Charlie Steen (Shame), Route du Rock 2018
© Magic

Magic a rencontré Shame au Lévitation à Angers, avant son apparition à l'Arte Concert Festival jeudi puis au Bataclan en avril 2022.

Tête d’affiche du festival Levitation à Angers, fin septembre, date qui marque le retour du groupe en France, Shame fait son entrée sur scène sur la chanson Alors on danse de Stromae. Un choix approprié pour annoncer le point culminant de deux jours de concerts à l’énergie, dans des conditions normales (on les avait presque oubliées en deux ans de pandémie).

La nuit tombée, c’est un public et un groupe tout deux en manque d’expérience live qui se sont rencontrés au sommet. Si le dernier album des Londoniens,  Drink Tank Pink, a été écrit avant l’épisode Covid-19, l’introspection, l’isolation et la descente aux enfers émotionnelle qu’a vécus le chanteur Charlie Steen n’a sûrement rien d’étranger à ceux qui constituent la foule devant eux.

Shame a été, un temps, considéré comme les jeunes prodiges du rock anglais (Steen et sa bande tournaient déjà à peine leur quinzaine fêtée). Sa performance n’a plus rien d’un accident. Le travail se voit et s’entend. Pour autant, les gouttes de sueur continuent de dégouliner sur leur visages rougis par leur abandon sur scène et l’attitude de morveux de leurs premières heures est toujours là.

Cette recette, ils la convoquent à chaque concert avec ténacité et générosité et qui leur aura permis de rapidement passer du Queen’s Head, un petit pub de Brixton, à l’Arte Concert Festival (jeudi), deux dates d’affilée à L’Electric Brixton (le 12 et le 13 novembre prochains) et au Bataclan (prévu pour le 1er avril 2022). Magic a profité de leur passage dans le coin pour poser quelques questions au guitariste Eddie Green et au bassiste Josh Finerty. 

MAGIC : C’était comment de grandir dans le sud de Londres ? 

Eddie : Grandir dans un environnement aussi stimulant a sans doute joué dans le fait de devenir musiciens. Il y avait toujours un évènement culturel qui avait lieu quelque part. 

Josh : Je vais le laisser parler, je suis le seul a avoir grandi dans l’ouest de Londres… 

Eddie : Oui il était entourés de vieux (rires). 

Josh : Oui mais à onze ans j’ai été à l’école dans le sud de Londres et ça a été un choc culturel (rires).

Eddie : Ça m’a rendu plus fort de me faire taper dessus (rires). On n’a pas vécu la même enfance, je n’avais pas le droit d’avoir un bon téléphone parce que je me le serais fait voler.

MAGIC : Comment être artiste rend-il l’équilibre de vie difficile ?  

Josh : Tous les gens dans la vingtaine ont ce problème je pense, c’est le fait de passer de l’école au monde du travail. Ce moment où tu te demande « Qu’est ce que je fais de ma vie ? » Je me sens privilégié d’avoir eu la musique pour voie évidente. 

Eddie : Oui, ce que l’on allait faire et devenir était très clair. Le pire c’est d’être dans le flou, de ne pas savoir ce que tu vas devenir parce que ton travail devient en quelque sorte ton identité. Donc on a eu de la chance. 

Ce moment où tu te demande « Qu’est ce que je fais de ma vie ? »

Josh Finerty

Josh : Cette vie est intense, c’est sûr. Être en tournée en Australie pendant quelques mois, c’est fun mais revenir et enchaîner avec des concerts ailleurs, faire la promo, etc. c’est fatiguant… Il faut réussir à tempérer. C’est pour Charlie (Steen, chanteur, ndlr) que ça a été le plus drainant à une période. Sûrement parce qu’il a le rôle de leader du groupe, qu’il s’expose beaucoup à la critique et qu’il est toujours au devant de la scène. 

Eddie : Mais ça fait un an et demi qu’on n’a rien fait. 

Josh : A la place, on a beaucoup écrit. Dans un sens il y a plus de pression mais elle est différente de celle de la tournée. 

Eddie : Trouver une activité à côté, avoir d’autres hobbies est important. Je fais beaucoup de vélo, sinon je ne m’autorise jamais à débrancher et ça devient contre-productif je pense. Ça amène a trop réfléchir.  

Josh : Je joue aux jeux vidéos pour ma part, c’est un bon échappatoire. 

MAGIC : Le post-punk est intrinsèquement politique. Qu’est-ce que le vôtre dit de cette période à votre avis ? 

