Photo par Jamie Wdziekonski
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Photo par Jamie Wdziekonski

Quatrième album de Shame, "Cutthroat" est un ground zero pour les trublions anglais. Rencontre avec Charlie Steen qui, malheureusement, ne portait pas son désormais célèbre moule-burnes en paillettes dorées.

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Magic RPM : Donc, tu parlais de cet album comme d’un genre de « nouveau ground zero » pour Shame. Qu’as-tu senti devoir détruire ou laisser derrière toi pour en arriver là où vous êtes maintenant ?

Charlie Steen (chanteur) : Je pense que c’est un peu… Je crois que quand tu fais un album, tu veux qu’il soit comme un nouveau départ. C’est ton espoir, en quelque sorte. Et je pense que celui-ci, c’est presque comme un retour aux bases du groupe… tu sais, je suis très fier de tous les albums qu’on a faits. Mais je pense que les deux derniers albums étaient un peu plus introvertis au niveau des paroles et un peu plus techniques instrumentalement. Celui-ci essaie juste d’être un peu plus nu, un peu plus direct, plus bruyant, fun et un peu pervers.

Donc tout le concept du slip à paillettes que tu portes à chaque occasion, c’est littéralement aller droit au but et se mettre à nu.

Ouais, ouais, exactement. Exactement. Je pense que ça a été vraiment fun à faire. Mais je pense que ça donne l’impression d’un nouveau départ et je suis vraiment très excité de pouvoir le jouer en live.

Est-ce que tu étais un peu fatigué d’être, comme tu l’as dit, plus introverti sur les albums précédents ?

Non, parce que je pense que c’était la vérité de ce que c’était à ce moment-là. Non, je veux dire, je pense que la vérité avec celui-ci, c’est qu’il est plus extraverti. Je pense, tu sais, comme je l’ai dit, que j’aime toujours jouer les morceaux des albums précédents et tout ça.

Tu disais que tu aimes toujours jouer les morceaux des albums précédents. Est-ce que tu as déjà une idée de ce que sera la setlist maintenant, en termes de répartition avec vos anciens morceaux ? Je pense à un Adderall, par exemple ?

Ouais, Adderall fait partie des incontournables. C’est clairement un morceau qui, surtout cette année, est super à jouer en live. Les gens semblent vraiment l’apprécier. Nous, on l’aime beaucoup aussi. Donc oui, c’est définitivement un incontournable. Mais ouais, il y aura beaucoup de morceaux du nouvel album, et on fera en sorte que ce soit le meilleur possible.

Je suis vraiment impatient d’entendre des morceaux comme After Party ou Spartak. Ou même Plaster. Pour moi, ce sont les meilleurs morceaux de l’album. Bien sûr, Cutthroat est aussi parfait comme ouverture, parfait comme single. Et puis son clip est dingue, vous avez eu l’idée comment ?

Avec tout notre argent (rires). J’ai eu l’idée de faire un Wall of Death pour la pochette de l’album. Et j’en ai parlé à Jar Humvee, qui a réalisé le clip. On en parlait tous les deux pour le clip de Cutthroat, et on s’est dit : ça doit absolument être un Wall of Death. Mais il y a eu tellement de messages à gérer avec toutes ces personnes, c’était hyper compliqué à organiser.

Rien que l’assurance, j’imagine.

Oui, l’assurance, tout ça c’était très compliqué. Et on a quand même réussi. C’était une journée de 18 heures. C’était long, mais on est super contents du résultat.

Dirais‑tu que faire des clips aussi risqués, où tu pourrais littéralement te tuer si quelque chose tourne mal, c’est un peu la quintessence du rock’n’roll ?

Ouais, heureusement je n’ai pas eu à me mettre au milieu, ou le groupe l’a fait, je ne sais plus. J’ai énormément de respect pour eux pour ça.

J’ai lu dans le communiqué de presse que cette fois, « tout pouvait se faire si ça sonnait bien et que ça fonctionnait ». Dirais‑tu que, avant ça, sur vos albums précédents, quelque chose vous empêchait d’aller vers ce que vous vouliez vraiment dans votre son ?

