Arthur Beatrice est un groupe de musiciens scrupuleux comme seule l’Angleterre sait en enfanter. Sur leur premier album Working Out, les quatre Londoniens élèvent la pop au rang de science maligne, où l’émotion fine bataille avec un art consommé de l’épure. Ils dévoilent des ingrédients de leur formule le temps d’une sélection qui leur ressemble. [Interview Victor Thimonier].

APHEX TWIN – Avril 14th

Orlando Leopard (chant, guitare) : Une chanson très émouvante. J’adore la manière dont elle est enregistrée, on peut entendre toutes les nuances de piano, les doigts sur les touches, les pieds sur les pédales, cette tendre manière de saturer le son – on entendrait presque Aphex Twin respirer. Une telle façon de faire nous a influencés pour l’enregistrement de Working Out. Ce type de morceau me fascine par son utilisation de l’espace. Avec sa simplicité, l’instrumentation accentue la profondeur de la musique. Comme sur Avril 14th, nous recherchons les outils les plus appropriés et les utilisons avec parcimonie pour que les chansons se développent dans l’espace.

BEACH HOUSE – Take Care

OL : On a tourné avec Beach House il y a un an, un immense honneur pour nous. Là encore, on retrouve ce rapport à l’espace. Ce que j’apprécie, c’est que malgré l’aspect sensible de Take Care, l’enregistrement reste sacrément rustique. On sent qu’ils ne s’embêtent pas vraiment avec cela, des éléments peuvent se caler à côté de la mesure, sonner un peu faux, mais on s’en fout. Cette composition est intéressante si on la dissèque en tant que musicien. Les accords sont étranges, ils paraissent changer de tonalité sans cesse. C’est une façon très inhabituelle d’écrire. Le tour de force est réussi : être à la fois pertinent musicalement et verser dans l’émotion pure. Cet équilibre est essentiel. Beach House est un modèle, même au niveau de son développement dans l’industrie – devenir de plus en plus imposant sans renier son identité. Notre premier album nous laisse la possibilité d’explorer de nouvelles directions dans l’avenir.

ELVIS COSTELLO AND THE ATTRACTIONS – Shipbuilding

Elliot Barnes (batterie) :
C’est l’une des chansons préférées de notre mère (ndlr. Elliot et Hamish Barnes sont frères). Elle nous la passait en boucle dans la voiture en nous conduisant à l’école. On l’a redécouverte très récemment. Ce qui me branche ici, c’est le solo de trompette de Chet Baker, un artiste qui m’a obsédé. En fait, ce morceau constitue la rencontre incroyable entre deux de mes musiciens préférés de tous les temps. En écoutant Shipbuilding, on pourrait croire qu’il ne s’agit que d’une digression romantique sur le nord de l’Angleterre alors qu’il existe un sous-texte politique, un portrait sans concession de la Grande-Bretagne thatchérienne. J’aime les titres qui possèdent plusieurs facettes. L’auditeur peut en analyser les paroles et y découvrir un sens subtil, mais s’il ne souhaite pas aller aussi loin, la chanson fonctionne tout aussi bien sur un plan strictement musical. Un exemple parfait de pop réussie.

THE STYLE COUNCIL – My Ever Changing Moods

EB :
Une nouvelle illustration du bon goût de nos parents. (Sourire.) Je me souviens avoir été marqué par le look de Paul Weller et Mick Talbot sur la pochette de Café Bleu. J’admire la manière dont Weller s’est réinventé en passant du revival mod à The Style Council. Café Bleu est un modèle d’ambiance qui nous a inspirés dans sa façon intelligente de balancer des paroles fines sur une pop impeccable.

