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Sonic Boom par Ian Witchell

Trente ans après avoir fait paraître son premier album solo, "Spectrum", Peter Kember aka Sonic Boom, cofondateur de Spacemen 3 avec Jason Pierce, dévoile cette année "All Things Being Equal", long format où il creuse encore et toujours son sillon neo-psychedelia de synthétiseurs analogiques vintage. L'album d'un ermite qui observe avec déception et poésie le possible effondrement à venir. Entretien distancié, réalisé en plein confinement.

Comment as-tu vécu cette période de confinement ?

Oh, bien… Tu sais, je vis au Portugal, dans le coin montagneux de Sintra, pas loin de Lisbonne. Et à vrai dire, ça fait des décennies que je me confine, à bien des points de vue. Normalement, les musiciens sont rodés à ce genre d’exercice. Il y longtemps maintenant, j’ai décidé de vivre dans un endroit bienfaisant… Et aujourd’hui quand je regarde par la fenêtre de ma salle de bain, le matin, je vois le plus beau ciel, et certains jours, ça me donne envie de pleurer. Au Portugal, où il pleut beaucoup et où il y a beaucoup de soleil, il est possible de faire pousser de très belles plantes. Donc aujourd’hui, quand tout le monde est confiné, je me sens incroyablement chanceux. Je n’ai vraiment pas à me plaindre.

Justement, cet album a été enregistré bien avant le confinement, mais porte en lui cette idée d’effondrement que beaucoup voient liée à situation sanitaire actuelle.

La planète, l’humanité et la civilisation, ou ce qu’on appelle civilisation approchent de l’effondrement. Nous avons intoxiqué notre planète à tel point qu’en vingt ans seulement, nous avons vu disparaître 75 % des insectes, alors que l’on sait que ce sont créatures fondamentales pour notre existence sur cette planète et pour la symbiose entre les animaux et les plantes… Les gens ont perdu conscience de tout ça et nous avons tous été séduits par des années de consumérisme. Donc c’est à nous d’essayer de changer les choses, à notre échelle, parce que je ne crois pas que les politiciens fassent quoi que ce soit. Oui, j’ai voulu mettre un peu de tout ça dans cet album, qui au fond, est sur le changement positif.

Qu’est-ce qui t’a inspiré ces réflexions ?

Pendant la confection de l’album, j’ai beaucoup pensé à ce génie absolu qu’est Buckminster Fuller. C’est un architecte célèbre, particulièrement connu pour avoir conçu le dôme géodésique, qui disait vouloir bâtir des choses seulement si elles sont utiles aux gens. Pour lui, et je partage cette idée, toute chose trouve sa place naturelle dans le système si elle est utile. Et j’ai voulu aussi faire ça, créer un album utile, inspirant et beau, dans le climat actuel qui exige que nous simplifions nos vies. Il faut du changement.

Tu penses que la musique, aujourd’hui, peut aider ces idées à gagner la population et à vraiment engendrer le changement ?

Oui, je le crois. Des gens comme les Beatles étaient parmi les premiers groupes à être sensibles à la cause écologique et à mettre ce message en avant. Je ne crois pas que l’on puisse atteindre toute la population ainsi, mais certaines personnes. Je sais, au regard de ma propre expérience, que ça peut faire écho chez les gens et leur montrer un meilleur chemin… La musique a ce pouvoir… Des mots puissants, accompagnés d’une certaine musique, seront magnifiés. Il ne faut surtout pas sous estimer la valeur inspirante de la musique.

Je sais quel rôle la musique a pu jouer dans ma vie et qu’elle aurait été bien plus dure si je n’avais pas eu Kraftwerk, Suicide, les Stooges

Peter Kember aka Sonic Boom

Cet album ne porte pas la colère que tu manifestes là…

Je ne suis pas en colère, je suis déçu. Tu sais, je fais aussi parti du problème, je suis né dans la génération plastique. Dans ma vie, tout est fait de plastique.

Etais-tu concernés par ces sujets environnementaux dès l’époque de Spacemen 3 ?