Sean jouait avec des trucs électroniques depuis un moment, et peut-être qu’il était un peu plus hésitant à les intégrer. Mais cette fois, je pense que chacun a travaillé sur ses idées individuellement et les a présentées d’une manière qui, une fois que tu ajoutes les guitares, la basse et tout le reste, ça sonnait juste comme du Shame. Donc ouais, je pense que c’est un album assez extrême, d’une certaine manière. Avec Cutthroat, par exemple, on s’est dit : si on y va, on y va à fond. Avec Cowards Around, si ça doit être punk, ça sera punk. Avec After Party, si ça doit être électronique, ça sera électronique. Pour tous ces morceaux, on a juste essayé de se plonger dedans chanson par chanson.

Dirais‑tu que la scène UK est maintenant plus ouverte à certains sons ? L’an dernier, on a eu Geordie Greep avec The New Sound. Dirais‑tu que, par exemple, s’il n’y avait pas eu Greep qui a apporté toutes ces influences brésiliennes, vous auriez quand même sorti un morceau comme Lampiao ?

Eh bien ouais, parce que ma copine est brésilienne. Donc ça vient de là. Mais aussi, quand j’étais au Brésil, c’est incroyable d’écouter tous ces groupes qui arrivent à percer là-bas. Tu peux voir sur YouTube le batteur des Doors qui explique comment ils ont écrit telle ou telle chose, et tout ça est bossé. Tout le monde a toujours emprunté, et parfois carrément volé, à la musique brésilienne, parce qu’il y a tellement de bonnes choses là-bas. C’est incroyable.

Je veux dire, le Royaume-Uni a une histoire de vol d’influences. Donc peut-être que vous volez aussi d’autres genres de musiques. Mais c’est ce qui crée des trucs super cool.

Je pense que ça dépend aussi de ce qui t’intéresse. À Londres, ce n’est pas que de la guitare. Il y a la techno, la house, le dub, tout ça. C’est une ville tellement multiculturelle qu’il y a toutes ces influences mélangées. Je pense donc que les gens sont très ouverts. On est un peu de la génération iPod shuffle. On a grandi avec des playlists très diverses, avec plein de genres différents. Donc c’est naturel que les gens piochent dans ce qu’ils aiment.

Dirais‑tu qu’il y a des régions du monde où leur musique n’est pas suffisamment explorée, alors qu’on pourrait y apporter plein de choses différentes ?

Je ne sais pas. Pour l’instant, je trouve que c’est un peu maigre. On exploite des matériaux pas très profonds, des roches peu fournies. Mais je ne sais pas. Aujourd’hui, tout le monde est tellement exposé à la collaboration et à ce genre de choses, que je trouve ça intéressant.

Quand tu parles de collaboration, bien sûr, on doit parler de John Congleton, qui a un peu tenu le rôle de mentor, je dirais. Qu’est-ce qu’il vous a demandé de plus compliqué ou difficile sur le plan créatif ?

Eh bien, je pense que c’était un amour dur, qu’on voulait, qui consistait à retirer beaucoup de parties de chansons et essayer de retrouver la racine de la chanson, son identité. Une autre chose, c’est qu’on n’a vraiment pas fait beaucoup de prises. Et je sais qu’il y a certaines choses, comme Forbes qui a trouvé le rythme de batterie de Quiet Life un peu compliqué, et même Cowards Around, c’est un morceau difficile à jouer à la batterie. Chacun a donc eu ses propres défis. Et dans d’autres morceaux, comme Spartak, je me souviens que John disait juste : « joue comme si tu venais de créer un groupe ». Ne pars pas dans tous les sens, tiens le morceau. Pour beaucoup de choses, c’était donc un principe « moins, c’est plus ». Juste parce que tu peux le faire, ça ne veut pas dire que tu devrais. Donc je pense que ça a été un peu un défi.

Combien de prises et combien de versions de l’album sont sorties du studio ? Vous y êtes allés avec une idée précise ou c’était plutôt un processus d’essais et erreurs ?

