Curieux parcours que celui de Mark Van Hoen alias Locust. Hier, tenant d’un impressionnant terrorisme sonore electro-industriel, aujourd’hui reconverti aux joies des instruments acoustiques, des voix lyriques et de classieux arrangements baroco-classiques sur fond de nappes synthétiques. Le résultat de cette métamorphose se nomme  Morning Light, pur chef-d’œuvre de groove sensuel et d’ambiances crépusculaires. L’un des plus beaux disques de musique électronique et organique depuis le Blue Lines de Massive Attack. Explications.

ARTICLE Fabrice Desprez
PARUTION magic n°14Mark Van Hoen, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’est pas belge. Ce trentenaire raffiné et précieux au nom évocateur, signé depuis quatre ans sur le label-référence de Gand, R&S, est pourtant un londonien pure souche. “Les nombreux voyages que j’ai effectués ces dernières années me permettent d’affirmer que Londres est aujourd’hui la ville la plus éclectique, tous les mélanges y sont possibles et je pense que Morning Light est à ce titre un bon reflet de l’atmosphère de cette ville en 96“. Mais Morning Light est aussi le miroir assez  unique d’un parcours musical original. Dès 81, Mark commence à écrire des morceaux proches de la vague electro-pop des Depeche Mode, Human League et autres OMD.

Pendant cinq ans, la simple existence de sa musique lui suffit, puis vers le milieu des 80’s, il décide de démarcher des labels, en parallèle avec un job de technicien-son pour la télévision britannique. L’attente durera… sept ans, puisque sa musique ne trouvera d’écho positif chez R&S qu’en 93, après moult évolutions stylistiques. “Cette période d’attente a parfois été frustrante et décourageante, mais j’en suis finalement satisfait car elle m’a permis d’améliorer ma musique, de la mûrir au fil de mes expériences personnelles“. Ainsi, au fur et à mesure, Mark découvre des références plus pointues comme Brian Eno, Kraftwerk ou Cabaret Voltaire, avant d’être ému par la vague 4AD des Cocteau Twins et autres Dead Can Dance. “A ce moment, entre 88 et 90, j’ai été très démuni, j’ai dû vendre mes synthés, je ne m’intéressais plus à la musique“. Ce ne sera que pour une courte durée.

 

Introspectif

Depuis qu’il a signé chez R&S fin 93 sous le nom de Locust, Mark s’est rapidement fait un nom dans une scène electronica puriste. Sa musique métallique, agressive, répétitive, parfois quasi-industrielle fait parfois penser à un croisement d’Aphex Twin avec un marteau-piqueur, à l’image de son premier album Weathered Well, sorti début 94. Tout ceci peut sembler éloigné des clubs et de la fête, mais comme le précise Mark : “Ça n’est que ma propre interprétation du mouvement“. Mais il ne renie pas pour autant ses facettes ambient et exorcise ses années d’attente en sortant In Rememberance Of Times Past, compilation de ses meilleures compositions atmosphériques écrites entre 82 et 87, sur Apollo, prestigieux sous-label ambient de R&S : “Tous les morceaux valables de ma première période sont ainsi disponibles et je considère cette page comme définitivement tournée“, déclare-t-il. Pas si sûr. Car, après un sevrage de drogues en 95, Mark prend peu à peu conscience d’un autre problème lié à sa musique : le manque d’accessibilité.

“J’étais devenu vraiment trop obsédé par la technique, la technologie et Truth Is Born Of Arguments, mon dernier album en date, avait ainsi reçu un excellent accueil… des autres musiciens. Mais l’accueil critique et public a été plus réservé. Ça a été assez dur pour moi, car je pensais toucher un public plus large. Mais je me suis rendu compte que j’étais trop introspectif. Or, pour moi, l’aboutissement, le but d’un musicien est de jouer pour les gens, de pouvoir présenter sa musique à une audience“. Et c’est ainsi que, à la fois fatigué des excès et désireux de toucher un public plus large, Mark opère un étrange et somptueux revirement acoustique et dévoile à plus de 30 ans, Morning Light, son album le plus reposé, mûr et lyrique à ce jour. “C’est mon mode de vie qui guide ma musique et non le contraire. Le titre Morning Light était là dès le début, c’était pour moi un nouvel éveil, il reflète tous les changements que j’ai voulus dans ma vie, sans pour autant renier mes convictions musicales. Ainsi, même si j’ai beaucoup écouté Joni Mitchell ou Nick Drake ces deux dernières années, je reste énormément redevable à l’électronique“. Ce disque est, selon Mark, relativement comparable à ceux de Lamb et surtout Beth Orton, pour cette atmosphère de “folk post-club”.