J’ai écrit la chanson The World Is Dying en 1989, parue sur la face B du single Hypnotized en 1989, et Transparent Radiation, en 1987 dont les bénéfices ont été reversés à Greenpeace à l’époque. Mais ce serait mentir que de dire que ça comptait autant pour moi à l’époque… Quand tu es jeune, tu vis ta vie, tu écoutes tes hormones…

Dans le communiqué de presse, tu dis : “La musique créée dans la stérilité sonne stérile. C’est mon idée de l’enfer.” Quelle est cette stérilité en question ?

Pour moi, tu sais, être dans un environnement naturel, ou ne serait-ce que proche de la nature, c’est très important. La musique des Beach Boys a une chaleur que même un Russe ou un Chinois peut sentir à cause du soleil de Californie. La musique s’imprègne de ce dans quoi elle baigne. Pendant une partie de ma vie, j’ai passé des étés enfermé dans dans des studios sans fenêtres, et progressivement, je me suis résolu à sortir de ces boîtes.

Considères-tu que cette époque avec un climat dégradé rend la musique contemporaine stérile ?

(Silence) Je dirais plutôt que la musique des années 60, 50, voire 40 entre plus facilement en résonance avec moi que celle des années 2010. En fait, un des grands changement pour cet album a été que j’ai autant voulu y ajouter des sons venus d’une sorte d’utopie futuriste que des touches de nostalgie.

Ce qui a toujours été un peu ton cas. Au fil des années, as-tu changé ta routine créative ?

Je suis plutôt paresseux et je ne suis pas le plus régulier dans ma pratique. Par contre, j’aime ces nuits d’efforts intenses durant lesquelles je m’expose le plus possible, ce qui parfois fait ressortir un message profond et parfois sombre. Je pense souvent à une interview de David Bowie, où se demandait comment savoir quand quelque chose de bien se passe en studio. “Si tu te sens en sécurité dans la zone où tu travailles, c’est que que tu ne travailles pas au bon endroit. Il faut toujours s’aventurer un peu plus loin que là où tu as pied. Et quand tu sens que tes pieds ne touchent plus le sol, c’est que tu es au bon endroit pour faire quelque chose d’excitant.” Quand tu as peur, c’est probablement à ce moment qu’il se passe quelque chose de bien.

As-tu éprouvé cela en concevant ce disque ?

Oui, et quand j’ai créé ces instrumentaux et que je les ai montrés à mon ami Tim Gane de Stereolab, il m’a dit de les sortir ainsi. L’ambiance et l’atmosphère étaient tellement fortes que les paroles allaient vraiment pouvoir résonner avec. Je sentais que cette combinaison allait être vraiment puissante. J’ai vraiment galéré, j’ai passé des semaines sans dormir, ou à me réveiller paniqué… Donc ce n’est pas de la peur, c’est plutôt de la panique (rires). C’est une pression immense pour moi de faire un album. D’un côté, c’est juste moi et ma musique, mais de l’autre, c’est aussi un cadre pour ma production… Je dois porter de nombreuses casquettes : celle du producteur, de l’auteur, de l’ingénieur… Que des perspectives différentes sur la musique qui font partie d’une symbiose pour créer quelque chose de plus grand que ses parties. Je dois faire tout ça moi-même… Je me mets beaucoup de pression, mais je pense que la bonne musique nait ainsi.

C’est probablement aussi pour ça que tu as mis autant de temps pour sortir cet album, presque trente ans.

Yeah, enfin, je ne précipite jamais les choses et j’aime bien les laisser reposer, comme ça, quand j’y reviens, je saisis directement ce qui importe. J’ai toujours fait comme ça. Je l’ai déjà dit pendant des décennies, mais je n’ai jamais vraiment désiré sortir de nombreux albums. Juste quelques-uns qui puissent résonner avec des auditeurs, et engager une sorte de conversation avec eux. J’ai toujours voulu m’en tenir à cela. Je sais quel rôle la musique a pu jouer dans ma vie et qu’elle aurait été bien plus dure si je n’avais pas eu Kraftwerk, Suicide, les Stooges et tous ces groupes qui m’ont aidé à traverser des moments compliqués… Si la musique peut aider à faire ça, elle ne peut rien faire de mieux.

SONIC BOOM
All Things Being Equal
(Carpark Records) – Disponible depuis le 5 juin 2020

Un autre long format ?