C’était un processus assez similaire. On avait de vraies horaires de travail, ce qu’on n’avait jamais fait avant : de 10h à 19h. J’écrivais toutes les paroles pendant qu’on était au studio. On venait au studio, on choisissait la chanson du jour, on jouait la démo pour John, et il nous disait : « ça, ça craint ; ça, ça craint ; ça c’est bien ». Ensuite, on jouait tous ensemble, on testait différentes versions, sans telle partie, plus vite, plus lentement… généralement plus vite. Puis, au bout d’une heure, il disait : « cool, on fait quelques prises ». On en faisait trois, puis on écoutait et on se disait : « je crois qu’on l’a ». C’était toujours une super façon de travailler. Quand j’avais les paroles et les mélodies vocales que je voulais, je faisais encore trois prises ou ce qu’il fallait.

D’habitude, tu écris tes paroles en studio ou avant ?

C’était la première fois que j’écrivais les paroles directement en studio.

Qu’est-ce qui était différent par rapport à avant ? Tu voulais quelque chose de plus spontané ?

Ouais, je ne pense même pas que c’était ça. Je pense que c’était presque l’inverse. Avant, on faisait du jam dans une pièce, je sortais les paroles dans le moment, et c’était fini. Là, je voulais avoir un plan, une idée de base. Je voulais juste travailler dessus. Cette ligne pourrait être mieux, celle-là aussi, et cette mélodie aussi. C’était un vrai défi, beaucoup de travail. Je n’arrêtais pas d’écrire. Mais c’était super fun, parce que comme avec n’importe quoi, si tu joues beaucoup de guitare, tu découvres des choses. C’est pareil avec l’écriture des paroles. C’était vraiment chouette.

Y a-t-il une chanson qui a servi de point de départ pour Cutthroat ?

Chacun aura sa propre chanson qui a été le point de départ, je pense. Pour moi, c’était Quiet Life. Ça a été la première étincelle, quand on était dans le studio de John à South London. Sean avait cette idée, ce riff depuis longtemps. On avait une version avec des paroles différentes. Je lui ai demandé : « tu écris quoi ? » Il m’a répondu : « cette vie tranquille, tu la veux, mais tu ne la veux peut-être pas ». J’ai pris ça et j’ai créé ma propre histoire. Toutes les paroles sont venues, puis les mélodies, le refrain et le post-refrain se sont assemblés. C’était vraiment fun et ça a un peu tout débloqué.

Le titre du LP est assez agressif. Cutthroat, coupe-gorge en Français, ça sonne vraiment criminel. Dirais-tu que Cutthroat est en quelque sorte une chanson “cutthroat” ?

Ouais. Je pense que c’est direct, droit au but, et que c’est un peu l’esprit de l’album.

L’album est un peu confrontational, en quelque sorte. Dirais-tu que cette confrontation est une forme d’honnêteté ou juste un moyen de provoquer les choses ?

Ouais, définitivement. Je pense qu’on ne veut pas être passif. Avec notre type de musique, notre groupe, peu importe. Donc ouais, c’est pas que tu as les réponses à toutes les questions, mais tu les poses quand même.

Ouais. Et dirais-tu qu’aujourd’hui les groupes sont un peu plus passifs ?

Je ne sais pas. Non, je pense qu’il y a tellement de bonne musique et que les gens poussent vraiment les choses dans des directions intéressantes. Je ne sais pas. Je pense qu’il y a beaucoup de super groupes : Viagra Boys, Fontaines… C’est super intéressant.

Ouais. Fontaines, c’était ma première interview il y a six ans, juste à la sortie de Dogrel. Je suis fasciné de voir à quel point ils sont énormes maintenant. Ils chantaient « je veux devenir grand », et maintenant ils le sont.

Ouais, ils sont trop forts. 

Et vous, je vous ai vus plusieurs fois et à chaque fois, je me disais « putain, ils sont trop forts » Je ne me souviens plus du nom de votre bassiste… Ah oui, Josh. J’ai une story Instagram où il fait un frontflip sur scène avec sa basse. C’était… quoi ? Parfois, vous sentez que vous êtes un grand groupe ?

Je pense qu’on fait juste notre truc. L’été a été vraiment fun, et on continue d’avancer.

Tu sens qu’il y aura un moment où vous ne pouvez plus avancer ?