Vidéo-sample

Après avoir attendu douze ans avant de sortir son premier disque, Mark est aujourd’hui extrêmement prolifique. Boulimique, il s’est amplement rattrapé puisque Morning Light à peine sorti, son… huitième album est déjà annoncé sur Too Pure en juin, associé cette fois aux trois-quarts de Seefeel sous le nom de Scala, dans une tendance noisy-pop électronique avant-gardiste. “Seefeel sont de bons amis, j’ai déjà fait deux albums avec eux : un pour Scala et un, plus expérimental, avec Mark Clifford“. Il faut dire qu’il ne traîne pas en studio et sa parfaite maîtrise de la technologie lui permette d’appliquer immédiatement ses nombreuses idées. “Au début, je jouais beaucoup avec des instruments analogiques, sans sauvegarder : la première prise était la bonne. Mais même si ça devient plus complexe et long aujourd’hui car j’utilise une technologie plus raffinée, un album ‘électronique’ reste très rapide à réaliser”. Les progrès de la technologie au service de la “rentabilité” artistique ? Morning Light n’aura pris que six mois à écrire et enregistrer, et encore, à mi-temps, entre les nombreuses activités et collaborations de Mark.

“L’écriture de chansons plus ‘traditionnelles’ n’a pas été un obstacle, c’était en quelque sorte un retour à ce que j’ai pu faire dans les 80’s, c’est un album pop. De même, chaque morceau incorpore au moins un instrument en live, une guitare, une trompette ou des arrangements de cordes”. Mais pourquoi ne pas être allé “jusqu’au bout” et n’avoir pas enregistré l’album intégralement avec des musiciens, voire un orchestre traditionnel ? “Je sais que toutes les chansons de Morning Light auraient entièrement pu être jouées ainsi mais je n’ai pas les compétences requises et il est très important pour moi de garder le contrôle de ma musique”. Pourtant, les vocalistes – six en tout, dont Neil Halstead de Slowdive/Mojave 3 sur le majestueux On The Horizon – ont chacun écrit leurs textes, mais comme le précise Mark, “ils sont en totale harmonie avec le disque. Quant aux samples, ils restent très localisés”.

Justement, c’est par les samples que Locust pourrait rapidement accéder à une réputation mondiale pour ses prestations live. En effet, pour sa tournée à venir, Mark prévoit de développer le concept qu’il a initié de “vidéo-sample” : “Pourquoi en effet ne pas sampler l’image en même temps que le son ? Pendant les concerts, il est intéressant de monter l’image en boucle au même titre que le son. J’ai ainsi en stock ‘son-image’ des instruments, mais aussi des extraits de films. Le vidéo-sampling a été, début 95, le symbole de mon désir de clarifier ma vie, à travers cette clarification des samples. Mes prochains live comprendront donc un bassiste, un batteur, des chanteurs (ndlr : Zoe Niblett et Craig Bethell, désormais vocalistes attitrés de Locust) ainsi qu’un vidéo-sample, que je maîtrise parfaitement après le succès de The Sound…The Picture…Will Be…, mon moyen-métrage de 95 qui utilisait cette technique”.

Quoi qu’il en soit, ce changement dans la carrière de Locust est très bien perçu par R&S, le plus gros label techno du monde, qui a suivi une évolution parallèle à son poulain, désirant aujourd’hui se diversifier dans des sorties plus traditionnelles. “C’est une évolution naturelle, Morning Light est à mon avis mon meilleur album, certainement une étape vers la maturité que j’espère atteindre d’ici deux ou trois disques”.

Un autre long format ?