Eddie : Nos deux albums (Songs of Praise [2018] et Drunk Tank Pink [2021] évoquent quelques unes des injustices que la génération des vingtenaires vit. Surtout le premier ; le deuxième est plus tourné autour d’un monologue interne. Mais c’était, et c’est toujours, impossible pour nous d’échapper à la folie de ce qui se passe politiquement depuis quelques  années, ça affecte forcément notre écriture. 

Josh : C’était très important pour nous de s’exprimer de manière ouverte sur le premier mais je trouve ça cool que nous ne l’ayons pas fait sur le deuxième. On est contents de ne plus être étiqueté de la même manière. Se concentrer sur soi est aussi important. Parfois quand il y a beaucoup de bruit qui accompagne ce qu’il se passe, ça fait du bien de ne pas y prendre part.

Les gens sont impressionnés par mon énergie sur scène. J’hiberne et je donne tout à ce moment-là.

Josh Finerty

MAGIC : Vous êtes très intenses sur scène, contre qui êtes-vous autant en colère ? 

Josh : Je suis fatigué la plupart du temps dans ma vie au quotidien alors que les gens sont impressionnés par mon énergie sur scène. J’hiberne et je donne tout à ce moment-là. C’est parce que nos chansons me parlent aussi que je ne me prends pas trop au sérieux, que je me sens heureux de bouger autant dessus. Et puis c’est fun (rires). 

MAGIC : Ça vous a joué des tours d’être aussi jeunes aux débuts ?

Eddie : Non pas vraiment, ça a même été l’inverse, on en a même bénéficié. Ça a rendu tout ce que nous faisions plus impressionnant. Maintenant les gens nous attendent au tournant, plus personne n’en a rien à faire de notre âge, ça n’excuse plus les fautes. On se doit d’être bons. Avant, on pouvait s’en tirer même en faisant n’importe quoi. On n’avait même pas besoin de bien jouer (rires). 

MAGIC : Dans Friction, Charlie chante « It’s going forward but I feel it going backwards ». « Ça progresse, mais j’ai la sensation que ça empire. » C’était il y a quatre ans, vous pensez que c’est toujours d’actualité ?

Josh : Oui, c’est devenu pire. 

Eddie : Tout était si bien à l’époque en comparaison à aujourd’hui… Tout le monde se déteste aujourd’hui et il y a eu la pandémie…

Josh : C’était le début de la merde avec le Brexit, mais c’est pire aujourd’hui.

Eddie : Il y a des pénuries en Angleterre en ce moment, tu ne peux pas acheter d’œufs. 

Josh : La communication politique sournoise via les réseaux sociaux aussi, c’est fatiguant. 

Eddie : Et surtout les gens se détestent. En ce moment l’Angleterre et la France, ça ne va pas par exemple. Pourquoi ne peut-on pas tous juste se détendre ? Let’s fuckin’ chill out man.

MAGIC : En tant qu’hommes blancs, comment vous sentez-vous dans l’industrie musicale en ce moment ?

Josh : Nous sommes conscients que le milieu de la musique est saturé d’hommes blancs. Mais je ne pense pas que nous devrions nous sentir mal d’écouter des hommes blancs, l’important c’est de plus mettre en avant ce que les minorités produisent. Il faut promouvoir la diversité et être éclectique, peu importe la manière de le faire : que ce soit dans son écoute quotidienne, en éditant une playlist ou en bookant des groupes. Je ne pense pas que nous devrions avoir honte d’être des hommes blancs et s’en excuser non plus. C’est plus une question de ne pas défendre l’être. 

Nous sommes conscients que le milieu (de la musique) est saturé d’hommes blancs 

Josh Finerty

Eddie : Historiquement il y a eu cette posture de mettre en avant la musique d’hommes blancs, c’est toujours visible dans les line-ups de certains festivals qui vont avoir quatre femmes dans un festival entier. 

Josh : Ce n’est aussi pas très intéressant de ne rencontrer et de ne jouer qu’avec des gens qui te ressemblent… 

MAGIC : Comment s’écrivent vos chansons ? En lisant les paroles on dirait de la poésie. Le rythme me fait penser qu’elle pourraient exister même sans musique. C’est le cas ? 

Eddie : Je suis sûr qu’il lit de la poésie, il lit beaucoup John Cooper Clarke. Heureusement qu’il n’en écrit pas cela dit. 

Josh : Ila. Plus une vibe de poète que de musicien. Ce n’est pas un chanteur qui chante en utilisant sa voix comme un instrument comme David Byrne peut le faire par exemple. Il ne chante pas dans le rythme de la chanson, il y a la musique et la voix. C’est séparé. Il va écrire et chanter par dessus la musique que l’on joue là où le sent. Il écrit toujours en amont pendant que nous on a bossé sur une instrumentale de notre côté. 

Un autre long format ?