Je ne sais pas. J’espère que non.

Que penses-tu du terme « crankwave » ? Pour moi, Songs Of Praise, c’est un des disques qui a un peu créé le crankwave.

Le crankwave ? Je ne connais pas.

C’est quelque chose qu’on utilise peut-être en France pour décrire des groupes comme vous, Fontaines, Fast Dog, voire plus niche comme Story ou Bar Italia.

Ouais, je pense qu’il y a juste tellement de groupes contemporains et de musique maintenant. Tout le monde a quelques albums derrière lui. Je pense qu’à 28 ans, je ne suis pas prêt à juste m’asseoir et faire des chansons acoustiques.

Tu ne veux pas une vie tranquille ?

Non, je ne veux pas une vie tranquille.

Pour toi, ce serait quoi une vie tranquille ?

Je ne sais pas… sur une plage au Brésil avec une caipirinha.

Pas mal comme choix ouais ! Pour en revenir au disque… Oscar Wilde est cité comme influence, disant que la vie est trop importante pour être prise au sérieux. Penses-tu que cette ironie et ce paradoxe t’aident à comprendre des choses dans ta propre vie ?

Ouais, je pense que oui. Le paradoxe est important parce qu’on est obsédé par l’inexplicable, les personnages contradictoires… le gangster qui va à l’église, le communiste qui prend de la coke… On veut comprendre pourquoi ça arrive. Souvent il n’y a pas d’explication, mais le contexte est très important. Je crains parfois qu’il soit perdu. Parfois, c’est mieux de voir juste une phrase sans tout le dialogue. L’humour est un bon outil : faire rire ou pleurer. C’est une façon d’explorer un thème qui t’intéresse.

Le Royaume-Uni a ce type d’humour grinçant, satirique. Je regardais un peu IT Crowd et je me disais : « j’aimerais être britannique juste pour comprendre cet humour ». Dans le press release, tu dis aussi « je ne suis pas là pour répondre aux questions, moi, l’idiot de 27 ans »… Mais quelle question voulais-tu poser avec Cutthroat ?

« Pourquoi pas ? »

Si un génie apparaissait et que tu avais trois questions à lui poser, lesquelles et que voudrais-tu qu’il te réponde ?

Je ne sais pas si je veux vraiment des réponses. Je pense que ça pourrait gâcher le plaisir.

Tu dirais que le voyage est plus important que la destination ?

Ouais, ouais, je dirais ça. Sauf si tu pars en vacances.

Il y a aussi plusieurs chansons qui remettent un peu en question les attentes sociales. Je pense à Spartak, ou Quiet Life. Dirais-tu que ces chansons parlent plus de toi ou des choses que tu observes dans la vie ?

Spartak, c’est sur moi. Et ensuite, c’est un peu dire merde à tous ces gens qui jugent et qui font que quelqu’un se sente mal à l’aise pour poursuivre ses passions, s’habiller comme il veut, aimer la musique qu’il veut. Quiet Life, c’est plus un personnage inventé, une relation toxique ou quelque chose du genre. Mais oui, l’album parle d’observation. J’aime observer, j’aime les personnages conflictuels. Je trouve ça intéressant. Il y a le bien et le mal, mais aussi le désir, l’envie, la cupidité, la gourmandise, la faim… Et je pense que la faim est une grande partie de l’album, parce qu’il ne s’agit pas de la cupidité, mais de la faim. Cet album montre que notre faim est toujours là. Tu vois ce que je veux dire ? Ce désir de quelque chose de mieux, que beaucoup de gens méritent maintenant.

Ouais. Tu parles de faim… Il y a le refrain dans After PartyI’m not sure if what I want can be found”. Pour moi, ça ressemble à de l’anxiété générationnelle : on peut tout avoir, mais on ne sait pas ce qu’on veut. Du coup, on court après les choses pour toujours. Comment tu gères ça ?

Ouais. Je ne sais pas. À cet âge, tu veux ressentir des plaisirs, explorer des choses. Selon le type de personne, les extrêmes et le live, c’est agir sur l’instinct et explorer ces choses. Je pense que le monde a beaucoup de couleurs à offrir. Je veux juste voir beaucoup de ça et explorer beaucoup de cultures. C’est incroyable.

