Auteur-compositeur discret mais essentiel, Damien Jurado enchante le monde depuis plus de quinze ans avec des albums très différents. Le onzième, Brothers And Sisters Of The Eternal Son, est une (nouvelle) réussite majeure, imprégnée de religiosité et de science-fiction. Surtout, l’Américain a choisi d’y dévoiler ses véritables influences musicales. Il les présente ici sous la forme d’une liste étonnante, témoin d’une obsession pour le tout début des années 70 et de la foi chrétienne qui le guide. [Interview Vincent Théval].
JIM SULLIVAN – Jerome
Damien Jurado : Jim Sullivan était un auteur-compositeur américain. Cet album a été un échec complet à sa sortie. Il l’a enregistré avec The Wrecking Crew, le célèbre groupe de musiciens de studio qui a notamment accompagné The Mamas And The Papas et The Beach Boys. Un jour de 1975, il a quitté Los Angeles, sa femme et son enfant pour se rendre à Nashville (Tennessee). Il s’est arrêté en chemin dans un hôtel du Nouveau-Mexique et il a disparu. On ne l’a jamais retrouvé. La simplicité de son écriture et la façon dont il joue de la guitare douze-cordes sur ce morceau m’ont profondément influencé. En l’entendant pour la première fois, j’ai immédiatement voulu acheter une guitare comme ça. Surtout, il y a ce son… Pour tout dire, c’est ce qui m’importe le plus en musique, j’aime les chansons mais encore plus le son.
LINDA RICH – There’s More
Cette chanteuse de folk chrétien n’a publié que trois albums sur un petit label indépendant. Ils sont aujourd’hui très recherchés par les collectionneurs mais personne ne sait si elle est encore en vie. J’ai offert mon exemplaire à Robin Pecknold de Fleet Foxes. Je n’ai jamais vu qu’une seule photo de Linda Rich, qui est au dos du disque, et je crois qu’il n’en existe pas d’autre. En ce sens, elle me fait penser à Robert Johnson. Quand à l’étiquette “folk chrétien”, elle fait sens pour moi. Elle correspond à une génération d’artistes qui ont grandi avec le mouvement évangélique chrétien et qui voulaient chanter leur amour pour Dieu et sa création.
LARRY NORMAN – U.F.O.
Larry Norman est considéré comme le parrain du rock chrétien. U.F.O. est un morceau génial. La Bible parle de la résurrection et du retour de Jésus et Larry Norman a eu cette idée : “Et si Jésus revenait à bord d’un OVNI ? Le reconnaîtrait-on seulement ?” Ce qui est amusant, c’est que dans cet endroit fictif qu’est Maraqopa (ndlr. titre du précédent album de Damien Jurado), la communauté des Brothers And Sisters Of The Eternal Son que j’ai inventée attend le retour du Messie et est persuadée qu’il reviendra à bord d’un OVNI. Larry Norman est un pur produit du mouvement hippie mais a arrêté le LSD, il a remplacé la drogue par Jésus et la recherche spirituelle. C’est de cela dont il parle dans son œuvre. Il a été le porte-voix d’une génération, celle du Jesus Movement (ndlr. mouvement chrétien composé de hippies convertis). Frank Black est aussi un grand fan.
YES – Beyond And Before
Je suis un grand fan de Yes. Aussi étonnant que cela puisse paraître, j’y suis venu via Vincent Gallo, dont j’apprécie beaucoup les films. Dans Buffalo ’66 (1998), il y avait un titre de King Crimson et deux de Yes. Ce que j’aime le plus, c’est le chant de Jon Anderson – sans doute la voix que je préfère au monde. J’aime beaucoup le fait qu’à certains moments de la composition, il n’y ait plus de musique, que la voix. C’est tellement classe et audacieux. Beyond And Before très éloigné de la façon dont le groupe va sonner après. Ce n’est pas du rock progressif, c’est du rock’n’roll.