MR. G – A G Moment

EB :
On parle toujours de musique house en interview sans jamais en intégrer dans nos playlists ou nos mixes. L’injustice est réparée ! Ce morceau un brin old school est l’un de mes récents coups de cœur. J’ai même réussi à persuader la copine de mon frère de lui offrir le maxi pour Noël, histoire de l’avoir quelque part. (Sourire.) La house m’impressionne par son côté paradoxal. Elle est pensée pour faire bouger et passer un moment euphorique, mais en la décortiquant, on retrouve des accords très sombres qui, montés sur des rythmes énormes, deviennent curieusement explosifs.
OL : Oui, c’est d’une grande subtilité. La house que nous écoutons est toujours rapide mais jamais dans l’excès. C’est une facette que l’on retrouve sur Working Out même si on utilise une vraie batterie.

FATIMA – Mind

Ella Girardot (chant, claviers) : L’un de mes choix. Fatima est une artiste émergente, une Suédoise qui vit à Londres et qui a travaillé avec des producteurs de house. Je l’ai vue interpréter cette chanson au Dimensions Festival en Croatie, et ce moment reste l’un de mes souvenirs live les plus époustouflants. Elle a une voix qui remplit incroyablement l’espace, comme une chanteuse de jazz classique mais à la sauce moderne. J’ai grandi avec ces chanteuses (Etta James, Nina Simone…), ce sont elles qui ont contribué à mon intérêt pour le chant.

BEYONCÉ – Halo

Hamish Barnes (basse) : Je voulais mettre quelque chose de plus commercial dans la sélection. C’est toute la magie de la pop music, la vraie, celle qui fait vibrer les foules. J’ai vu Beyoncé balancer Halo sur scène l’an dernier, quelle expérience ! Elle en a fait un moment hyper puissant de dix minutes. Tout le monde s’embrassait et se prenait dans les bras, c’était presque mystique. Même s’il faut approfondir une influence pour la digérer vraiment, je reste persuadé que ce qu’on entend à la radio peut avoir un impact énorme sur les artistes, même en termes de songwriting.
OL : Je suis entièrement d’accord. Et pour être au sommet des charts, il faut des chansons qui tiennent la route. Ce n’est pas un hasard si Bob Dylan a toujours autant de succès commercial.
EB : Mettre au point une machine de guerre pop comme Halo n’est pas un objectif que nous nous fixons consciemment. Je trouve qu’un tel titre est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, avec une montée en pression dont le climax n’est jamais totalement atteint.

WHITNEY HOUSTON – It’s Not Right But It’s Okay

EG : Encore un choix que l’on doit à nos parents. Whitney est tout simplement la plus grande chanteuse de tous les temps, la plus grande diva pop. Sa mort m’a bouleversée. Je ne connais personne qui n’aime pas It’s Not Right But It’s Okay.

WILD BEASTS – Deeper

HB : J’aime toute la discographie de Wild Beasts mais Deeper est la première composition à m’avoir happé. Il y a beaucoup à dire sur cette musique complexe et audacieuse, mais plus que tout, c’est le travail vocal de Tom Fleming qui frappe.
OL : Exactement, on sent la passion derrière chaque note, il vit chaque mot.

THE ZOMBIES – The Way I Feel Inside

OL : L’une de ces rares mélodies avec lesquelles on peut avoir une relation forte. Là encore, c’est plein de caractère et d’authenticité. On en revient au titre d’Aphex Twin tout à l’heure. On peut entendre les craquements et les bruits du studio, la pièce qu’on lance, les pas sur le plancher. L’a capella est à la limite de la justesse mais la voix est tellement proche de nous qu’on a l’impression d’y être. C’est tellement osé de chanter sans accompagnement au milieu d’un disque – il y a un orgue qui débarque mais c’est à peu près la seule variation. The Way I Feel Inside repose sur le simple équilibre du chant, on n’a besoin de rien d’autre, surtout pas de production. Un miracle.
EB : On compose toujours avec un seul instrument, un piano ou une guitare. Je considère qu’une composition n’est pas bonne si elle ne peut pas être dépouillée ainsi. Le reste sert à retoucher la coloration et accentuer l’ambiance mais pas à jouer le rôle de cache-misère.

Un autre long format ?