION magic n°10Bill Callahan est un jeune homme charmant. Les légendes qui voudraient faire de lui un personnage plutôt irritant parce que peu enclin à la causette se dissipent au moment même où il se met à parler et à évoquer tour à tour la musique de Smog, abondamment, et sa vie, avec beaucoup de parcimonie.

“Ces derniers temps, même si ce nouvel album ne le montre pas, je préfère écouter de la musique réjouissante et non plus dépressive, des choses qui remonteraient le moral… J’aime bien, par exemple, cet album de George Harrison, All Things Must Pass, où malgré la tristesse des chansons et des sujets traités, l’impression générale est assez positive et réconfortante… Tout  vaut mieux qu’être triste”.

Mettons tout de même les choses au point : The Doctor Came At Dawn, le nouvel album de Smog, n’est pas à proprement parler un disque pour faire la fête ou pour se sortir facilement des moments de déprime. Loin de là. Reprenant les obsessions familières, déjà rencontrées au détour de précédents disques comme Wild Love ou Julius Caesar, The Doctor Came…  s’écoute comme une nouvelle déclinée le long de dix morceaux. “Ce titre, The Doctor Came At Dawn, est la dernière phrase de l’album. Le disque raconte une courte période, quelques jours, une semaine, de la vie de quelqu’un, un peu comme Wild Love qui racontait l’histoire d’une vie. A la fin de The Doctor …, le personnage meurt et le médecin n’arrive qu’après. Même si cette phrase n’est pas prononcée dans l’album, elle en est, en fait, le point final”. Et tout au long de ce récit, on retrouve abordés désillusion implicite, cynisme distancié, couples avortés, solitude et histoires à trois. Bref, le lot quasi-religieux des adeptes de la grand-messe Smog. Pourtant, malgré la volonté narrative de Bill Callahan et son talent certain de conteur, on ne tient pas là le premier concept–album de l’histoire lo-fi.

Un choc

D’une part, les chansons de The Doctor… tiennent parfaitement le choc hors du contexte global de l’album. You Moved In, le morceau d’ouverture, est un chef–d’œuvre de justesse et de précision, à la fois dans le ton et dans l’orchestration : renvoyant logiquement à Your New Friend, morceau phare de Kicking A Couple Around, Ep sorti au printemps, l’atmosphère et les sentiments ici évoqués rappellent également des morceaux comme Two People In A Room  de Wire, les sursauts violents en moins, la tension sous-jacente en plus. De plus, Smog semble quelque peu s’éloigner des racines dites de basse-fidélité qui ont fait la réputation du groupe.

Revenant sans doute un tantinet sur les déclarations d’amour et de fidélité faites à son quatre-pistes, Bill a enregistré les titres de The Doctor…  dans un studio seize-pistes : “La différence est énorme. C’était un enregistrement fait dans un vrai studio, payé à l’heure. Pour cet album, j’ai essayé d’être rapide, c’est certainement le disque le plus rapide que j’aie jamais fait. J’ai tout enregistré en six jours. Finalement, le but serait de me sentir aussi bien en studio que chez moi”. Cette rapidité, et ce changement drastique dans l’exécution de ses disques, semblent quelque peu troubler Bill Callahan : “C’est certainement le disque au sujet duquel j’ai le plus de doutes… Sans doute parce que je l’ai enregistré très rapidement. Le premier jour, j’ai posé les bases de cinq morceaux, avec la guitare acoustique. D’habitude, on retravaille ces premières moutures, mais là, j’ai voulu tout garder. Ce qui fait que j’avais pratiquement cinq morceaux en une journée : c’est énorme ! Ce fut comme un choc. Oui, je crois que c’est le bon mot : un choc”.

 

Un troisième larron

Si, ces derniers temps, la maison Smog se met à avoir des envies de changer d’air, le grand ménage de printemps n’est pas pour autant synonyme de bouleversements majeurs et les électro-chocs du seize-pistes n’entraînent pas la folie des grandeurs. Sur The Doctor Came At Dawn,  Bill Callahan s’est occupé tout seul de la production et a joué de tous les instruments : un véritable disque en solo, ponctué par la présence aux chœurs de sa complice Cindy Dall. Et s’il confirme bien quelques envies passagères d’orchestrations plus luxuriantes, son éthique ne sacrifie toujours rien à l’efficacité. Les prestations live sont, depuis les deux dernières tournées, essentiellement accomplies seul, guitare acoustique à la main : “Je crois que j’en ai eu marre au bout d’un moment des tournées avec un groupe au complet, un batteur, deux guitaristes. Il y a toujours des choses qui vont de travers, malgré tous les soundchecks du monde. C’est la seule manière, avec une guitare, de minimiser les risques et c’est plus facile pour faire un bon concert. Pour moi, ça revient au même, je fais toujours la même chose : je joue de la guitare et je chante”.

De plus, Smog semble tout à fait satisfait de son écurie actuelle :  “Je suis très content de mes relations avec Drag City. Tout ce que j’entends à propos des gens qui sont sur des majors n’est pas très drôle. Trop de problèmes, trop de probabilités pour se retrouver endetté sans que ça serve à quoi que ce soit”. Lorsque l’on sait aussi que “depuis trois ans et demi, Smog me fait vivre”, on comprend aisément la volonté de Bill de conserver sa place au sein de la scène underground US. Scène qui, d’ailleurs, rassemble des groupes avec lesquels il ne se reconnaît pas vraiment de points communs, malgré un faible avoué pour la musique de Palace, le groupe de Will Oldham.

Tout comme ce dernier, Smog n’hésite pas, d’un album à l’autre, à renouveler son horizon musical et envisage l’enregistrement d’un nouveau disque – dont la sortie serait déjà prévue pour l’automne – en compagnie de Jim O’Rourke : “Il sera entièrement différent et ne ressemblera à rien de ce que j’ai déjà fait”. A l’écoute de morceaux comme Hangman Blues  ou Whistling Teapot, on se demande si l’évolution musicale de Smog ne va pas se faire dans le même sens que celle d’un Tim Buckley, chez qui l’exploration vocale devient, au fil des albums, prépondérante : “Depuis toutes ces années, et sans que cela soit conscient, plus je chante et plus ma voix fait des choses bizarres”.

Smog, on l’aura compris sans beaucoup de peine, officie au sein d’une communauté restreinte qui nous a déjà donné Tim Hardin ou Tim Buckley, celle des compositeurs qui tentent de mettre leurs tourments en musique, comme pour essayer d’y échapper mais sans jamais y parvenir réellement. “Si je reviens souvent sur des histoires à trois personnages, c’est sans doute parce qu’inévitablement, il y a toujours un troisième larron” . Les chansons de Smog ne se consomment pourtant qu’en solitaire ou, à la rigueur, entre forcenés d’un onanisme autiste.

Un autre long format ?