KING CRIMSON – Cadence And Cascade
L’une des plus belles chansons que je connaisse. Rien qu’en y pensant, je meurs d’envie de l’écouter. La guitare est sublime et la voix est comme un souffle. On dirait qu’il respire, simplement. Cette façon de chanter m’a influencé. Beaucoup des titres choisis ici datent de la fin des années 60 et du début des années 70 – cette liste est importante. Richard Swift m’a poussé à mettre davantage de mes influences dans mes créations. Brothers And Sisters Of The Eternal Son, c’était comme prendre tous les artistes que j’aime et en faire un groupe. On les entend tous et le résultat ne s’apparente ni à du folk ni à du rock. C’est comme un hommage à mes artistes préférés.
GRATEFUL DEAD – Box Of Rain
Je suis devenu fan du Grateful Dead grâce à Richard Swift, qui m’a dit : “Mec, si tu n’aimes pas le Grateful Dead, c’est juste que tu ne le connais pas.” American Beauty est le premier de leurs efforts à ne pas être psychédélique. Box Of Rain paraît joyeuse mais elle est incroyablement triste. Elle parle du père de Phil Lesh, atteint de la maladie d’Alzheimer.
LOVE SONG – Welcome Back
Un autre groupe chrétien. Welcome Back est une chanson sur Dieu où on a l’impression que le groupe est drogué. Mais il ne l’est pas. Love Song est leur dernier album valable, les suivants sonnent vraiment comme Eagles, que je déteste. Love Song fait aussi partie du Jesus Movement. Il n’y a pas d’équivalent à ce courant aujourd’hui, c’est peut-être pourquoi j’ai voulu lui rendre hommage.
BRIDGET ST. JOHN – Back To Stay
Quelle magnifique chanteuse. Back To Stay est l’un des morceaux les plus tristes du monde. Je ne m’en lasserai jamais. Il y a juste sa voix, la guitare et quelques percussions. Elle me fait penser à une Nico qui chanterait juste. (Sourire.) Elle n’a pas eu le succès qu’elle méritait. Il y a eu les résurrections de Rodriguez, Vashti Bunyan ou Linda Perhacs, mais personne ne mentionne jamais Bridget St. John alors qu’elle joue encore et que sa voix n’a pas bougé. Pour ce qui me concerne, le succès n’a pas d’importance. Si en jouant de la guitare, je peux gagner suffisamment d’argent pour payer un loyer, des vêtements et des jouets pour mes deux garçons, alors je suis heureux.
LINDA PERHACS – Hey, Who Really Cares?
J’étais à Utrecht aux Pays-Bas il y a quelques jours et je prenais mon petit-déjeuner à l’hôtel. Une femme m’a demandé si elle pouvait s’asseoir à ma table. Je lève les yeux et c’était Linda Perhacs. J’ai pris mon petit-déjeuner avec Linda Perhacs ! Parallelograms est son unique album… jusqu’à aujourd’hui puisqu’elle vient de signer sur Asthmatic Kitty. Je ne lui ai pas posé de question là-dessus, mais j’ai toujours été curieux de son parcours : faire un album en 1970 et disparaître pendant 43 ans ! Elle a travaillé, eu des enfants et mené une vie normale. Ses chansons sont sublimes, inspirées par la nature.
BLIND WILLIE JOHNSON – John The Revelator
Un gospel génial, inspiré de la Bible. Blind Willie Johnson n’a pas vécu bien vieux mais il a eu une influence immense, sur Tom Waits ou Captain Beefheart par exemple. Des journalistes m’interrogent souvent sur ma foi et le fait que je la mette en avant, mais ces mêmes journalistes aiment Johnny Cash, Blind Willie Johnson, Elvis Presley ou Hank Williams, et tous ces artistes, tous les plus grands, ont chanté à propos de Jésus. Je sais qu’il y a une différence d’approche de la question religieuse entre les Européens et nous. Mais quand on me demande pourquoi je chante à propos de Dieu, je renvoie toujours à Blind Willie Johnson : sa foi était partie intégrante de son être.