Ouais. Ça me fait penser… je ne sais pas si tu connais cet album, The Head Hurts But The Heart Knows The Truth de Headache. Tu connais le producteur Vegyn, producteur électro de Londres ? Il a fait un album avec un type qui s’appelle Francis Hornby Clark, peut-être un pseudonyme, parce que cette scène aime brouiller les pistes. C’est un album que j’ai écouté le plus cette année, même s’il est sorti en 2023 : des instrumentaux trip-hop avec une poésie existentialiste et absurde chantée par une IA ou quelque chose comme ça. Il y a une ligne dans la chanson The Party Never EndsI’ve been running for a long, long time, for years. I know I can find what I’m looking for. And I’ve wasted so much time, but I don’t regret a thing”. Tout l’album regorge de lignes comme ça, qui reflètent l’anxiété générationnelle. La première fois, peut-être les dix premières fois que je l’ai écouté, je pleurais à chaudes larmes. Je n’avais jamais autant pleuré en écoutant de la musique. Est-ce que ça te parle ?

Ouais, je veux dire, définitivement. Je pense que sur cet album, comme je le disais, c’est à propos des gens qui méritent plus. Je lisais ce livre… comment il s’appelle déjà ? Désolé, j’ai fait tellement d’interviews aujourd’hui. J’aime L’Art de l’entretien des motocyclettes et Zen ou quelque chose comme ça. Et je ne me souviens plus, je me mélange un peu. Mais c’est un livre philosophique aussi. Il parle de ça : si tu demandais à quelqu’un ce qu’il voudrait avoir, souvent, tu te dis que le désir profond des gens est superficiel – « je veux me droguer tous les jours, je veux boire tout le temps, je veux vivre une vie d’extase ». C’est un peu triste, en fait. Alors qu’en réalité, ce que les gens veulent vraiment, c’est « je veux faire de la musique, je veux être footballeur, je veux faire ci, je veux faire ça » . Je pense que les désirs des gens sont souvent assez purs, pas qu’ils soient pervers. Mais c’est juste un reflet de cette société. 

Par exemple, il y a Lampiao, à propos de ce bandit brésilien. Les gens de sa région natale le louaient comme un héros, mais en même temps, il était pourchassé par les autorités. Penses-tu que ce genre de double perception, être loué par certains et détruit par d’autres, est quelque chose que chacun doit gérer en soi, et encore plus quand on est artiste ?

Tu sais, c’est pareil avec Bonnie et Clyde. Les héros et les méchants, on est tous un peu obsédés par ça. Et tu entends toujours les acteurs dire que c’est tellement plus amusant de jouer un méchant. Et le méchant est toujours plus intéressant. Parce que je pense que tu veux juste essayer de comprendre comment les gens en arrivent à faire ce qu’ils font. Quand c’est inexpliqué, on ne peut pas s’en satisfaire. Du coup, on veut juste savoir, tu sais, c’est comme Netflix avec les séries qu’ils font. Tu vois ce que je veux dire ? Ils ne font pas ces séries pour rien. Ils les font parce que les gens veulent regarder des séries sur ceux qui sont tombés bas ou je ne sais quoi. Ils veulent des gens trompeurs et des personnalités brutes, et tout ça. Parce qu’on veut juste savoir comment ça a pu arriver. Je pense à Hannibal Lecter, par exemple. Les gens sont obsédés par la compréhension d’un méchant.

Tu aimerais faire un album entier basé sur un méchant ?

J’ai fait de mon mieux avec celui-ci.Je pense que ce serait assez fun d’explorer ça. Ouais.

Je suis vraiment stupide parce que je n’ai pas écrit la chanson où figurent ces paroles… “Why does it hurt to feel so numb? I’m sure I’m not the only one because I’m afraid to stay the same”… 

Ah, c’est dans Cutthroat.

OK, ouais. Tu penses que le fait d’avoir peur de rester le même, c’est…

C’est Forbes qui a trouvé ces paroles. Sean avait proposé Cutthroat et Forbes avait écrit cette partie de guitare. Forbes est le batteur et, quand on enregistrait, il y avait cet espace à la fin du morceau. Et je me suis dit : je pense que les voix devraient conclure. Donc je ne sais pas, c’est à lui de répondre.

Dans One Rizla, tu disais “I’m not much to hear”, et dans To and Fro, tu reviens encore une fois sur ta voix en chantant “I ain’t got a good voice but it don’t mean, I don’t mean”. Je trouve ça assez intéressant quand un chanteur chante ouvertement sur sa voix. Surtout négativement… Parce que je trouve que ta voix est parfaite pour ce type de musique. 

Parce que je pense qu’avec cette chanson en particulier, ce dont elle parle, c’est un peu de la racine de la honte. C’est embrasser ses insécurités et ce genre de choses, essayer de s’approprier ce que les gens t’ont dit être tes défauts, tes faiblesses. Et ça en fait partie, tu vois. Je me souviens, j’étais en sixième, j’essayais d’intégrer la chorale. M. Holmes m’a dit : le chant n’est pas pour toi, Charlie. Alors que c’était tout ce que je voulais faire.

Les profs de musique sont les pires. Genre, si ça m’a pris autant de temps avant d’essayer de faire de la musique, c’est parce que quand j’avais 11 ans, on avait des cours de musique et on jouait de la flûte au collège. Et à l’époque, mes dents étaient toutes explosées, j’ai eu des appareils dentaires pendant dix ans pour corriger ça. Du coup, à chaque fois que je jouais devant tout le monde, des bulles sortaient de ma flûte. Et mon cerveau a fait la connexion : tu joues de la musique → les gens se moquent de toi → tu pleures → tu joues de la musique → tu pleures. Et donc chaque fois, juste l’idée de jouer de la musique, c’était une souffrance pour moi.

Ouais, ouais, ouais. Eh bien, je suis sûr que beaucoup de gens ressentent la même chose. Mais oui, je pense que c’est juste y revenir. J’ai l’impression que Spartak, même si tu le sais mieux que moi, est similaire à One Rizla aussi. Et je pense que ça montre que le but du groupe n’a pas vraiment changé. Et je pense qu’on le fait depuis un moment. On avait organisé un truc qui s’appelait The Wall of Shame en association avec Calm Charity, une asso de santé mentale et de bien-être.

Ah, je n’étais pas au courant de ça, ça m’a l’air génial !

Ouais, c’était pour la sortie de l’album. Et des gens du monde entier avaient écrit, et on a affiché ça sur un énorme mur leurs insécurités et leurs peurs qu’ils avaient surmontées, qu’ils étaient en train de surmonter, ou qu’ils n’avaient pas encore surmontées. Et je pense qu’on voyait à quel point il y a du courage chez les gens ordinaires. Et je pense qu’on est un peu les losers, tu vois, on écrit là-dessus. Je suis venu à la musique parce que… enfin pas à cause de ça, mais je pense que beaucoup de musique que j’écoutais et que j’aimais, j’en avais honte, parce qu’au collège ce n’était pas cool, ce n’était pas ci, ce n’était pas ça. Et je pense que quand tu vas à un concert et que tu retrouves les autres bizarres et tout ça, tu peux te sentir en sécurité. Et je trouve que c’est assez beau, tu vois.

Je me suis toujours senti en sécurité dans les concerts. Mais je crois que le moment où j’ai vraiment bien compris que j’étais un weirdo, et que c’était cool d’être un weirdo, c’est l’an dernier, quand je suis allé voir Scott Pilgrim vs. The World dans un cinéma du quartier latin et qu’il y avait genre 200 weirdos qui faisaient la queue. Et je me suis dit… enfin, ça fait sept ans que je vis à Paris, et ça fait dix ans que je vais en concerts. Donc j’ai l’habitude de ce sentiment. Mais comme je ne suis pas vraiment branché cinéma – j’aime ça mais pas autant que la musique – il y a aussi un côté où les gens savent plus de choses sur moi. Être un weirdo te rend plus cool au final, je crois. Je pense qu’on est d’accord : briller au collège ou au lycée, ça finit souvent par une chute plus rapide que…

Ouais, exactement.

Il y a une chanson appelée Cowards Around dans l’album,,Squid a aussi sorti Cowards l’an dernier. C’est quoi le délire avec la lâcheté ?

Je n’avais pas pensé au morceau de Squid, en fait, jusqu’à maintenant. Je ne sais pas. Je pense que c’est juste un truc intéressant à explorer. Et c’est un mot marrant à dire.

Ouais. Tu dirais qu’on est dans une ère de lâcheté, et surtout une ère où les lâches gagnent ?

Ouais. Je pense que la lâcheté et la corruption sont clairement en train de gagner en ce moment, et ça ouvre la voie à des choses assez mauvaises.

Ouais. Et quand tu disais que les gens ont besoin d’avoir plus, je pense que certains ont besoin d’avoir moins.

Ouais, ouais, ouais.

Et donc c’est un peu paradoxal. Tu veux que les gens soient plus heureux, mais il y a des gens dans le monde qui nous empêchent d’être heureux.

Ouais, tout l’album est plein de contradictions, c’est un peu le but de ce côté « paradoxe ». Certaines chansons disent : « Ne jugez pas les autres », et d’autres c’est moi qui juge plein de gens.

Par exemple dans Plaster, il y a une contradiction, avec “It’s cruel to be kind

Ma mère dit toujours ça. C’est une expression très anglaise.

Dans Packshot, tu chantes “Your idea of revolution, Why don’t you keep it to yourself?”. Je trouve que ces paroles dégagent une certaine désillusion par rapport à la politique. Par exemple, au Royaume-Uni, il y a eu Starmer qui est devenu Premier ministre. En France, l’an dernier, on a eu les législatives qui étaient censées changer quelque chose dans le pays, mais qui ont littéralement mené à pire. C’est quoi une révolution aujourd’hui ? C’est un buzzword, un slogan marketing, ou quelque chose qui peut vraiment arriver mais qui demande encore plus de gens ensemble ?

Je pense que chacun a une idée différente de ce qu’est une révolution.

Et toi, c’est quoi ton idée ?

Je ne sais pas. J’ai lu un très bon livre sur la Révolution française, c’était très intéressant.

Quel genre de livre ?

C’était écrit par Hilary Mantel. C’était le premier livre qu’elle ait jamais écrit. C’était vraiment bien, en fait, à propos de Danton. Je le prononce sûrement mal, et tous les autres. C’était sur la chute de la monarchie, non ? Mais mon idée de la révolution, ce serait quoi ? Juste une ardoise vierge, tu vois. Un nouveau départ. Je veux dire, on a toujours la monarchie. On a toujours tous ces partis politiques – Conservateurs, Travaillistes, maintenant Reform, les Lib Dems, et tout ça. Mon idée, que je sois d’accord ou pas, je ne sais pas, mais j’imagine que ce serait juste un gros changement de tout.

Ouais. Quand je vois les émeutes qui ont lieu au Royaume-Uni en ce moment, les mouvements d’extrême droite… Je trouve que, surtout dans un pays comme le Royaume-Uni, qui a littéralement contrôlé la moitié du monde à un moment de l’histoire, et ces gens disent : non, on ne veut pas d’immigrés, dans un endroit où vous avez littéralement bâti votre fortune en étant vous-mêmes des immigrés…

C’est dingue. C’est dégueulasse, ouais.

Et quelle sera la prochaine révolution, pour Shame ?

Le live show, la tournée, la tournée Cutthroat.

Vous jouez à Paris dans quelques jours, non ?

Ouais, la semaine prochaine.

Vous allez amener des motos sur scène ?

Eh bien, on verra. Ce serait très drôle. On verra ce qu’il se passe.

Et dernière question : y a-t-il une question qu’on aimerait te poser, mais qu’on ne t’a jamais posée ?

Une question que j’aimerais qu’on me pose ? Je dirais… J’aime toujours répondre à : quelle est la chanson qui, quand tu étais enfant, a vraiment tout changé pour toi. Mais je réponds toujours la même : In Every Dream Home a Heartache de Roxy Music. J’adore ce morceau.

Un autre long format ?